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Contrôle de la sécurité alimentaire : les failles d’un système

Dans un climat de stupeur et de psychose naissante, les Marocains se sont alarmés, depuis le début du mois sacré du ramadan, avec la découverte d’un réseau mafieux de tromperie et de fraude alimentaires organisé à grande échelle. Les énormes stocks de produits, impropres à la consommation, saisis font que chacun de nous est devenu une victime potentielle de cette escroquerie. La fraude aurait-elle pu être détectée plus tôt et le scandale évité ? En tous cas, l’affaire renseigne sur les difficultés de contrôle des produits qui atterrissent dans nos assiettes et ce, tout au long de la chaine alimentaire. par Abdelfettah Alami

La sécurité des produits alimentaires prend aujourd’hui de nouvelles dimensions et se pose dans des termes particulièrement différents. L’importance prise par les mouvements consuméristes et par les moyens de communication ont suscité une attention et une prise de conscience sur des questions qui touchent directement la santé du citoyen. Si le concept s’est construit, dans le passé, autour d’un impératif d’approvisionnement de la population en produits et denrées alimentaires, l’évolution s’est construite, par la suite, sur une exigence qualitative. Les crises sanitaires majeures connues dans plusieurs pays du monde ont renforcé ce besoin de sécurité et la nécessité, pour le législateur, de mettre en place le cadre juridique adéquat pour la protection du consommateur.
Le dispositif réglementaire adopté est impressionnant, car il ne s’agissait pas uniquement de combler les insuffisances des règes existantes en la matière, mais de mettre en œuvre une véritable politique alimentaire à l’échelle nationale.

Opérations coup de poing et constat cauchemardesque !

Cette obligation de sécurité, instituée par les textes, a une portée très large. D’abord, au niveau de la définition ; une denrée alimentaire est considérée comme dangereuse si elle est préjudiciable à la santé et si «elle est impropre à la consommation humaine».  Pour cela, il est tenu compte des conditions d’utilisation normales de la denrée alimentaire par le consommateur, à chaque étape de la production, du traitement, de la distribution et de l’information fournie au consommateur, particulièrement l’étiquetage. Par ailleurs, les exploitants dans la chaine alimentaire doivent veiller à toutes les étapes de la production, de la transformation, de la conservation et de la distribution à ce que les produits à commercialiser répondent aux prescriptions légales d’hygiène et de sécurité. Enfin, une obligation non moins importante, celle de la traçabilité des denrées alimentaires à l’aide de documents fiables permettant d’identifier les intervenants dans le circuit de la production.
Qu’en est-il sur le terrain ?
La série des découvertes de produits impropres à la consommation, qui ne s’arrête pas encore, apporte chaque jour son lot de mauvaises surprises, les unes plus sombres que les autres. Les infractions relevées touchaient aussi bien les conditions d’entreposage des produits alimentaires que l’étiquetage et les conditions d’hygiène.
Rappel des faits frauduleux recensés : dans un communiqué de l’Office National de Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires (ONSSA), les investigations opérées par ses brigades de contrôle, au courant de la première semaine du ramadan, dans le cadre de commissions provinciales et préfectorales ont abouti à la saisie et à la destruction des produits impropres à la consommation, notamment : 45.037  kg de dattes, 59.500 kg de farine, 6.200 kg de fruits secs, 4.945 kg de pâtes alimentaires et couscous, 40.147 kg de margarine, 42.397 kg de chocolats, 42.397 litres de jus et nectars, 20.524 litres eaux minérales, 74.000 litres de boissons, 6.250 litres d’huiles alimentaires, 15 tonnes de viandes blanches; 6.500 kg de viandes rouges, 1.500 kg de produits à base de viandes, 25.932 kg de produits de la pêche, 40.000 kg de produits laitiers (principalement le beurre), 777 kg de produits de la ruche et 3 .797 unités d’œufs de consommation.
Plus hallucinant, plus de 15 tonnes de poisson congelé avarié, de divers types, ont été saisis et étaient stockés dans un entrepôt frigorifique situé en plein centre de Casablanca dans des conditions insalubres et dont le propriétaire ne dispose pas d’autorisation de la part des services de l’ONSSA.
Evidemment, tous ces produits étaient prêts pour être écoulés sur le marché local et finir dans les assiettes des consommateurs.
L’affaire Alouani, propriétaire d’entrepôts de produits périmés et impropres à la consommation dans plusieurs villes du Royaume, a donné le tournis. Interpelé ce 15 juin à Fès, le prévenu finançait, à partir de son produit de vente, l’organisation terroriste «Daech».

Où est passé le contrôle ?

