Interview

Xavier Reille: «L’investissement privé peut être le moteur d’une croissance forte et inclusive au Maroc»

Création d’emplois, implémentation du Nouveau Modèle de Développement, croissance économique inclusive, gestion de la pandémie de Covid-19… Le Maroc est sur de nombreux fronts. Que fait la Société Financière Internationale, membre du Groupe de la Banque mondiale, pour soutenir le Royaume dans ses ambitions ? Quel bilan pour l’année 2021 au Maroc ? Comment compte-t-elle soutenir les efforts du nouveau gouvernement pour mener à bien les chantiers prioritaires identifiés ? Autant de questions auxquelles Xavier Reille, Directeur de la Société Financière Internationale (IFC) pour le Maghreb répond dans cet entretien. 

Challenge : L’année 2021 touche bientôt à sa fin. Quel bilan en faites-vous ?

Xavier Reille : 2021 a été une nouvelle année difficile et IFC s’est naturellement mobilisée pour soutenir le Maroc. Nous avons lancé 13 nouveaux programmes d’assistance technique et, au 31 décembre, nous aurons réalisé six investissements pour un total de 447 millions de dollars.

C’est un montant record pour IFC au Maroc, et cela confirme l’importance du Royaume dans notre stratégie pour l’Afrique. En coordination avec la Banque mondiale, nous avons adapté nos engagements pour soutenir le plan de relance post-COVID-19 et l’ambitieux programme de réformes du gouvernement. Nous avons aussi renforcé notre partenariat avec les institutions marocaines, y compris avec Bank Al-Maghrib pour l’introduction de nouveaux outils de financement des chaînes d’approvisionnement, avec l’Autorité Marocaine du Marché des Capitaux (AMMC) pour la promotion de la finance durable et avec l’Autorité de Contrôle des Assurances et de la Prévoyance Sociale (ACAPS) pour la digitalisation du secteur de l’assurance. 

Challenge : Comment ces engagements soutiennent-ils les objectifs de développement du Maroc ?

Nos engagements sont en phase avec le Nouveau modèle de développement porté par Sa Majesté le Roi et le programme du gouvernement. Ils couvrent quatre priorités : la relance durable, l’appui aux réformes pour le développement du secteur privé, la régionalisation avancée et le soutien aux champions marocains dans leur développement régional.

L’économie durable, d’abord, est un enjeu important et le Royaume jouit d’un grand potentiel pour devenir une base industrielle verte aux portes de l’Europe. Ensuite, nous appuyons les autorités pour bâtir un secteur privé fort, notamment à travers le Fonds Mohammed VI pour l’investissement, les partenariats public-privé (PPP) et la réforme des entreprises publiques.

Nous soutenons également le processus de régionalisation avancée : après nos financements aux régions Casablanca-Settat et Fès-Meknès en 2020, nous nous sommes engagés cette année avec le CRI de Marrakech-Safi pour y renforcer l’environnement des affaires. Enfin, nous avons élargi notre soutien à l’expansion des entreprises marocaines en Afrique. Nous avons fourni des financements à OCP Africa et à CIMAF avec Proparco, nous avons pris une participation minoritaire dans la filiale assurance du groupe Holmarcom, et nous avons mis en place un mécanisme de partage des risques avec BMCE Bank International Plc UK pour soutenir le commerce régional.

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Challenge : De quels instruments disposez-vous pour mettre en œuvre votre stratégie?

Nous avons une équipe de 60 personnes au Maroc travaillant dans trois domaines différents pour soutenir le secteur privé : l’investissement, la mobilisation d’investisseurs partenaires et l’assistance technique. Nous sommes capables de déployer de nombreuses formes d’investissement, que ce soit en capital, en dette, en garantie ou en financement structuré innovant.

Nous avons, d’ailleurs, un bon bilan au Maroc en matière d’investissement en capital, aussi bien sur le plan de la rentabilité que de l’impact social, et nous sommes très fiers de nos partenariats avec des grands groupes comme BCP et Holmarcom, mais aussi avec des PME comme Zalar ou HEM. IFC est aussi connue pour sa capacité à mobiliser des investisseurs internationaux, comme nous l’avons fait pour notre financement de la région Casablanca-Settat. Enfin, nous offrons un large programme d’assistance technique pour soutenir nos clients dans la préparation de leurs projets d’investissement ou dans l’amélioration de leurs performances.

Challenge : Le Nouveau modèle de développement accorde une attention particulière au rôle des femmes dans l’économie marocaine. Que fait IFC dans ce domaine ?

