EDF–Engie : duel à haute tension au Maroc entre les deux géants français
L’année 2017 aura été décisive dans le match que se livrent au Maroc les deux géants français de l’énergie Engie et EDF.
Contrairement à ce qui fut attendu, à savoir un sursaut d’orgueil de la part du premier producteur mondial de l’électricité, en l’occurrence EDF qui fait du Maroc une de ses priorités africaines, c’est plutôt l’ex GDF-Suez qui creuse l’écart de façon substantielle après avoir engrangé plusieurs concrétisations d’envergure sur le marché marocain au cours de l’année écoulée. Alors qu’EDF est déjà présent au Maroc depuis une vingtaine d’années et dans une panoplie de métiers telle la production d’énergies renouvelables (notamment en partenariat avec Nareva, la filiale de la SNI), la distribution d’eau et d’électricité (Lydec), la collecte d’ordures ménagères (Sita Maroc) en 2017, les solutions multi-techniques (Cofely Maroc), la valorisation de déchets (Sita Recycling Maroc), le groupe Engie vient d’y rajouter plusieurs cordes à son arc aussi bien à travers des opérations de croissance externe que des joint-ventures bien ciblées. La plus importante fut incontestablement l’acquisition en décembre 2017 de 100% du capital de Spie Maroc, un des acteurs majeurs du génie électrique et climatique, des infrastructures de télécommunication et de transmission d’énergie. Cette opération stratégique a été précédée de quelques semaines seulement par la création d’une joint-venture avec Finatech (entité contrôlée par le groupe Benjelloun) opérant dans le même domaine de l’infrastructure électrique et télecoms. Sachant que SPIE Maroc et Engie Finatech Services pèsent respectivement en revenus quelque 700 millions et 200 millions de DH, le Pôle services à l’énergie et à l’industrie qui inclut également Cofely Maroc se propulse aux premières loges de ces métiers au Maroc avec un chiffre d’affaires consolidé de plus de 1 milliard de DH (soit juste derrière Cegelec Maroc, filiale de l’autre géant français éponyme).
La montée en puissance d’Engie
Par ailleurs, en avril 2017, le groupe présidé par Gérard Mestrallet a finalisé la prise de contrôle à 100% du producteur indépendant d’électricité La Compagnie du Vent, qui compte dans son portefeuille de développement au moins deux parcs éoliens au Maroc. Cette acquisition vient potentiellement renforcer la capacité de production d’électricité à base d’énergies renouvelables globalement installée au Maroc par le groupe Engie et qui est incarnée aujourd’hui par la ferme éolienne de Tarfaya de 301 MW qu’exploite la société Tarec (Tarfaya Energy Company), une joint-venture à 50/50% avec Nareva holding (filiale de la SNI). Sans oublier qu’Engie compte plusieurs autres projets éoliens et hydrauliques au Maroc qui sont à des phases plus ou moins avancées de développement et détient 35% de la société Safiec qui investit actuellement à Safi plusieurs milliards de DH dans une station thermique de production d’électricité à base d’une nouvelle technologie de charbon propre, ce qui fait actuellement de ce groupe un des premiers producteurs privés d’énergie au Maroc derrière Taqa et Nareva Holding et un des acteurs les plus actifs en matière de développement de projets d’énergie renouvelables. D’ailleurs, dans cette deuxième branche d’activité de production d’énergie- qui est aussi le cœur de métier historique du groupe, ENGIE dépasse également la barre du milliard de DH de revenus dont 768 millions de DH provenant de la seule « vache à lait » TAREC, qui affiche une marge d’exploitation (après amortissement) de 57% !
Quant à la filiale la plus connue du grand public marocain, Lydec qui assure, depuis 1997, la distribution d’eau et d’énergie pour la ville de Casablanca, elle continue de drainer l’essentiel des revenus du groupe au Maroc (voire en Afrique) avec un chiffre d’affaires de plus de 7 milliards de DH, soit près de 70% de l’ensemble des filiales marocaines toutes activités confondues.
