Interview

Ahmed Rahhou : « Nous avons ouvert une autosaisine sur le sujet des prix »

La conjoncture actuelle marquée par la hausse des prix des matières premières à l’échelle internationale et l’inflation des prix de plusieurs produits sur le marché domestique font que les regards sont tournés vers le Conseil de la concurrence. Dans cette grande interview, le Président du Conseil de la concurrence fait le point sur les questions qui font l’actualité dans son domaine d’action et qui préoccupent les citoyens et le monde des affaires : la hausse des prix, le dossier des hydrocarbures, le projet de loi relatif à la réforme de son instance, les délais de paiement,…

Challenge : En cette période de flambée des prix et quelques jours avant le début du Ramadan, le Conseil de la concurrence a publié un communiqué pour rappeler que les prix des produits, biens et services ne doivent obéir qu’au jeu de l’offre et de la demande. Pourquoi ce rappel inhabituel à propos de la concurrence ?  

Ahmed Rahhou : C’est un rappel à la loi qui précise, qu’en dehors des produits qui sont sur une liste extrêmement limitée, la fixation des prix par des règles autres que le marché est interdite, en ce sens que les opérateurs qui produisent le même bien ou service n’ont pas le droit de se mettre d’accord pour baisser ou augmenter les prix de façon simultanée. Ce n’est qu’avec le jeu normal du marché que chacun doit fixer ses prix et c’est au consommateur de faire son choix. 

Ce rappel à l’ordre est venu à un moment, où on connaît ce qui se passe sur le marché mondial des matières premières qui a vu la flambée des prix de l’énergie, des prix des matières alimentaires, comme ceux d’ailleurs des matières minérales, notamment le fer, le cuivre l’aluminium ou encore les matériaux de construction, du bâtiment, les ustensiles de cuisine en particulier. C’est dire, que nous sommes dans une phase de hausse encore plus qu’avant et que la consultation pour des actions concertées sur les prix est interdite. Nous l’avons évoqué, parce que certains ont essayé de faire cela. Mais, notre rôle aussi, est de rappeler les textes de loi de temps en temps aux opérateurs pour que les règles du marché priment. 

Autrement dit, nous sommes dans une phase de pédagogie vis-à-vis de l’ensemble des acteurs des marchés pour que les règles en matière de concurrence soient mieux connues. Pour avoir fait des études sur le marché, nous savons que les acteurs méconnaissent parfois l’existence d’un Conseil de la concurrence et beaucoup d’entre eux ignorent ce qui est permis, de ce qui ne l’est pas. Notre travail consiste aussi à leur expliquer, quelles sont les pratiques permises et les pratiques interdites.

Je parlais d’entente sur les prix, mais il n’y a pas que cela.  Le fait d’organiser des achats comme des ventes en commun, le fait de partager les marchés ou de se répartir des zones commerciales, tout cela est interdit. Notre rôle est de le faire savoir, pour que les acteurs de la concurrence puissent agir en connaissance de cause. En cette période de flambée des prix, il est encore important que le jeu du marché fasse que les prix se construisent en fonction des capacités, des stocks, des prix d’achat de chacun. En tout cas, c’est ce que la loi prévoit. 

Challenge : Est-ce qu’il vous arrive de faire une autosaisine concernant justement les prix ? 

Nous avons évidemment, la possibilité par la loi de nous faire saisir nous-mêmes. Les pratiques illicites peuvent être signalées au Conseil par des acteurs du marché, notamment par des associations et des entreprises comme par des organismes étatiques ou encore des organismes de régulation. Tous ceux qui constatent une pratique illégale sur le marché liée à la concurrence, peuvent saisir le Conseil. Mais effectivement, le Conseil peut de lui-même s’autosaisir d’un certain nombre de sujets. D’ailleurs à ce titre, nous avons bel et bien ouvert une autosaisine sur le sujet des prix. 

Alors, notre objectif n’est pas de dire si les prix sont très hauts ou très bas. Ce n’est pas notre rôle. Notre mission consiste à dire est-ce qu’il y a eu entente, déformation des prix par rapport aux règles normales. Imaginez, pour un produit importé où la matière première augmente de 20%, il est légitime de trouver une hausse équivalente sur le marché. Mais si les prix ont augmenté de 20% au niveau des matières premières et que la hausse des prix finaux est de 100%, il est clair que quelque chose ne va pas.  Dans ce contexte, l’étude sur le sujet des prix que nous avons lancée, nous amènera à identifier éventuellement s’il y a des secteurs où il y a des corrélations entre les matières premières à la base et les prix constatés sur le marché. Dans ce cas, nous allons ouvrir une autre saisine non pas pour une étude, mais pour une enquête.