Mobiliser le potentiel des femmes, à travers des emplois de qualité, de réelles possibilités d’évolution de carrière et un rôle accru dans la direction des entreprises, est l’une de nos priorités. Le gouvernement a pour objectif de faire passer le taux d’activité des femmes à 30% d’ici cinq ans, contre près de 20% aujourd’hui, et nous souhaitons soutenir cette dynamique.

Début décembre, nous avons lancé, avec la CGEM, la plateforme #Morocco4Diversity pour encourager les dirigeants d’entreprises à s’engager encore plus dans ce domaine. En parallèle, nous travaillons avec le groupe OCP et d’autres sociétés pour les aider à obtenir la certification EDGE, une norme de référence en matière de diversité des genres. Nous avons aussi lancé un programme pilote avec la CGEM et Maroc Numeric Cluster pour accompagner les femmes entrepreneurs dans l’e-commerce. Nous travaillons enfin avec le ministère de la Jeunesse et de la Culture pour développer, dans le cadre d’un PPP, un projet de crèches – avec plus de 20 000 places au niveau national – afin de favoriser l’accès des femmes au monde du travail.

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Challenge : La transition énergétique figure également en bonne place parmi les priorités du gouvernement. Comment soutenez-vous le Maroc dans cet objectif ?

Le Maroc a en effet une vraie opportunité à saisir pour devenir l’un des grands champions de la transition énergétique en Afrique. Le Royaume en a conscience et s’est fixé l’objectif de réduire de 45,5 % ses émissions de gaz à effet de serre et d’atteindre 52 % de sa capacité électrique installée à partir de sources renouvelables d’ici 2030. Ces ambitions sont réalisables.

Le Maroc jouit d’un grand potentiel pour devenir un grand pôle de production d’énergie renouvelable fiable et compétitif et notre objectif est d’accompagner le pays dans cet effort important. En 2020, nous avons ainsi accordé le premier prêt non souverain à la Région de Casablanca-Settat pour favoriser la mobilité verte à travers l’extension de son tramway. Nous collaborons aussi avec Tanger Med Zones pour l’accompagner dans sa transition en un parc éco-industriel. Nous avons enfin conduit des études sur les opportunités dont dispose le Maroc pour faire de son industrie textile un secteur plus durable et compétitif.

Challenge : Créer plus d’emplois est essentiel pour favoriser le développement économique et social. Selon vous, quelles sont les mesures à prendre pour soutenir la création d’emplois au Maroc ?

La pandémie de COVID-19 a exacerbé de nombreux défis au Maroc, et notamment celui du chômage de la jeunesse. À l’heure de la reprise, il est crucial de libérer le potentiel du secteur privé pour favoriser la création d’emplois. Pour cela, il est essentiel de relancer l’investissement privé, encore trop faible au Maroc, afin de stimuler l’innovation, améliorer la compétitivité des entreprises et accroître les exportations. Les opportunités d’investissement sont immenses au Maroc, notamment dans les nouveaux chemins de croissance que sont l’économie verte et l’économie numérique.

Les autorités marocaines ont montré leur détermination à faire de l’investissement privé un pilier de la relance et du développement économique et social. Nous soutenons pleinement cette vision qui est au cœur de la mission d’IFC. Néanmoins, pour renforcer les investissements et créer un secteur privé fort et dynamique, d’autres mesures audacieuses seront nécessaires afin d’améliorer l’environnement des affaires, permettre une plus grande participation du secteur privé dans les projets d’infrastructures, favoriser les PPP et promouvoir une culture entrepreneuriale plus forte, notamment parmi les jeunes.

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Challenge : Les PPP sont considérés comme des outils efficaces pour promouvoir le secteur privé et stimuler la croissance. Est-ce également une priorité pour IFC au Maroc ?

IFC a une longue expérience et une grande expertise en matière de PPP, notamment au Maroc. Pour preuve : il y a 16 ans, nous avons aidé à la structuration du premier projet de PPP au monde dans le domaine de l’irrigation dans la région de Guerdane. Aujourd’hui, nous avons une équipe de trois experts des PPP basés à Rabat et nous travaillons avec des ministères techniques et le ministère des Finances sur des projets de PPP dans les infrastructures et les secteurs sociaux.

Le projet de crèches sur lequel nous travaillons constitue, d’ailleurs, le premier PPP social au Maroc. Nous pensons que les PPP sont des outils essentiels pour soutenir la relance. S’ils sont bien structurés, ils permettent en effet de renforcer le rôle du secteur privé dans l’économie et d’optimiser les dépenses de l’Etat en transférant certains risques aux opérateurs privés.

 
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