Enfin, la seule ombre du tableau de l’année 2017 pour Engie au Maroc concerne la branche des services aux collectivités et de valorisation de déchets, dont le principal contrat marocain de délégation de services est passé à la trappe suite à sa résiliation par l’autorité délégante qui en dénonçait de « profonds dysfonctionnements dans l’exécution ». Il s’agit, en effet, du contrat de gestion déléguée de la collecte des ordures ménagères de la capitale économique qui liait, depuis 2014, Sita Blanca (autre filiale de Suez Environnement) à la ville de Casablanca. Mais Sita Maroc, l’autre entité marocaine relevant de cette business-unit qui opère dans la gestion des déchets industriels, égrène les succès depuis quelques années, notamment dans les secteurs des constructeurs automobiles, de l’aéronautique, du tourisme et de l’agroalimentaire.
Face à cette montée en puissance du deuxième énergéticien français avec un chiffre d’affaires consolidé des activités marocaines qui devra dépasser la barre de 10 milliards de DH en 2018 (notamment grâce à ses récentes acquisitions), son compatriote EDF ne semble pas encore trouver la martingale pour atteindre une taille critique au Maroc, pays où il est pourtant présent depuis les années 1970, notamment dans le cadre d’un partenariat avec l’ONEE (Office National Marocain de l’Electricité et de l’Eau potable) dans les domaines de la production hydraulique et thermique, les réseaux de transmission et la formation. Il faut dire que n’étant pas présent sur le segment de la distribution d’eau et d’électricité au Maroc qui brasse de gros volumes (contrairement à Engie et à l’autre français Veolia), EDF a tout misé sur les énergies renouvelables pour son envol au Maroc. Mais la filiale ad hoc EDF ER Maroc n’a pas encore concrétisé, en près de six ans d’existence, un seul projet en tant que producteur privé indépendant. Même le projet du parc éolien de Taza d’une puissance de 150 MW dont EDF ER Maroc a été désigné adjudicataire, dès avril 2012, en consortium avec le groupe japonais Mitsui & Co suite à un appel d’offres international initié par l’ONEE, il n’arrive pas encore à voir le bout du tunnel. Et le lancement de ses travaux a été à plusieurs reprises ajourné à cause de différents obstacles techniques et administratifs, alors que le parc de Tarfaya exploité par son rival Engie (conjointement avec Nareva Holding) n’a nécessité que trois ans pour voir le jour. Quant au dernier né des métiers adressés par EDF au Maroc, à savoir celui de l’efficacité énergétique où opère, depuis fin 2016, EDF Fenice Maroc, il est encore assez prématuré pour juger de son succès et son potentiel demeurera somme toute évidence assez limité (pas plus que quelques dizaines de millions de DH à horizon 2020).
Toutefois, l’année 2017 n’aura pas été totalement blanche pour le groupe contrôlé à plus de 80% par l’Etat français, puisque la finalisation en juillet de la même année de l’OPA lancée sur Futuren (ex-Theolia), un producteur privé d’électricité bien connu au Maroc depuis une dizaine d’années, apporte à l’escarcelle de l’acheteur plus de 550 MW en capacité installée dont 50,4 MW du parc Koudia Al Baida (près de Tetouan), un des plus anciens du pays. Futuren dispose également de projets en énergie éolienne totalisant 400 MAW (un nouveau parc de 300 MW au nord du Maroc et l’extension des capacités de Koudia Al Baida pour 100 MW).
Au demeurant, si l’année 2017 a clairement tourné à l’avantage d’Engie sur le marché marocain, dont le caractère stratégique a été à plusieurs occasions souligné par le top management des deux premiers énergéticiens français, EDF n’a peut-être pas dit son dernier mot. L’entrée en service du parc éolien de Taza, ainsi que l’assouplissement de la Loi 13-09 sur les énergies renouvelables (par la loi modificative 58-15 entrée en vigueur en 2016) à travers le relèvement de la capacité maximale à exploiter par projet hydroélectrique pour les producteurs indépendants d’électricité (de 12 MW à 30 MW), alors qu’EDF a un avantage certain en matière d’exploitation de centrales hydroélectriques (par rapport à Engie), risquent de relancer à l’avenir la compétition que se livrent au Maroc ces deux mastodontes qui pèsent à eux deux près de 70 milliards d’euros à la bourse de Paris (soit plus des 3/4 du PIB marocain !).