Ainsi, nous irons comme la loi nous autorise, voir sur place, le marché et les opérateurs. Nous avons un pouvoir d’investigation que nous mettrons alors en œuvre. Mais nous ne voulons pas préjuger. J’ai coutume de le rappeler, car cela fait partie aussi de la pédagogie :  le Conseil de la concurrence a un pouvoir de sanction, mais il n’exerce ce mandat que dans le cadre d’une enquête. Comme les jugements dans les tribunaux, il faut des preuves parce que n’importe qui est sanctionné par le Conseil, peut contester cette décision devant la Justice. C’est pour cela que l’on procède par étapes. Mais pour nous, c’est important aussi que les acteurs sachent que certaines pratiques sur le marché peuvent donner lieu à des sanctions extrêmement lourdes. 

Challenge : Est-ce à dire que l’Observatoire des prix et de la concentration sectorielle, que vous êtes en train de mettre en place, répondra, entre autres, à cette préoccupation d’écarter toute entente sur les prix ?

Notre rôle est justement d’observer et réguler mais aussi de veiller au respect des règles.  C’est quoi ces règles? Chacun fixe ses prix librement, puisse accéder au marché et que la concurrence joue. Dans ce jeu, le consommateur est l’arbitre final et le Conseil s’assure que tout le monde respecte les règles. Ainsi, plus le nombre d’acteurs est réduit dans un secteur, plus le risque d’entente est fort. Ce qui doit donc attirer notre attention vis-à-vis de ce secteur, et nous amènera ainsi à le suivre de façon régulière. De même, si les prix augmentent ou baissent d’une façon injustifiée, nous pouvons être aussi amenés à agir. Il s’agit donc des alertes que nous mettons en place pour assurer un suivi.

Challenge : Comment cet observatoire va-t-il fonctionner ? 

Les niveaux de concentration répondent d’abord à un souci de voir quels sont les acteurs sur le marché. Ainsi, le premier travail de cet observatoire est de connaître la cartographie sectorielle par secteurs d’activité. Ce n’est pas une mince affaire car, outre les acteurs multiservices, il y a ceux qui rentrent et d’autres qui sortent. Ensuite, il y a le relevé des prix que l’Etat fait déjà. Nous comptons nous appuyer sur les bases de données existantes.

Nos amis du HCP, par exemple, font des remontées de prix pour calculer l’indice des prix, la mesure de l’inflation. Le ministère des Finances à travers la direction des prix, fait la même chose et d’autres organes de l’État le font également. Nous comptons nous appuyer sur tous ces relevés de prix pour voir ce qui se passe sur le marché. C’est une base de données qui doit être constituée et qui va servir de niveau d’alerte et permettra d’apporter les ajustements nécessaires. 

Bien évidemment, l’alerte ne peut pas venir que de cet observatoire. Elle peut venir d’abord d’acteurs sur le marché ou du secteur étatique, notamment le régulateur sectoriel, l’État ou même le Parlement, qui peuvent nous saisir dans certains cas pour nous demander d’aller voir dans tel ou tel secteur. L’Observatoire est un des outils dont nous disposons pour suivre le marché, mais il n’est pas le seul. 

Challenge : Selon certaines associations de consommateurs, les prix pratiqués dans plusieurs secteurs n’évoluent pas, sans compter les marges qu’elles trouvent souvent importantes. Que leur répondez-vous ? 

Nous répondons qu’à des sollicitations formelles car nous sommes une institution constitutionnelle. Nous avons une obligation de sauvegarder les intérêts des autres, donc nous ne sommes pas des commentateurs de l’actualité. Nous agissons lorsque nous avons des dossiers. Les acteurs ont ainsi le droit, s’ils constatent des choses qui leur paraissent anormales, de nous écrire. 

Ce que nous souhaitons, est qu’au minimum les faits soient étayés. Quand vous portez plainte au tribunal contre quelqu’un ou contre une société, ce n’est pas juste pour parler au juge, vous venez avec un dossier qui dit voilà ce que je lui reproche et voilà les faits que j’ai relevés. Nous ne sommes pas un tribunal, mais plutôt une juridiction administrative qui a un pouvoir de sanction et qui obéit aux mêmes règles de protection de la défense et des parties, que la justice. Donc, ceux qui sont accusés ont le droit de faire entendre leur voix et de se défendre. Nous ne demandons pas aux acteurs dans ce genre d’appréciation de nous contacter. Ils ont tout à fait le droit de le faire, mais venir avec des faits avérés et un minimum d’informations. Nous ne leur demandons pas de faire une enquête approfondie, c’est notre boulot. 

