Et si le Maroc s’inspirait des pays qui ont décidé de passer à une gestion endémique du coronavirus?
Malgré des contaminations records recensées dans de nombreux pays européens, certains allègent leurs protocoles sanitaires, parce qu’un pic a été dépassé ou parce que les mesures n’ont plus d’intérêt face au variant Omicron, moins virulent. L’Espagne ou encore la Grande Bretagne font le pari de passer bientôt à une gestion endémique du coronavirus et d’arrêter les compteurs. Le Maroc devrait-il leur emboiter le pas ?
Est-il temps d’en finir avec l’actuel système de surveillance de la pandémie, qui s’appuie sur des tests systématiques, le traçage, l’isolement des cas et le comptage ? En Espagne, malgré la virulence de la nouvelle vague provoquée par le variant Omicron, le débat a été lancé par le Chef du gouvernement lui-même. Pedro Sanchez a annoncé que son pays voulait en finir avec la pandémie et passer à la gestion d’une situation endémique après cette vague. Le gouvernement veut rompre avec l’obsession du comptage quotidien des cas d’infection et traiter dans un avenir proche la covid-19 comme une grippe saisonnière avec une surveillance sélective. Sur le terrain, 5 des 17 régions espagnoles ont commencé à mettre en place cette stratégie de façon pilote. Certains estiment que c’est trop tôt, que les Espagnols sont trop impatients, qu’ils veulent forcer la main du destin et qu’ils sont dans un excès de confiance. Mais leur confiance repose sur leur taux de vaccination très élevé : 93% des plus de 12 ans ont déjà reçu deux doses, soit 38 millions de personnes, et 17 millions ont fait la vaccination de rappel.
Mercredi 19 janvier, le Premier ministre britannique a décidé également de mettre fin à une grande partie des restrictions sanitaires en place dans le cadre de la pandémie. Il prévoit, en mars, la fin de l’isolement des cas positifs. À partir de jeudi 27 janvier, le port du masque ne sera plus légalement obligatoire, le télétravail ne sera plus recommandé officiellement et un pass sanitaire ne sera plus imposé pour l’accès aux boîtes de nuit et certains grands rassemblements, a-t-il annoncé. En France, malgré un nombre de contaminations toujours très élevé (plus 400.000 nouveaux cas par jour), le Premier ministre Jean Castex a annoncé à son tour un assouplissement en deux étapes qui va être mis en œuvre avec un premier point d’étape fixé au mercredi 2 février. À compter de ce jour-là, tous les équipements sportifs et culturels pourront retrouver un fonctionnement en pleine capacité, c’est-à-dire sans jauge. Soit un retour à la normale, même si le masque est toujours de rigueur à l’intérieur. Le télétravail, lui, ne sera plus obligatoire et le port du masque ne sera plus exigé en extérieur.
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Le second point d’étape se situe 14 jours plus loin, au mercredi 16 février. À partir de cette date, la consommation dans les stades, les cinémas et les transports en commun sera à nouveau autorisée, tout comme la consommation debout dans les bars. Les discothèques pourront rouvrir aussi.
Au Maroc, si certains estiment que c’est trop tôt, ces initiatives font souffler tout de même un vent d’espoir. Pour Tayeb Hamdi, médecin et chercheur en politiques et systèmes de santé, l’accès au territoire national de citoyens marocains ou d’étrangers complètement vaccinés et munis d’une attestation PCR négative, est moins risqué sur le plan épidémiologique que le comportement de personnes non vaccinées, qui n’adhèrent pas aux mesures préventives. « Lors de l’émergence d’Omicron, il y avait beaucoup d’interrogations sans réponses concernant ce nouveau variant. A cette époque pendant que le Maroc bénéficiait d’une situation épidémiologique totalement sous-contrôle avec un nombre très limité de nouveaux cas par jour et 2 à 5 décès par jour, l’Europe était frappée par la vague Delta. Il était donc logique que le Royaume ferme ses frontières pendant deux semaines, le temps de bien étudier la situation.
Depuis, on connait mieux ce nouveau variant. Nous savons aussi qu’aucun pays ne cherche le risque zéro. C’est pourquoi la question est plutôt de voir s’il y a sur-risque quand il s’agit d’ouvrir des frontières. Or, les voyageurs complètement vaccinés et munis d’une attestation PCR négative présentent moins de risques que les personnes ne respectant pas les recommandations sanitaires. A cela s’ajoute le fait qu’Omicron représente 95% des cas », dit-il. Dr Tayeb Hamdi fait constater que « sur 100 personnes qui décèdent au Maroc à cause de la Covid-19, 93 % d’entre elles sont non vaccinées (70 %) et le restant n’a pris qu’une seule dose (23%). « Actuellement, le problème se situe plutôt au niveau des 4 millions de personnes refusant de se faire vacciner, celles qui le sont incomplètement, celles qui présentent des symptômes du coronavirus et ne se font pas tester, ainsi que les cas positif ou contacts qui ne respectent pas la durée et les conditions de l’isolement », ajoute-t-il.
