Younes Laamarti : « Personne ne sait quand les prix du fret maritime vont revenir à la normale »
Le prix du fret maritime flambe depuis un an et demi. À quand un retour à la normale ? Younes Laamarti, DG de Bolloré Transport et Logistique Maroc et Directeur du Développement Afrique du Nord ,décrypte les phénomènes qui perturbent actuellement le transport maritime mondial et par ricochet, le commerce international.
Challenge : Pourquoi les prix de location des conteneurs sont toujours élevés ?
Younes Laamarti : Au début de la pandémie, les compagnies maritimes ont essayé de ne pas être trop impactées. Jusqu’à 12% de la flotte mondiale a été mise à l’arrêt pour garder un équilibre entre l’offre et la demande. L’offre a donc baissé pour s’aligner avec la demande. Lors du deuxième semestre de 2020, la demande des conteneurs a augmenté, plus précisément à partir de juillet 2020 aux États-Unis.
Pas d’offre et beaucoup de demandes, ont fait que les prix ont augmenté. On s’attendait à ce que les prix se stabilisent vers novembre 2020. Il ne faut pas oublier que les compagnies du secteur ont souffert avant le début de la pandémie. Lorsque les conteneurs coûtaient entre 400 et 500 dollars, des entreprises mondiales ont fait faillite. C’est pour cette raison, que les compagnies ont essayé de garder le prix de 2500 dollars.
A cela s’ajoute la congestion, ou le temps d’attente pour entrer au port, qui fait augmenter le prix du fret et réduit la capacité de l’équipement. Tout cela, a fait qu’il n’y a pas d’équilibre entre l’offre et la demande et ainsi, l’augmentation des prix sur le marché international pour atteindre 20.000 dollars.
Challenge : Le marché peut-il supporter longtemps ce prix-là ?
On parle de la sécurité alimentaire, il y a aussi la sécurité industrielle. Nous vivons dans un monde qui est économiquement mondialisé. Si tu veux fabriquer un stylo, tu as besoin des matériaux de différents endroits. Après l’avoir fabriqué, il sera acheminé vers d’autres endroits. Aujourd’hui, il faut trouver des solutions pour garantir la sécurité industrielle.
Nous devons aussi réfléchir à comment dépasser la crise des équipements causée par le manque de conteneurs disponibles, car aujourd’hui, même en disposant des moyens, il n’est pas sûr d’avoir accès aux conteneurs. Dernièrement, deux grandes compagnies ont annoncé qu’elles allaient plafonner les prix à 20.000 dollars. Je pense que toutes les autres compagnies vont suivre.
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Personne ne sait quand les prix vont revenir à la normale. Concernant les clients, la situation diffère selon les cas : si la valeur de la marchandise transportée dans le conteneur est de 200.000 dollars, le coût du transport revient ainsi à 10% et peut donc être absorbé. Par contre, si la valeur est de 20.000 dollars, le coût du transport devient à 100%. Par exemple, un client importe les petites machines à laver achetées à 400 DH en Chine et vendues au Maroc à 1200 DH. Il payait 150 DH de frais de transport, aujourd’hui il paie 400 DH.
Challenge : Comment avez-vous réagi face à cette crise en tant que Directeur général d’une grande compagnie maritime ?
La première chose était d’annoncer en mars 2020, qu’il n’y aurait pas de licenciement à notre niveau. Aussi, nous n’avons pas utilisé les moyens que l’Etat nous a donnés. Il s’agit d’une démarche citoyenne. Nous avons remarqué plus d’engagement de la part des salariés.
Nous avons également commencé à payer les fournisseurs avant les temps, ce qui a engendré une confiance mutuelle et nous a permis de garder le même niveau de qualité de services offerts à nos clients. Pour être honnête, il n’y a pas eu d’impact sur l’activité. Le secteur du transport et de la logistique n’a pas été impacté comme d’autres secteurs.
Challenge : Quelles sont les solutions ?
Le Maroc a réussi à s’approvisionner en vaccins malgré le contexte international, grâce à sa diplomatie et son carnet d’adresses. Il s’agit pour moi d’un exploit. Une des solutions consiste à utiliser ces contacts. Aussi, le complexe portuaire de Tanger Med est un outil très important qui permet d’avoir des relations privilégiées avec les acteurs du secteur. 5 entreprises du top 10 mondial des compagnies de transport maritime se trouvent à Tanger Med.
Avec un peu d’influence, nous pouvons assurer des allocations pour le Maroc. Nous pouvons également exercer du lobbying pour au moins aligner les prix avec ceux pratiqués en Europe. En gros, il s’agit de dupliquer l’expérience des vaccins.
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