Quand il s’agit de dire que les marges ne sont pas fortes, après tout, les données sont publiques pour les entreprises. N’importe qui peut aller vérifier quel est le bilan de l’entreprise et qu’est-ce que ce secteur-là gagne ou ne gagne pas. J’attire aussi l’attention de ne pas confondre le chiffre d’affaires avec les marges. Si un chiffre d’affaires augmente, cela ne veut pas dire que la société gagne plus d’argent qu’avant.

Challenge : Le projet de loi relatif à la réforme du Conseil de la concurrence, vient d’être adopté en Conseil de gouvernement. Ce dernier, a également approuvé le projet d’amendement de la loi sur la liberté des prix et de la concurrence. Ces textes seront bientôt transférés au Parlement. Concrètement, qu’est-ce qui va changer pour le Conseil de la concurrence ?

Ces deux lois sont complémentaires. Lors de ma nomination par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Que Dieu L’assiste, il y a eu un communiqué du Cabinet Royal indiquant au Gouvernement de revoir le cadre régissant ces deux volets, notamment sur la liberté des prix et de la concurrence et la loi sur le Conseil de la concurrence. Nous nous sommes investis de cette mission dès le départ et avons évidemment communiqué au gouvernement, non pas nos desiderata, mais nos remarques sur le texte actuel. Le Conseil de la concurrence a alors fait savoir à l’Exécutif les pistes d’amélioration qu’il estime nécessaires. Ainsi, le gouvernement selon ses prérogatives a tenu compte de tout cela pour faire son projet et nous attendons avant de rentrer dans le commentaire détaillé, de connaître la version finale qui sera remise au Parlement, ce qui n’est pas à ma connaissance encore le cas. Dès que cette version sera rendue publique, nous la commenterons dans le détail. Pour le moment, nous attendons d’avoir la version définitive. 

Challenge : Le Conseil de la concurrence a produit un nouveau guide de la mise en conformité des entreprises au titre de la concurrence. Pensez-vous que le monde des affaires connait bien le rôle du Conseil ? 

Clairement non. Le rôle du Conseil n’est pas connu, on a même fait des études là-dessus qui montrent qu’à part quelques entreprises plutôt de grande taille, très peu de PME/PMI connaissent le Conseil. Ne pas connaître le Conseil, ce n’est pas grave, mais ne pas connaître la loi, l’est. Or, la loi qui régule la concurrence est un élément essentiel de l’organisation du jeu sur le marché. Toutes les entreprises ne savent pas ce qui est autorisées à faire en la matière et ce qui est illicite. D’où l’objet de ce guide qui a une vocation pédagogique pour dire aux entreprises, voilà vos droits et vos devoirs. Parfois, les acteurs croient que la loi sur la concurrence ne leur octroie que des obligations et non des droits.

Si on prend un investisseur qui investit dans un secteur donné, évidemment, il mise pour gagner de l’argent, il faut qu’il puisse accéder au marché, qu’il puisse commercer librement, donc il faut le protéger contre les pratiques illicites. Par exemple, contre quelqu’un qui l’empêche d’accéder au marché, contre des acteurs qui s’entendent pour casser les prix à son détriment, contre ceux qui augmentent trop les prix pour gagner plus et pouvoir peut-être se donner des avantages concurrentiels… tout cela est interdit. 

Je prends un autre exemple très précis :  imaginez une entreprise qui vend un produit sur tout le Maroc. Supposez que votre commercial qui vend vos produits, se mette d’accord avec le commercial de votre concurrent et lui dise tu vas vendre dans l’est de la ville et moi je prends l’ouest. Cette pratique est interdite. Les entreprises concernées vont nous dire ce n’est pas nous qui avons décidé de cela, ce sont nos commerciaux. Or, la loi ne dit pas cela. Au vu de cette loi, quand votre commercial a fauté, c’est l’entreprise qui est en faute, même si vous n’avez pas donné d’instruction. 