Pour rappel, depuis novembre 2021, les frontières marocaines sont fermées. Une décision prise par les autorités le 29 alors que la 5e vague frappait de plein fouet l’Europe et que le variant Omicron déferlait sur le Vieux Continent. La mesure renouvelée jusqu’au 31 janvier 2022, a des conséquences terribles, notamment sur le tourisme. Selon l’Association des hôteliers de Marrakech, sur les 250 établissements que compte Marrakech plus de 110 hôtels sont actuellement fermés.
Outre l’argument économique (éviter la paralysie), l’argument sanitaire et scientifique (le variant Omicron est moins dangereux), l’autre élément qui devrait peser dans la décision de réouvrir les frontières à partir de la fin janvier 2022, est la nécessité d’alléger les contraintes de mobilité de la population active éreintée par la multiplication des tests mais aussi les résidents marocains toujours bloqués à l’étranger.
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Lors d’une émission spéciale diffusée mercredi 19 janvier sur les chaînes Al Aoula et 2M, Aziz Akhannouch a fait savoir que la décision de fermer les frontières est une décision qui a été prise « en temps opportun » pour faire face à la menace du variant Omicron, dont on ignorait « la vitesse de transmissibilité » par rapport au Delta. La décision de fermeture des frontières a été maintenue suite aux recommandations du Comité scientifique et technique autour du variant Omicron. L’objectif était de « gagner du temps » contre la propagation du nouveau variant en attendant de mieux le connaître scientifiquement, a-t-il expliqué. « Au sein du gouvernement, nous comprenons la détresse des secteurs impactés par la fermeture des frontières, notamment le tourisme. Ce dossier est bel et bien sur la table du gouvernement, mais je reste personnellement optimiste à ce sujet », a-t-il dit, sans donner plus de détails quant à une éventuelle réouverture des frontières.
Mais selon une source proche du Comité scientifique, celui-ci s’attend à ce que la décision de fermeture ne soit pas prolongée, car tous les indicateurs scientifiques montrent que ce n’est pas nécessaire. Il n’en reste pas moins que la décision finale revient au comité ministériel. Pour autant si l’on se dirige vers l’ouverture des frontières, le Maroc doit-il en plus emboiter le pas à l’Espagne ou encore à la Grande Bretagne qui ont décidé de passer à une gestion endémique du coronavirus et d’arrêter les compteurs ?
Sur la question, Dr Tayeb Hamdi est catégorique : non. « Passer à la gestion endémique revient à vivre avec le virus. Or, l’endémie vient après la pandémie, qui est encore toujours là. Certainement, il y aura d’autres mutants du virus qui circule toujours, je rappelle. Seront-ils plus ou moins virulents ? Peut-être aussi qu’il y aura d’autres vagues ? Toujours est-il que nous avons tous les outils pour faire de 2022 la fin de la pandémie. Pour cela, il faudra produire plus de vaccins et les distribuer équitablement dans le monde, sinon on aura plus de variant. Ensuite, les pays doivent vacciner leurs populations. Enfin, nous disposons de médicaments comme les pilules de Pfizer ou de Merck, qui sont efficaces pour la prévention des formes graves. Même si aujourd’hui, les scénarios sont nombreux, le plus optimiste est la fin de la pandémie en 2022. Au Royaume-Uni, ils sont en train de faire les mêmes erreurs qu’ils avaient faites pendant l’été dernier pour des raisons politiques », dit-il.
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D’après le chercheur en politiques et systèmes de santé, le Royaume-Uni a combiné de grosses erreurs et de grandes réussites, comme le programme de vaccination. « Tous les experts leur disaient, vous avez certes réussi votre plan de vaccination mais il faut respecter les mesures sanitaires. Ils ont fait fi de tout cela. Le résultat est qu’ils ont connu une très grande reprise de la vague du variant Delta. Omicron est ensuite venu les rappeler à la réalité. Aujourd’hui encore, ils veulent mettre fin à une grande partie des restrictions sanitaires. La raison n’est pas scientifique mais plutôt politique», martèle Dr Tayeb Hamdi.