Croissance économique et rationalisation des choix budgétaires : cas du Maroc [Tribune]
Le Projet de Loi de Finances 2021 vient d’être adopté, exprimant la volonté de l’État dans toutes ses composantes à en faire un budget de relance économique et de réformes sociales.
La création du « Fonds Mohammed VI pour l’investissement », doté d’un budget de 45 milliards de DH et d’une personnalité morale constituera le principal levier de la réalisation des choix budgétaires et des orientations socio-économiques. Toutefois, on est en droit de s’interroger sur l’impact réel des choix budgétaires sur la dynamique de la croissance économique et son corollaire : l’emploi.
Force est de constater que souvent, l’allocation des ressources publiques s’inscrit dans un cadre de réaction à une conjoncture donnée et rarement dans un plan d’action visant à stimuler la croissance et à tendre vers le plein emploi. Il est vrai que les conditions exceptionnelles générées par la pandémie Covid-19, imposent des mesures exceptionnelles pour endiguer les conséquences socio-économiques néfastes (engendrées notamment par un arrêt brutal de la production et de la consommation durant plus de trois mois de l’année). Toute politique économique cherche à circonscrire ses périmètres de contagion et à relancer la consommation et la production. Ces mesures sont traduites allègrement dans les choix budgétaires. Néanmoins, au-delà de cette conjoncture économique exceptionnelle subie en conséquence de la crise sanitaire universelle, la politique de l’allocation des ressources publiques doit obéir à un système multicritère de rationalisation des dépenses publiques en étroite relation avec les objectifs socio-économiques fixés.
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Aussi, l’analyse économique du budget de Loi de Finances doit être appréhendée à la lumière des trois dimensions suivantes :
1- Quel budget pour quelle économie ?
À chaque type d’économie doit correspondre un « budget optimal » reflétant la taille, les caractéristiques de chaque économie et toutes les dimensions socio-économiques inhérentes à cette Économie. Sous l’angle quantitatif, le budget doit être corrélé, voire, être le miroir réfléchissant la valeur de l’économie réelle. Or, l’inéquation de la valeur quantitative du Budget dans une économie où l’informel est prépondérant semble à priori une évidence !
2- Quelle clé de répartition de la richesse nationale doit-on choisir dans l’allocation entre le secteur privé et le secteur public ?
Richard Musgrave, dans son ouvrage « La Théorie des Finances Publiques », évoquait la notion de « taille optimale » dans cette politique d’allocation. Ceci nous renvoie directement au débat doctrinal de la pensée économique qui divise les doctrines libérales et néo-libérales de la doctrine des interventionnistes dans l’économie de marché. Ainsi, les choix budgétaires expriment l’orientation de la politique économique vers plus ou moins d’interventionnisme dans les ajustements des règles du marché.
3- Quelle politique d’affectation des ressources publiques aux postes des dépenses budgétaires et pour quels objectifs ?
Certes, les objectifs sont multiples et variés (fonctionnement, redistribution, investissement, appuis sectoriels, socio-économiques, etc.), mais la politique économique impose une hiérarchisation des priorités de certains objectifs par rapport à d’autres. Face à ces multitudes de choix d’objectifs (parfois contradictoires), l’état se trouve devant des choix d’arbitrage difficiles, comme décrit dans le « Théorème d’impossibilité » de Kenneth Arrow, ou dans le « Paradoxe de Condorcet ». Cependant, quelle que soit la nature des choix retenus dans cette nuée de contraintes liées à la rareté des ressources (revenus propres de l’état limités, pression fiscale élevée et seuil d’endettement public largement franchi) et la prépondérance des besoins, il est primordial de préserver, d’entretenir et de développer le moteur de l’économie de marché qui se cristallise dans la consommation et donc l’emploi.
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Ainsi, tous les choix sont « défendables », sauf celui qui conduit à la compression de la consommation et donc à l’augmentation du sous-emploi, car ceci conduira inéluctablement à l’étouffement du moteur de l’économie de marché et à la récession économique à terme. Dans cette analyse relative à l’un des aspects économiques de la Loi de Finances 2021, on se limitera à la troisième dimension relative à l’allocation des ressources publiques, et en particulier à la proportion affectée aux investissements en mettant en exergue son impact sur le dynamisme de la croissance économique de l’économie marocaine à l’aune de la relance post pandémie.
I- Allocation de la richesse nationale en investissements (FBCF) et emploi :
En effet, sur le plan macro-économique, le Royaume du Maroc a déployé des efforts considérables pour maintenir les indicateurs de son économie à des niveaux très appréciables tant à la préservation des équilibres macro-économiques, qu’à la maîtrise des déficits budgétaires. Cependant, les efforts n’ont pas eu d’impacts significatifs sur la relance de la croissance, ni sur l’émergence d’une dynamique vertueuse pour la production, ni sur l’emploi.
Le volume des investissements exprimés par l’indicateur macro-économique, la Formation Brute du Capital Fixe (FBCF), demeure à des niveaux très élevés et dans une constance inégalée en comparaison avec des économies similaires. Ainsi, tout au long de la dernière décennie, plus de 30% du PIB ont été consacrés
à la FBCF. En 2018, ce taux était de 33,4% et de 32,2% en 2019. Partant de l’axiome que la relance d’une économie donnée passe à priori par les chemins de la consommation, et que ceux-ci sont balisés par la création d’emplois additionnels (dans une économie de sous-emploi), on est en droit de se demander si ces efforts d’investissements ont permis la création d’une dynamique dans la création des emplois.
