Voisinage: on choisit où l’on vit, pas avec qui
Avec la surpopulation des villes, les problèmes se démultiplient. Au point où certains ne savent plus où donner de la tête, quitte à la perdre! Retour sur les problèmes de voisinage au Maroc, dans les grandes agglomérations.
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Du point de vue de l’évolution sociale, on s’accorde à conclure, que les hommes sont faits pour vivre dans des agglomérations de 100 000 habitants au maximum. En fait, ce n’est que depuis le XIXe siècle qu’on assiste à la multiplication des méga-villes de plusieurs millions d’habitants, avec tous les problèmes que cela engendre ”, analyse l’anthropologue allemand Christiansen Shröder dans ses cours d’initiation à la socio-psychologie. Selon le scientifique allemand, le seul fait de la surpopulation des villes donne naissance à des problèmes divers. Sans parler des facteurs “endogènes”, inhérants aux personnes elles-mêmes. C’est donc tout naturel, que vivre dans les grandes villes du Royaume n’est pas sans problèmes. Les difficultés de voisinage sont devenues un aspect caractéristique des grandes métropoles du Royaume, de Casablanca aux autres villes champignons du Maroc qui ont vu leurs populations se démultiplier.
“Choisis tes voisins plutôt que ta maison”, dit un proverbe chinois. C’est également la leçon qu’on peut tirer de notre enquête sur les problèmes de voisinage. Pour Omar, jeune marié et père d’un petit enfant qui vit dans un immeuble du quartier Maarif Extension, le cauchemar a commencé peu de temps après son installation. “A peine avons-nous occupé notre appartement, que notre voisine de palier a “déclenché” les hostilités. Cela ne s’est pas limité à un tapage permanent et hautement dérangeant. La voisine entendait dicter sa loi à tous les habitants de l’immeuble”, explique-t-il à bout de nerfs. C’est ainsi qu’elle a commencé par refuser de payer le syndic, ce que les voisins, conciliants, n’ont pas jugé nécessaire d’exiger et ont évité l’affrontement. Petit à petit, la dame en question a fait des gardiens de l’immeuble ses larbins, à sa disposition. Son comportement n’a cessé d’empirer allant jusqu’aux menaces physiques. Omar, lui, a été le seul à refuser le dictat de sa voisine de palier. Il a fait face à la famille de l’hystérique alors qu’elle le menaçait aussi bien physiquement que verbalement. Peu de temps après, il a commencé à trouver des détritus devant le pas de sa porte, d’étranges liquides aspergés sur sa porte. “Lorsqu’on a vu ça, la nourrice de mon enfant a commencé à nettoyer avec du “sel roche” et à passer la serpillère. La voisine s’en est alors prise à cette personne qui cependant, ne se laissera pas intimider”, explique-t-il, serein. Il a porté plainte au poste de police le plus proche, sans que les policiers puissent intervenir de quelques manières que ce soit. Chaque jour qui passe génère un affrontement. A tel point que l’on est amené à se claquemurer chez soi, en espérant que cela finisse un jour.