Ce guide sert, en effet, à dire aussi aux entreprises, méfiez-vous des cas pareils et nous pouvons vous aider à mettre en place les procédures pour permettre que cela n’arrive pas où quand ça arrive, c’est en connaissance de cause. Il n’est pas juste un guide pour présenter la loi, il permet de mettre en place ce que l’on appelle  un programme de conformité, c’est-à-dire comment l’entreprise doit se doter de mécanismes internes pour que les règles soient connues et respectées. Maintenant, si l’entreprise n’est pas dotée de ces mécanismes, elle risque de tomber sur le coup de la loi et lorsque le Conseil sanctionne, il ne sanctionne pas les personnes, mais les entreprises. Bien évidemment, certaines pratiques encore plus graves peuvent donner lieu à des dépôts de plaintes auprès du tribunal. À ce moment-là, cela devient du pénal. 

Challenge : Quid du consommateur ? Connaît-il le rôle du Conseil ? 

Nous ne sommes pas évidemment un interlocuteur du consommateur directement. Il ne peut nous saisir que par le biais des associations de protection des consommateurs. La loi leur a donné ce droit, pourvu qu’elles soient d’ailleurs d’utilité publique. Nous avons affaire à des acteurs dont le rôle est reconnu par les textes. Mais, je tiens à préciser que le Conseil, à travers son rôle, est d’atteindre quatre objectifs de la concurrence qui sont en sa faveur. Il faut d’abord, que le produit soit disponible. Ce point paraît normal pour parce que nous sommes dans notre pays où, Dieu merci, grâce à la politique de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Que Dieu L’assiste, et tous les efforts qui ont été déploiyés pour le Royaume, nous avons une économie qui ne connait pas de pénurie, où il n’y a pas de restrictions. Nous avons tous les produits que nous voulons, même dans les coins les plus reculés du pays.

Deuxième point, c’est le choix ; en effet, quand un produit est vendu par un seul, vous êtes à la merci de celui-ci. Aujourd’hui vous voulez acheter n’importe quel produit, vous allez trouver trois, quatre, parfois dix marques. 

Troisième élément, la qualité ; effectivement, les produits que l’on vous offre sont des produits de bonne qualité. Vous n’avez même pas à vous poser la question ; ce qui n’était pas le cas autrefois.  Aujourd’hui, vous avez des produits sûrs, qui sont contrôlés. 

Et le quatrième point concerne le prix. Donc, un produit disponible avec le choix, la diversité, la qualité et à un bon prix. C’est cela la concurrence. 

Nous devons veiller à ces quatre éléments en même temps et le prix n’en est qu’une composante. Je ne dis pas que le prix n’est pas important, mais je crois qu’il faut voir que la régulation d’un marché, qui est basé sur ces composantes. Or, en matière de concurrence, plus le nombre d’acteurs est important plus nous arriverons à atteindre ces quatre objectifs. C’est parce que nous avons une économie ouverte où les règles de la concurrence jouent malgré tout, qu’on a en général ces quatre éléments. 

Maintenant, quand les prix montent comme c’est le cas aujourd’hui à cause des matières premières, il ne faut pas que les acteurs en abusent pour augmenter leurs marges. C’est ce que nous allons regarder dans le cadre de l’autosaisine que nous sommes en train de faire. Il s’agit de voir clairement, si tout cela ne vient que de l’importation des produits ou d’autres choses. Je rappelle à ce titre, que nous avons signé des conventions avec l’Administration des douanes et la Présidence du ministère public, si nécessaire, le Conseil ira enquêter sur le marché, y compris avec des procédures extrêmement intrusives. 

Challenge : Voilà pratiquement une année, que vous êtes à la tête du Conseil. Quel bilan tirez-vous ? 

Le mot bilan est en général quelque chose que l’on prononce quand on part, pas quand on arrive (rires). Pour cela, je ne veux pas parler de bilan. Je dirais plutôt où est-ce que nous en sommes. C’est un point d’étape. Comme vous le savez, les premiers organes de contrôle de la concurrence, et la concurrence datent de la fin du 19ème siècle, presque un siècle et demi. Ils ont vu le jour aux États-Unis avec le démantèlement des gros opérateurs comme Standard Oil, ATT…, des cas emblématiques. En fait, pourquoi les États-Unis qui sont une économie très ouverte sont arrivés à cette situation ? Quand vous avez un acteur qui devient dominant, il fausse les règles, au détriment évidemment du consommateur, parfois même au détriment du régulateur qui est l’Etat. 