Force est de constater l’absence de corrélation entre ces deux indicateurs, telle calculée sur une période de 2007 à 2018, où la droite de régression démontre une droite inversée, Y = -034 x + 188, avec un coefficient de corrélation de 0,06, donc insignifiant.
Il en découle que les efforts nationaux en termes d’investissements ont probablement des effets positifs sur l’économie en général par ailleurs, mais certainement pas d’effets d’entraînement directs sur l’emploi, ni d’effets multiplicateur (au sens Keynésien) induisant la relance, voir la croissance économique. Ce constat nous conduit à la conclusion que ces investissements concernent en grande partie des infrastructures génératrices de très peu d’emplois. À cet égard, il serait légitime de revoir le modèle de développement et de réviser les principes régissant l’allocation des ressources nationales attribuées aux investissements en modifiant leur mode d’affectation sectorielle. Il est indéniable que les investissements en infrastructure sont nécessaires et fondamentaux dans une économie, mais il est vital pour la pérennité de la croissance économique de soutenir les investissements créateurs de nombre d’emplois le plus élevé.
La difficulté se trouve dans la recherche du seuil d’inflexion optimal entre les investissements dans l’infrastructure fortement capitalistique et les investissements dans les secteurs économiques à très fort effet multiplicateur d’emploi. En d’autres termes, nous pouvons dire qu’à chaque niveau d’économie correspond un niveau optimal d’infrastructures qu’il ne faut guère dépasser, sans tomber dans les pièges de l’irrationalité économique de l’allocation des ressources nationales.
II- Allocation des dépenses publiques et rationalisation des choix budgétaires
Avec un PIB de plus 1000 milliards de DH atteint en 2019, le Maroc aura doublé son PIB en dix ans ! Le budget des finances publiques pour la même année affiche 290 milliards de DH, soit 29% du PIB. D’aucuns estiment que la Loi de Finances fixant le budget des finances publiques est soumise strictement aux règles et lois comptables, avec le respect du sacro-saint équilibre entre les ressources et les emplois avec une tolérance d’un taux de déficit budgétaire soutenable pour une économie donnée.
Ceci étant dit, cette définition est très réductrice de la portée réelle et profonde du rôle du budget de l’état dans une économie. L’état est un agent économique, à l’instar des entreprises, du ménage ou du reste du monde, agit à la fois en tant qu’agent mais aussi, en tant que régulateur, gendarme et protecteur. Ce sont ces prérogatives exclusives et intrinsèques à la fonction de l’état agent économique, qui confèrent à chaque choix budgétaire une variante d’objectifs impactant les autres agents économiques et orientant l’économie dans toutes ses composantes.
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Par conséquent, la Loi des Finances ne peut en aucun cas être appréhendée sous le prisme des règles comptables. À titre d’exemple, le ratio de déficit budgétaire a nourri bien des débats au sein des membres de l’Union Européenne avant le traité de Maastricht pour arriver à un consensus du seuil de 3% du PIB. D’autres doctrines économiques considèrent qu’il y a lieu d’observer une tolérance vis-à-vis du déficit budgétaire dès lors qu’il est affecté pour des investissements productifs ! En tous cas, la singularité de l’agent économique État, nécessite une singularité de traitement de ses choix budgétaires.
Ainsi, l’élaboration de la Loi de Finance est plus que jamais soumise à la rigueur de la logique de la rationalisation des choix budgétaires, au regard de la rareté des ressources et la croissance des besoins de dépenses publiques. Cette rationalisation impose des choix difficiles et d’arbitrages parfois douloureux, ce qui implique une grande rigueur et une maîtrise des objectifs fixés.
La « règle de Tinbergen », décrite par l’économiste néerlandais Jan Tinbergen, stipulait qu’il y a autant d’instruments que d’objectifs fixés en politique économique. L’essentiel demeure dans la fixation des objectifs et leur hiérarchisation. À la lecture des agrégats du budget des finances publiques du Maroc, les dépenses ordinaires s’élèvent à 224 milliards de DH, soit plus de 77% des dépenses budgétaires en 2019, alors que le Poste investissements représente pour le même exercice 67 milliards de DH, soit 23% des dépenses totales, ce qui est fort appréciable mais non suffisant pour une vraie relance de l’économie avec une croissance pérenne.
Celle-ci ne peut être envisagée dans une économie telle que celle du Maroc, que dans le cadre d’un élargissement de l’assiette de la demande intérieure et donc de l’emploi. D’ailleurs, nous constatons une baisse relative du taux d’activité au cours des dernières années, amplifiée par la pandémie en 2020, comme le montre le tableau ci-dessous.
Le budget doit traduire cette politique économique incitatrice à la création d’emploi dans le secteur privé. Le taux de chômage oscille entre 9% et 10% de la population active, soit environ 1,2 million de personnes sur 12 millions d’actifs. Il s’agit là d’un gisement de croissance auquel nous pouvons ajouter les 3 millions d’actifs recensés dans le secteur informel, c’est alors 4,2 millions d’actifs, soit 35% de la population active ! La priorité à toutes les priorités doit être accordée à cette problématique, car elle est nodale pour l’économie marocaine.
Par M’fadel El Halaissi, directeur général délégué en charge de l’Ingénierie, Recouvrement, Développement Stratégique et Missions Spécifiques de Bank of Africa .