Un vide juridique dont les prédateurs sociaux profitent
Approché par Challenge, un officier des forces de l’ordre explique : “nous ne pouvons rien faire. La loi n’interdit à personne d’être mal éduqué. Casablanca, autant que les grandes villes du Royaume, en général abrite des personnes et des familles de différents horizons, de différentes éducations et de comportements non moins différents. La symbiose entre ces différentes composantes est loin d’être évidentes. Au contraire, souvent, cela provoque forcément des problèmes entre voisins, surtout dans les grands immeubles. Certaines personnes, surtout les femmes-nous dit-on-, ont un comportement de prédateur. Elles sont encore dans une logique passéiste des douars dont elles sont issues et veulent devenir les “patronnes” dans l’immeuble, et n’hésitent pas à intimider les voisins, voire à les insulter. Elles sont fortes en guerre psychologique, mais personne n’interdit cela. Au regard de la loi, tant que le voisin n’est pas passé aux actes et que des témoins peuvent l’attester, personne ne peut rien contre lui. Ce n’est que lorsqu’il y a agression caractérisée avec blessure – que le sang ait coulé- comme dit l’adage populaire, que nous pouvons intervenir”, explique le policier interrogé, manifestement désolé. Constat accablant pour Omar, la loi ne le protège pas. Même dans les quartiers de villas, on n’est pas plus protégé pour autant. Toufik, résidant dans le quartier de l’Oasis à Casablanca, témoigne : “c’est depuis une dizaine d’années, que vivre dans mon quartier est devenu de plus en plus problématique. C’est ainsi que dans une partie du quartier, un drogué fait pratiquement la loi. C’est pourtant un de mes voisins qui s’est toujours comporté en véritable voyou, sous la “protection” de membres de sa famille, nombreuse et résidente à proximité. Dernièrement, il a même agressé l’épicier du quartier, mais l’affaire est restée sans suite. Ce n’est pas la première, mais hélas probablement, pas la dernière forfaiture à son actif ”. confesse-t-il. Que la mauvaise éducation, et la culture de la hogra ne font pas partie du passé, et qu’on soit au Hay Mohammadi ou à Gauthier, il faut d’abord savoir qui sont ses voisins avant de s’installer. Un autre facteur ressort, que les femmes sont plus agressives que les hommes, ce que les interrogés expliquent du fait que si elles ont recours à la police, il leur est plus facile de faire inculper un homme sous prétexte de tentative de viol. Argument que Omar avance ouvertement : “lorsqu’un de nos gardiens lui déplait, ma voisine de palier le chasse en le menaçant de porter plainte pour tentative de viol sur sa fille.”
Des solutions sociales, pour une société civilisée
Cependant, ce sont là des problèmes que les européens et d’autres pays ont connus et auxquels ils ont trouvé des solutions. Toujours, selon l’école de sciences sociales allemande, lorsque les villages sont devenus des villes, les comportements paysans n’ont pas changé. Ce sont par des activités sociales de conseils de quartiers pour les hommes, de milice et de bingo entre femmes qu’ils en sont arrivés au “modèle germanique” qui fait fantasmer les marocains. Autre exemple, la “fête des voisins” qui a fait des émules à travers le monde. A l’origine, il s’agit d’une initiative belge des années 90. A ce moment, le pays commençait déjà à connaître la scission entre flamands et wallons qui perdure aujourd’hui encore. Pour pallier à la division, les belges organisaient des repas entre voisins pour se rencontrer et créer des liens entre personnes qui ne se connaissaient pas parfois. En France, l’initiative a trouvé des échos et a commencé dans le XVIIème arrondissement de Paris en 1999. Depuis, le mouvement s’est répandu à 150 municipalités françaises, au reste de l’Europe, au Canada, à la Turquie et même à l’Azerbaïdjan.
Mais ce n’est pas pour autant que le Maroc corresponde au modèle européen. Dans certains quartiers, on continue d’appliquer le hadith “sois ami avec tes voisins jusqu’au septième”. Il demeure que lors d’un décès, dans certaines agglomérations, les voisins continuent de préparer les repas mortuaires pour la famille endeuillée. Ce n’est pas tant que le Maroc ait perdu son identité, mais bien plus qu’il se cherche encore, entre “l’entre soi” et la vie communautaire. Reste que chez les agents immobiliers, le voisinage devient, et de plus en plus, un argument de vente. Mais les relations conflictuelles entre voisins sont aussi anciennes que l’humanité. Après tout, la première chose que l’Homme ait faite après avoir trouvé où vivre a été d’ériger une haie pour se “protéger” du voisin. Et cela restera ainsi jusqu’à ce que les marocains développent un minimum de civisme. Tout en gardant la solidarité qui était la leur. Peut être un voeu pieux…