Même la Chine est en train de le faire. Aujourd’hui, les règles de concurrence sont un peu partout les mêmes dans le monde. Au Maroc, nous sommes dans un process de mise en place et de renforcement des règles de la concurrence qui, dans d’autres pays, a déjà plusieurs dizaines d’années de vie. Mais malgré tout dans ces pays, cela progresse tout le temps. Comme je l’ai dit tantôt, nous sommes dans une phase pédagogique pour apprendre aux gens au maximum quels sont leurs droits et leurs devoirs. Je crois que si l’on fait un bilan d’étape aujourd’hui, avec la sortie du guide de conformité, les avis que nous avons émis à la demande du Gouvernement qui est censé nous consulter, je crois que nous avons aujourd’hui un régulateur qui est en bon état de marche. 

Maintenant la lutte contre les mauvaises pratiques, c’est au quotidien. Pour cela, nous comptons réellement augmenter notre capacité d’action, renforcer nos équipes. Nous voulons être un acteur aussi utile pour l’aspect législatif et réglementaire à travers des avis que nous livrons, mais nous comptons aussi accompagner les entreprises, leur expliquer, écouter leurs doléances et, en même temps, être extrêmement sévère contre ceux qui transigent avec la loi. 

Challenge : Aujourd’hui, quels sont les autres chantiers en cours ? 

Nous avons un certain nombre de chantiers ouverts, y compris sur des secteurs d’activité que nous sommes en train de regarder. Évidemment, je ne peux pas en parler tant que nous n’avons pas terminé. Là encore, je tiens à souligner que quand le Conseil se prononce, d’abord comme son nom l’indique, c’est un Conseil qui veut dire qu’il y a un groupe de personnes, un collège. Ce n’est pas un président qui se réveille le matin et qui dit voilà ce que fait le Conseil, voilà comment on va faire. Ce sont des dossiers qui sont instruits par des enquêteurs que nous appelons des rapporteurs et des analystes, lesquels sont soumis à ce collège, composé de 12 membres, plus le président, ainsi qu’un Commissaire du Gouvernement. Ce collège va ensuite analyser les dossiers et trancher lorsqu’il y a lieu de sévir ou de sanctionner, ou lorsqu’il s’agit de publier un avis. 

Nous avons un process à cadrer dans lequel on est à l’écoute du marché. Vous savez, on ne sort jamais un avis sur un sujet ou sur une sanction avec des orientations si nécessaires pour un certain nombre de secteurs, sans que les acteurs eux-mêmes ne soient largement écoutés. On a un défilé presque permanent d’acteurs qui viennent au Conseil pour des auditions où on les interroge sur ce qui se passe et leur demande évidemment de se justifier le cas échéant. 

Challenge : Beaucoup de consommateurs ont découvert l’existence du Conseil avec le dossier des hydrocarbures. Où en est cette affaire ? 

Cette affaire n’est pas encore traitée. Dans l’attente de la nouvelle réglementation, la nouvelle loi qui est en train d’être amendée, est en cours. Comme je l’ai déjà expliqué à maintes reprises, ce dossier a été montré du doigt pour des dysfonctionnements. Suite à cela, il y a eu des changements et une modification des textes comme indiquée dans le communiqué du Cabinet Royal concernant ce dossier. Nous estimons que ce dossier qui reste entre les mains du Conseil de la concurrence, sera traité, mais nous allons le faire dans le cadre de la nouvelle version de la loi. Dès qu’elle sort, ce dossier sera rouvert. 

Challenge : Récemment, vous avez émis un avis sur les délais de paiement. Pourquoi ? 

Là aussi, nous sommes interrogés par le Gouvernement ; d’ailleurs, je tiens à expliquer que les délais de paiement font partie des règles de la concurrence. Cela peut choquer. En fait, quand quelqu’un dans un marché est payé ou pas payé, ses capacités financières peuvent changer. Or, si vous ne payez pas quelqu’un, vous le mettez en situation d’infériorité. Il n’a pas l’argent qu’il devrait avoir par rapport à ses concurrents. Ainsi, le non-paiement dans le délai des factures gêne et perturbe le jeu normal de la concurrence. Si un acteur est payé dans les délais, il peut par sa trésorerie agir et un autre qui ne l’est pas ne peut même pas rémunérer ses salariés.

Vous créez un biais concurrentiel, or le marché global a intérêt à ce qu’il y ait un maximum d’acteurs possibles. Comme je vous l’ai dit, la multiplicité des acteurs, c’est la bonne protection contre les abus. Autrement dit, quand on ne paye pas, cela peut faire disparaître des acteurs. Pour cela, le gouvernement veut modifier le code de commerce dans la partie qui parle des délais de paiement en créant une amende pour toute facture non payée dans ses délais normaux. 

