Interview

“Il faut créer une Agence nationale pour le médicament”

L’association, qui ne semble pas avoir connaissance des détails de la liste des 320 médicaments dont le prix a baissé, monte au créneau pour dénoncer les agissements du ministère de la Santé et des laboratoires pharmaceutiques. Leurs propos n’engagent qu’eux. Leurs propositions.

Challenge. A votre avis, à qui profite vraiment la baisse des prix des 320 médicaments?   
Ali Lotfi. Le département de la Santé vient de  dévoiler sa stratégie pour baisser les prix des médicaments, sans toutefois dévoiler la fameuse liste des 320 produits.
La réalité sur cette nouvelle entreprise de la santé  n’est nullement transparente  et manque de crédibilité à ce jour. Les professionnels et les organismes gestionnaires de l’AMO ignorent le contenu de cette fameuse liste parce qu’ils sont écartés de la commission qui l’a négociée. Pire encore, cette liste a été proposée par l’industrie pharmaceutique, puis validée par le ministère sans objection ni étude préalable sur les retombées sur le pouvoir d’achat des citoyens, sur la comptabilité des caisses d’assurance (…)  A notre avis et selon les informations disponibles, cette nouvelle baisse des médicaments ne constitue  qu’une autre bouffée d’oxygène aux industriels et laboratoires pharmaceutiques. C’est ce qui va leur permettre de renflouer leurs caisses (…) Il faut reconnaitre que les pouvoirs publics ne sont pas encore prêts à mettre en œuvre une politique de médicaments qui soit viable pour garantir l’accès aux soins à tous les citoyens, ni motivés pour le développement des médicaments  génériques. Les décideurs politiques au Maroc  ne se soucient pas  de cette question, alors que les caisses de l’assurance maladie devront connaître un déficit comme les caisses de retraite.
    
C. Vous pointez du doigt les laboratoires pharmaceutiques. Quel rôle jouent-ils vraiment ?  
A.L. La cherté des prix des médicaments au Maroc s’explique par plusieurs facteurs. Les marges bénéficiaires ne sont pas claires pour tous les médicaments. Les grossistes ont une marge légale de 10% de leur prix de vente et les officines ont une marge de 30% de leur prix de vente (prix public Maroc et 7% de TVA). Le citoyen paye une marge bénéficiaire  allant jusqu’à 47% du prix initial (prix fabricant du médicament). L’industrie  pharmaceutique est  directement concernée par cette baisse des prix. Elle fait la loi  par sa force de lobbying  et la faiblesse des  pouvoirs  publics. Mais, disons-le en toute franchise, la responsabilité incombe en premier lieu au gouvernement.  

C. Pourquoi ?  
A.L. Le médicament ne devrait jamais être soumis à la règle de la liberté des prix, ni à celle de l’offre  et la demande. Mais malheureusement, c’est ce qui se passe dans notre pays du fait de l’anarchie, du manque de transparence. Les médicaments restent encore très chers au Maroc.

C. Vous souhaitez que les prix des médicaments baissent encore plus, comment ?  
A.L. Les évolutions de prix des médicaments sont calculées à partir des prix moyens de chacune des classes d’équivalent thérapeutiques qui regroupent, notamment le princeps et ses génériques. La révision des prix  doit être une affaire de plusieurs acteurs  et facteurs .Je crois que  l’indice des prix à la consommation,  le coût de la vie, et la couverture maladie sont des facteurs importants  à prendre en compte. Mais le moindre prix appliqué dans d’autres pays économiquement similaires serait aussi un indice. Le meilleur moyen est de développer des médicaments génériques  et de les commercialiser à des prix abordables pour toutes les couches sociales.

C. L’Etat souhaitait créer un laboratoire pour contribuer à la baisse des prix des médicaments. Pourquoi a-t-il capoté ?  A.L. C’était un grand projet  relatif à la fabrication de médicaments dans des unités de production autonomes et propres à la santé publique. Le projet en question a été réalisé par le ministère de la santé en 1995, durant le mandat de feu le professeur Harouchi, dans le but de fabriquer des médicaments et produits destinés aux hôpitaux et structures de la santé publique, qui dépensent annuellement plus de 40 % de leur budget de fonctionnement uniquement pour les médicaments génériques.  Ce projet a couté plusieurs milliards à l’Etat, pour aboutir à des résultats  quasiment nuls. Selon les sources du secteur de la santé, le lobby de l’industrie pharmaceutique est intervenu pour bloquer le démarrage et le fonctionnement de ce projet.

C. Vous recommandez aussi la révision de la réglementation en vigueur sur la politique du médicament, sur les importations…Que proposez-vous concrètement ?  
A.L. Le secteur  des médicaments est toujours régi par des textes obsolètes qui remontent à 1969, étant donné le développement du secteur. Je crois qu’il est temps de refondre le système de fixation des prix des médicaments  et d’établir un cadre  de l’AMM (autorisation de mise sur marché) selon de nouvelles   règles, normes et procédures institutionnelles claires et transparentes.
La création  d’une Agence nationale pour le médicament serait également la bienvenue. Elle sera chargée de mettre en œuvre toute la politique nationale des médicaments,   d’encadrer  et de contrôler le secteur pharmaceutique, ainsi que d’améliorer l’accès aux médicaments. Aussi, dirai-je que la fixation des prix des médicaments ne doit plus être du ressort unique du ministère de la Santé. Il a démontré à plusieurs occasions son incapacité  à gérer, à évaluer et à contrôler  ce dossier dans l’équité et la transparence totale. Une commission gouvernementale élargie aux organismes  gestionnaires de l’Assurance maladie, l’agence nationale de l’AMO, le conseil de la concurrence … devrait s’en charger.
La mise en place d’un Observatoire national pour surveiller les prix des médicaments en fonction de la tendance des prix, est aussi de mise. Les organismes gestionnaires de l’AMO et du RAMED, le Conseil national de la concurrence, les acteurs et les professionnels de la santé, les syndicats des pharmaciens, les associations de protection des consommateurs et de droit à la santé doivent siéger dans ces institutions.

 

son parcours

 Il a le sens de la revendication et ce n’est donc pas pour rien qu’Ali Lotfi est syndicaliste. Il vient d’ailleurs d’être réélu pour un deuxième mandat à la tête de l’Organisation Démocratique du Travail (ODT). Ces derniers temps, il milite en faveur des droits des fonctionnaires grévistes, des diplômés chômeurs… Et en tant que président du réseau de l’association marocaine pour la défense du droit à la santé, il se met du côté des personnes, physiques et morales, qui se sentent lésées par les dernières décisions du ministère de la Santé

SON ACTU

Le réseau pour la défense du droit à la santé a réagi à la dernière baisse des prix de 320 médicaments en se fendant d’un long communiqué.

 
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