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L’université pour sortir la nouvelle ville du ghetto

Tamansourt . Premier  projet de ville nouvelle à être lancé en 2004, Tamansourt est rapidement entrée en crise. Méventes et arrêts de chantier se sont succédés, ce qui a donné à la ville l’aspect d’un immense lotissement éclaté, dépourvu de centralité, où émergent quelques îlots construits au milieu de terrains en friches. Les rares résidents souffrent de l’insuffisance des équipements socio-éducatifs et d’un transport urbain inadéquat. par Salim Alattar

Le Ministère de l’Habitat et de la Politique de la ville a initié un projet de relance de Tamansourt qui s’articule principalement autour du transfert de toutes les structures universitaires de Marrakech vers Tamansourt, pour tout regrouper dans un campus universitaire. Il s’agit de doter la ville nouvelle d’un pôle d’activité pour relancer son développement et en faire une ville du savoir.

Au début de la décennie 2000, la ville de Marrakech figurait parmi les cités les plus attractives au niveau national. Elle abrite 35 % de la population de la région et les besoins en matière d’habitat ne cessent d’augmenter pour atteindre 10 000 logements chaque année, tandis que la ville enregistre un déficit de 30 000 logements. Par ailleurs, en ce début de millénaire, le tourisme est en plein essor et la ville est en train de devenir la première destination touristique du pays. La création de la ville de Tamansourt était considérée comme l’une des meilleures solutions pour décongestionner Marrakech.  

Un démarrage prometteur brutalement freiné par la crise immobilière

En quatre ans, Tamansourt va connaître un développement très rapide. Des programmes villas finies ou semis finies sont réalisés, des ensembles immobiliers construits par Al Omrane ou par le secteur privé voient rapidement le jour. Mais dès 2010, le projet commence à s’essouffler pour des raisons qui tiennent à la fois aux conditions de mise en œuvre du projet et à l’évolution de son environnement. Pour ce qui est des raisons intrinsèques, il faut souligner d’abord le fait que le projet manquait de centralité. Les 1200 hectares ont été équipés et ouverts d’un seul tenant à l’urbanisation, sans aucun phasage ni programmation. Du coup, les projets ont commencé à émerger de partout avec d’importantes discontinuités. Ce défaut de programmation a été aggravé par la crise immobilière et l’arrêt de nombreux chantiers. A cela, s’ajoute le fait que la plupart de ceux qui ont acheté l’ont fait non pas pour habiter, mais dans un but spéculatif. Paysage éclaté, îlots construits isolés et non habités, le tout forme un immense lotissement qui ne semble obéir à aucune cohérence d’ensemble. Ce manque de centralité est aggravé par l’absence d’un pôle d’activités majeures pour attirer et retenir la population. Le projet de Ville nouvelle de Tamansourt a également souffert de son environnement. Il y a d’abord l’impact de la crise immobilière qui a fortement sévi à Marrakech, entrainant l’abandon de nombreux projets immobiliers et l’arrêt de plusieurs chantiers. Il y a aussi la surabondance de l’offre dans la ville ocre. Les gestionnaires de la ville ont ouvert d’une façon simultanée plusieurs zones à l’urbanisation, ce qui a conduit à l’effondrement des prix. D’ailleurs, entre Marrakech et Tamansourt autour de Marjane, plusieurs méga projets concurrents sont réalisés à des prix similaires, tout en bénéficiant d’une meilleure localisation. Enfin, il y a l’immense décharge qui est à l’entrée de la ville nouvelle et qui empeste l’air de Tamansourt, faisant fuir beaucoup d’habitants ou d’acheteurs potentiels à la santé fragile.

Tous ces facteurs réunis ont conduit la ville nouvelle à s’enfoncer dans une véritable crise, dont le traitement nécessite un véritable programme de relance. Avec la création en 2012 d’un département chargé de la politique de la ville, une réflexion en profondeur a été engagée qui a conduit à la mise en place d’un ambitieux plan d’action.  