Les récentes découvertes démontrent, si besoin est, que la problématique de la sécurité alimentaire prend, aujourd’hui, une nouvelle dimension et nous interpelle tous sur l’efficience et l’efficacité des systèmes de contrôles mis en place, pointés du doigt en raison de risques réels qui pèsent sur la santé du consommateur.
Les risques qui pèsent aujourd’hui sur la santé du consommateur, compte tenu de leur ampleur et des ramifications qu’ils prennent, deviennent un sujet de préoccupations majeures pour l’opinion publique. La multiplication systématique de ces faits frauduleux nécessite une action préventive et répressive en même temps. Les failles qui ont mené au scandale, liées au système de contrôle, risquent de briser le lien avec le consommateur qui serait enclin, à juste titre, de douter de la qualité de tout ce qu’il achète sur le marché. Or, l’objectif incontournable du contrôle est de nourrir, en permanence, cette confiance chez le citoyen en lui fournissant des produits saints et en lui assurant un environnement répondant à des conditions et des paramètres de qualité. Cette approche, malgré l’existence d’un organisme fiable de contrôle- l’ONSSA- et d’un arsenal juridique de sanctions administratives et pénales en cas d’infractions, n’a malheureusement pas jusqu’à présent dissuadé les fraudeurs.
Il est vrai que l’ONSSA, en tant que garant de la sécurité sanitaire des produits alimentaires, dispose d’attributions assez larges pour assurer ce genre de missions. Il est chargé, en effet, d’«appliquer la politique du gouvernement en matière de sécurité sanitaire des végétaux, des animaux et produits alimentaires depuis les matières premières, jusqu’au consommateur final…» (Article 2 de la loi N° 25-08 portant création de l’ONSSA) et de délivrer les autorisations ou les agréments sanitaires à tous les établissements de production, de traitement, de manipulation, de transport, d’entreposage, de conserve ou de mise en vente.
Pour ce faire, l’ONSSA dispose, à l’échelle régionale, de structures de contrôle chargées de l’inspection des lieux d’entreposage des produits animaux et d’origine animale, pour s’assurer que les conditions sanitaires et hygiéniques des locaux, des équipements et des conditions de fonctionnement sont conformes à la réglementation en vigueur. Pourquoi, donc, tous ces leviers n’ont-ils pas été actionnés pour détecter, à temps, les pratiques frauduleuses découvertes ces derniers jours ?

Un marquage et une traçabilité qui ne garantissent rien ?

S’il est vrai que l’un des problèmes de la défaillance du système national de contrôle sanitaire des produits alimentaires se situait au niveau de la multiplicité des intervenants dans ce secteur, le regroupement de toutes les entités relevant du Département de l’agriculture qui interviennent dans le domaine du contrôle alimentaire dans une structure, l’ONSSA, a permis d’éliminer les  chevauchements des missions et d’assurer l’unicité et l’efficacité de l’action avec une approche coordonnée.
Mais l’état des lieux marqué par les révélations quasi quotidiennes des contrôles saisonniers renforcés auxquels nous assistons à l’occasion de chaque mois du ramadan, n’inspire pas confiance. Plusieurs indicateurs permettent de nuancer la volonté des autorités de contrôle d’instituer des rapports de confiance et de transparence avec le citoyen.
D’abord, les contrôles n’ont jamais été effectués de manière inopinée. Même si l’option de la visite d’inspection inopinée existe, elle est rarement utilisée. Sans compter que dans une majorité de cas, ce sont des contrôles visuels.
Ensuite, la vente des produits transformés affiche un manque inquiétant de traçabilité. A ce niveau, les contrôles sont quasi inexistants. Il existe un véritable hiatus entre les exigences pour les produits bruts et ce qui se fait aujourd’hui pour les produits transformés. En clair, le consommateur pourrait, à la limite, savoir d’où vient le filet de poulet ou la viande qu’il achète chez son boucher, mais ne peut jamais savoir le poulet ou la viande hachée servis dans le sandwich ou la chawarma qu’il achète. Or, il y a de fortes chances qu’ils proviennent de destinations insalubres. Dans notre environnement marocain, les anecdotes mais véridiques ne manquent pas. L’opinion publique fut stupéfaite, suite à certaines dénonciations suivies de contrôles, de découvrir que des déchets bovins étaient transformés en saucisson pour l’alimentation humaine.
Pour l’obligation d’étiquetage, les pratiques frauduleuses sont monnaie courante. Les tricheries touchent la falsification des dates de péremption, au point que les consommateurs ne sont pas aptes à déterminer si le produit est propre ou non à la consommation. En plus, pour connaitre les composantes du produit, qui est capable, aujourd’hui, de lire une étiquette agroalimentaire à part quelques spécialistes ? Enfin, si l’ONSSA est censée intervenir tout au long de la chaine alimentaire, de « la fourche à la fourchette », il est dans l’incapacité totale de contrôler des produits écoulés sur le marché informel où les risques à la santé alimentaire sont d’un degré extrêmement élevé.

 
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