Comme c’est un sujet qui touche la concurrence, il nous a interrogés pour avoir un avis que nous avons publié, dans lequel nous avons voulu de façon globale rendre ce système plus efficace et plus équitable avec moins de discriminations. Par exemple, actuellement, seules les factures supérieures à 10 000 DH peuvent faire l’objet d’une amende. Nous nous sommes dit que ce n’est pas juste pour les petites entreprises qui peuvent émettre des factures de 1.000 ou 2.000 DH voire 500 DH. Il faut aussi les protéger, à l’instar de celles qui émettent 15 000 DH. Pour plus d’efficacité également, nous avons proposé que cela soit déclaré tous les trois mois et non chaque année. De plus, nous avons suggéré qu’il soit basé sur le système de déclaration de facture qui existe déjà, celui permettant à l’État de collecter la TVA. 

Dans notre avis, nous avons également proposé que quand quelqu’un n’est pas payé, l’amende pour celui qui ne l’a pas payé soit versée à l’Etat. Nous avons souhaité que la personne ou bien son entreprise qui a subi le préjudice de ne pas être payé, reçoive une sorte d’attestation qui lui permet d’aller réclamer ses droits au tribunal. Car, l’amende peut être payer sans que cela ne soit le cas pour la facture. Mais si l’État lui donne l’attestation, elle peut beaucoup plus facilement aller s’adresser au tribunal pour qu’il y ait une injonction afin que la partie défaillante paye avec les intérêts additionnels. 

Challenge : Avez-vous les ressources humaines, pour tous ces chantiers que vous voulez mener ?

Nous sommes en train de recruter une dizaine de rapporteurs, qui se rajoutent aux 14 que nous avions déjà. C’était prévu d’ailleurs dans les budgets. Ce n’est pas quelque chose que j’ai rajouté personnellement. Nous avons trois grands métiers sur lesquels nos effectifs interviennent. D’abord, le métier administratif qui autorise les concentrations avec les créations de sociétés. Cela nous prend du temps, on est passé de 60 dossiers par an à 120 ; on finira certainement, cette année à 140 ou 150.

Chaque dossier nécessite une étude. Nous avons aussi les avis comme celui qu’on vient d’émettre en réponse sur les délais de paiement au Gouvernement, sans compter les avis que nous soumettons nous-mêmes. Ce sont des autosaisines, notamment celui sur les prix qui démarre. Et on en a quand même quelques-uns comme ça. Ils sont en cours et cela sortira dans les prochaines semaines. Enfin, nous avons également la partie litige contentieux : c’est quand les acteurs viennent se plaindre. Là aussi, nous pouvons, soit recevoir les plaintes, soit les déclencher nous-mêmes si nous avons une suspicion. 

Challenge : S’agissant des notifications, beaucoup d’entreprises étrangères d’une manière générale, saisissent le Conseil. Quel est l’intérêt de s’intéresser à une concentration qui se passe ailleurs ? 

En fait, nous sommes un marché ouvert ; ce qui se passe dans le monde peut toujours avoir une conséquence chez nous. La loi a prévu ces cas de figure et ce n’est pas spécifique au Maroc. Vous avez peut-être une fusion qui se fait à l’étranger, mais les deux parties qui fusionnent ont des représentants, ou ont des produits qui se vendent au Maroc. Notre devoir est de protéger l’économie nationale. 

Imaginez qu’il y a cinq produits qui se vendent qui font la même chose et qui sont tous importés et que quatre parmi ces cinq sociétés fusionnent. Nous pouvons avoir un avis contre ce type de fusion, parce que son impact sur le Maroc peut être important. Or dans ce type de choses, le problème n’est pas de dire oui ou non, c’est la nuance qui est importante. C’est-à-dire que nous pouvons dire oui avec les conditions et on l’a déjà fait.

Par exemple, nous pouvons dire vous sortez de ce marché, vous ne vendez pas ce produit, il faut le laisser aux concurrents. C’est un peu la pratique au niveau mondial où vous dites aux acteurs vous êtes trop grands, maintenant vous ne pouvez pas garder tout votre périmètre. Vous avez acheté ceci, mais vendez cela en contrepartie pour ne pas créer de position dominante qui sont toujours nuisibles à l’économie. On est là dans la protection du faible par rapport au fort et le Conseil sert à cela. Nous veillons ainsi, sur les concentrations internationales qui ont un impact sur le Maroc.

 
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