Le projet de relance à l’épreuve de l’égoïsme des ministères

Contrairement aux idées reçues, le processus de conventionnement s’est avéré difficile et très complexe. On s’est rendu compte que si le Maroc sait faire les grands lotissements publics, il ne sait faire ni les villes nouvelles, ni les projets urbains intégrés. Les ministères n’avaient pas l’habitude de faire des programmations communes sur un territoire, et il n’y avait aucun mécanisme institutionnel pour les y obliger. Commencent alors des négociations difficiles ponctuées par beaucoup de malentendus et d’arrières pensées. Si les services extérieurs adhèrent globalement au projet, ils ont montré beaucoup de réticences vis-à-vis des projets spécifiques qui les concernaient. Très vite, on s’est rendu compte que les autres ministères n’avaient pas de projets spécifiques pour la ville nouvelle. Tout se passait comme si les problèmes de la ville de Tamansourt ne les concernaient pas. Pour eux, c’est un projet du ministère de l’Habitat et il incombe à ce dernier de le gérer de bout en bout et de régler les problèmes qu’ils posent. Les défauts de programmation rejaillissent sur le plan de relance. En effet, les autres ministères n’étaient pas associés à la conception du projet. C’est pourquoi ils découvrent avec stupeur toute la gamme des équipements qui les concernent et qui sont conçus sans eux. Or, chaque ministère a sa propre programmation des équipements qui a été élaborée sectoriellement, selon les spécificités de son secteur et sans concertation avec les autres départements. La carte scolaire a été conçue avec une programmation qui n’a rien à voir avec la carte sanitaire ou le schéma routier ou le plan de déplacement urbain. C’est pourquoi il arrive souvent de trouver l’école sans le dispensaire, le dispensaire sans la route, les zones d’habitats sans les zones d’activités et sans transports…La conséquence est que pour engager les discussions et faire avancer le plan de relance, il fallait reprogrammer l’ensemble des équipements. Partant du constat de déficits qui caractérisent la ville nouvelle, en matière d’équipements d’infrastructure et de proximité, et tenant compte des outils stratégiques réalisés à l’échelle de l’agglomération de Marrakech, des séances de concertation ont été tenues localement avec les différents départements sectoriels pour étudier leurs programmes d’intervention à moyen terme, ainsi que les actions qu’ils peuvent budgétiser ou co-financer dans un cadre de partenariat. Un premier projet de plan de relance a été envoyé aux ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche Scientifique et de la Formation des Cadres, ministère de l’Education Nationale, ministère de la Jeunesse et des Sports, ministère de l’Equipement et du Transport, ministère de la Santé, ministère de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie numérique, ministère des Habous et des Affaires Islamiques, ministère de l’Economie et des Finances.

Le projet de convention a été d’abord négocié et validé par les partenaires à l’échelle locale sous la supervision du Wali. Dans un deuxième temps, la convention de relance a été soumise à l’avis des départements ministériels concernés. Dans un troisième temps, la convention de relance a fait l’objet d’une réunion au siège du Chef de Gouvernement le 12 décembre 2013, en présence des différents partenaires pour la validation définitive. 

Finalement, la signature de la Convention de relance par l’ensemble des départements ministériels a eu lieu le 09 mai 2014 dans une cérémonie officielle, en présence de l’ensemble des partenaires, pour annoncer le démarrage de la mise en œuvre. 

L’université au cœur du projet de relance de Tamansourt

Parmi les projets phares du plan de relance, figure le déplacement de l’Université de Marrakech vers Tamansourt. Actuellement, la plupart des facultés de cette ville se trouvent éparpillées et étroitement entourées d’îlots d’habitation plus ou moins denses, ce qui est à l’origine de nombreuses tensions et conflits d’usages. Par ailleurs, l’Université est en pleine croissance et a du mal à accueillir les effectifs des étudiants qui augmentent de plus de 15000 étudiants par an. Faute d’espace, les responsables densifient les locaux pour accueillir le maximum d’étudiants, ce qui rend les facultés de Marrakech les plus denses et des plus explosives. Très vite, les grèves et/ou les émeutes des étudiants prennent en otage des pans de la ville et mettent les autorités à rude épreuve dans une ville qui accueille l’essentiel du tourisme international.

Rapidement et à la faveur de l’arrivée d’un nouveau président d’université qui rêvait d’un grand parc universitaire à l’américaine et du changement de Wali qui était contre la création d’une forte concentration d’étudiant au même endroit, le consensus s’est établi sur le fait que seul Tamansourt dispose de l’assiette foncière publique suffisante , de surcroît ouverte à l’urbanisation et équipée et qui peut accueillir un complexe universitaire multifonctionnel. Une concordance d’objectif entre le ministère de l’Habitat et l’Enseignement supérieur va fournir l’ossature autour de laquelle va se construire le plan de relance et qui va fournir à la ville de Tamansourt son pôle universitaire qui va la transformer en ville du savoir. 

Le futur Campus universitaire Cadi Ayyad sera édifié sur une superficie de 170 ha et nécessitera pour sa réalisation un budget de 1100 millions de DH échelonné sur cinq ans. 

D’un coût global de 1356,7 millions de dirhams, la convention de relance prévoit également la réalisation à l’horizon temporel de 2018, d’autres actions majeures d’aménagement.

Il est bien certain que l’impact de tous ces projets structurants ne se fera sentir que dans le moyen terme et tout dépend du rythme de réalisation du pôle universitaire et du taux de remplissage de la zone d’activité. Dans l’immédiat, il faut surtout s’employer à résoudre les problèmes quotidiens des habitants qui sont à la fois simples et complexes : une meilleure scolarité pour leurs enfants, des moyens de transports suffisants et adéquats, de la sécurité… Si ces problèmes ne sont résolus, le sentiment d’exclusion persistera et l’image de Tamansourt en pâtira. 

 
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