Autonomie financière locale et territorialisation de la décision
Finances publiques. Les huitièmes rencontres de la Fondation des Finances Publiques (FONDAFIP) ont pu réunir à la Trésorerie Générale du Royaume, décideurs et chercheurs pour débattre du thème choisi cette année, à savoir : «Quelles synergies entre les finances de l’Etat et les finances des collectivités territoriales ?». par Driss Al andaloussi
Lors de la séance inaugurale Mohamed Boussaïd, ministre de l’Economie et des Finances a qualifié la continuité du Colloque International des finances Publiques de « succes story ». Huit rencontres de haut niveau et touchant à toutes les problématiques liées à la gestion de l’argent public ont été tenues depuis le démarrage de cette initiative. Après avoir mis l’accent sur le regard porté sur l’économie et les finances du Maroc par l’extérieur et rappelé les points gagnés en croissance en évaluation des taux de confiance et indices financiers et macroéconomiques, le ministre est revenu aux questions qui font toujours obstacles à une réelle territorialisation de la croissance et du développement. Les chantiers sont énormes et ont besoin d’une volonté et surtout d’un courage politique. Les dysfonctionnements de la gestion territoriale trouvent leur explication, entre autre, dans la faiblesse des moyens financiers des territoires, dans le retard pris dans la transformation du rôle des collectivités territoriales et dans l’absence d’une autonomie réelle dans leur gestion financière. Le ministre a insisté sur le rôle de la solidarité à travers une péréquation entre les régions, ainsi que sur la nécessaire adéquation entre la réforme des finances publiques et les finances territoriales. Ces chantiers sont intimement liés aux projets de réforme de la région, de la décentralisation et de la déconcentration et impliquent une attention spéciale à la ressource humaine au niveau des territoires. Le pilotage selon une logique de gestionnaire et de responsabilité managériale exige une nouvelle génération des réformes.
Le caractère mixte du colloque (Maroc- France) induit parfois des comparaisons inappropriées. Au moment où les investissements des collectivités territoriales réalisent en France environ 70% de l’investissement public, nos collectivités dépassent difficilement 10,9 milliards de DH, soit moins de 10% de l’investissement public.
S’ajoute à cet indicateur un faible taux d’exécution de cet investissement s’établissant à 43% seulement en 2013. Ce taux est nettement en deçà de celui réalisé en 2008 (51%). Les problématiques des collectivités territoriales en France sont loin de nos « primitifs «déséquilibres qui font le quotidien de la gestion locale. Au moment où nous discutons encore du Certificat d’études primaires pour admettre qu’un citoyen marocain puisse accéder au poste d’élu ou même de président de collectivité, ils parlent en France de schémas régionaux de développement, du soutien de l’entreprise à l’international et même de la gestion financière s’apparentant à celle du secteur privé. Nos problèmes marocains s’appellent manque de moyens humains, politisation à outrance du travail communal, personnel politique local inadéquat et manque de moyens de financement des services publics communaux. La fonction publique communale est devenue un fardeau budgétaire qui ne permet aucune vision à long terme.
Le huitième colloque a été marqué par des interventions de qualité et par une rigueur dans le traitement des différentes problématiques. Le professeur Bouvier, président de FONDAFIP a élevé le débat et a procédé lors de son exposé à l’ouverture à des constats d’une dureté méthodologique. Depuis 40 ans, nous vivons dans un contexte de crise des finances publiques et nous interdisons au niveau de nos attitudes intellectuelles de nous lancer dans des projets d’envergure. Toutes les voies classiques ont été empruntées en matière de réforme (offre, demande, baisse et hausse des impôts » et nous n’avons récolté comme résultats, que des creusements des inégalités. La culture du gestionnaire expert est mise en avant, au détriment des choix politiques. Et pendant ces années, des mutations du modèle social et économique s’opèrent sans qu’elles ne soient pensées selon des schémas rationnels ou choisis. Ce n’est que par l’audace intellectuelle qu’on peut mettre en place une nouvelle architecture de nos liens sociaux et affronter un système déshumanisé. Parler du pouvoir financier sans se rendre compte que ses centres se sont démultipliés, ne peut faciliter la restitution intégrale de l’ensemble des comptes publics. Nécessaire est donc d’investir à nouveau le processus de décision. Pour cela, il faut bâtir un ordre des « autonomies relatives et transversales ». L’intervention de Bouvier a semblé-t-il eu un impact d’entrainement sur le reste des intervenants. La référence « Bouvier » a été citée par une grande partie des intervenants.
Le ministère de l’Intérieur a enregistré une forte présence à travers la présence et la participation active de son Secrétaire général, son directeur général des collectivités locales, le Wali de la région du Gharb Chrarda Bni Hsen et le gouverneur, directeur des finances locales. Tous les aspects de la gestion locale et les perspectives de réforme ont évoqué dans un esprit de recherche des solutions aux difficiles relations financières entre l’Etat et les collectivités. Les données sur l’évolution du modèle du « pouvoir local » marocain ont abondamment meublé les exposés et quelques pistes du projet de réforme de la région des collectivités ont été avancées sans qu’une annonce ne soit faite au sujet des prochaines étapes de la réforme. L’équilibre est toujours un point difficile à atteindre pour atténuer la dépendance de la collectivité territoriale à l’égard de l’Etat.
Les données sur le transfert du centre aux territoires font que 76 % des ressources des collectivités sont transférés ou gérés par L’Etat. A quand une vraie autonomie financière ? Une question qui n’a pas reçu de réponse lors de ce colloque. L’autonomie fiscale est encore plus difficile à atteindre. Un des moments forts du colloque a été réservé à l’écoute des expériences et notamment, celle du maire de Casablanca. Avec un calme bouddhiste, Sajid a fait part de son expérience de passage de la gestion d’une commune de 5 000 habitants, à celle d’une métropole de 5 millions. Equiper cette grande ville pour qu’elle réponde aux exigences d’une vie citoyenne normale nécessite des ressources financières énormes. Le plan du transport urbain nécessite à lui seul, 60 milliards de dhs alors que les ressources disponibles sont absorbées par un personnel communal pléthorique et rarement qualifié.
Le concept d’Etat territorial a fait son entrée dans les discussions sans qu’il ne soit pleinement accepté en tant que qualificatif ayant une portée juridique. En arabe, le mot Etat a une portée normative et politique qui le rend difficile à utiliser pour désigner le pouvoir en dehors du centre.