De l’amazighité
Les associations amazighes s’impatientent et elles ont raison de le faire. Le gouvernement n’a toujours pas ouvert le chantier constitutionnel autour de l’amazighité. Le Conseil national des langues et cultures est renvoyé aux calendes grecques, l’enseignement du Tifinagh est balbutiant. Surtout, le gouvernement prône «la prudence» sur ce dossier et n’en fait pas une priorité, malgré le discours royal.
Les acquis de l’amazighité constituent une véritable avancée démocratique. D’abord parce qu’ils renforcent l’unité nationale en rétablissant l’identité plurielle au niveau de la charte fondamentale. Ensuite, parce que ces acquis vont dans le sens de politiques publiques basées sur la justice sociale et la solidarité entre les régions. Car, ceux qui continuent à vouloir réduire la question de l’amazighité à l’aspect culturel se trompent lourdement. C’est aussi une question sociale, de développement régional et donc, éminemment politique.
La reconnaissance de tous les constituants identitaires est une réconciliation avec nous-mêmes. Le Maroc islamisé s’est détaché rapidement du califat, s’est constitué en Etat indépendant, influent au Nord et au Sud, et très distant, voire méfiant à l’Est de ses frontières. Cette histoire ne peut être gommée parce que le courant panarabe a façonné le mouvement national. On n’efface pas en quelques décennies des millénaires d’histoire.
A mon sens, les associations amazighes ont commis une erreur en choisissant l’alphabet Tifinagh. Dans le contexte de l’époque, ce qu’elles voulaient éviter à tout prix, c’est que l’exécutif leur impose l’alphabet arabe, ce qu’il proposait effectivement. Mais le choix du caractère latin, bien que nécessitant une bataille politique d’importance, aurait été plus judicieux. Stratégiquement, il nous aurait inscrit dans une démarche d’intégration au Nord de la Méditerranée, et mieux précisé nos nuances avec le monde dit arabo-musulman, une création des orientalistes, à la fois peu homogène et incapable d’intégrer l’histoire. Le choix du Tifinagh est une ghettoïsation en soi, mais maintenant qu’il est fait, il faut l’assumer. La constitutionnalisation de l’amazighité impose son utilisation dans l’administration. Cela doit être fait rapidement, surtout dans le département de la justice. Il est injuste que des citoyens Marocains soient jugés, dans leur propre pays, dans une langue qu’ils ne comprennent pas.
Ce combat se mène aujourd’hui de manière plus sereine, mais les résistances ne manquent pas. Si les discours sur la dislocation de l’unité nationale, le complot judéo-chrétien, voire les liens avec Israël ne prennent plus, d’autres ont pris la place. Le plus pernicieux est celui qui s’appuie sur des difficultés techniques, réelles mais non insurmontables, pour reporter l’application de la Constitution. C’est celui du gouvernement actuel, mais aussi de certaines élites toujours frileuses face à la question. Tous les démocrates devraient soutenir les associations amazighes dans leur lutte qui est non seulement juste, mais ouvre des perspectives essentielles pour la construction démocratique et le développement.