En 1976, le miracle d’Addis-Abeba
La coupe de la gloire et du défi
Evoquer la Coupe d’Afrique des Nations 1976 ?
Ce serait prétentieux si on devait en relater toutes les péripéties. Et Dieu sait s’il y en a eu, et surtout, ce serait encombrer la mémoire des gens de souvenirs et d’événements qui ne signifient plus grand chose aujourd’hui. La poussière de l’oubli est retombée sur les actions, les exploits et les erreurs, mais pour l’Histoire, la vraie, celle avec un grand « H », il faut souligner, au-delà de la simple anecdote, ce qui a fait que cette Histoire-là, précisément, a abouti au triomphe que l’on sait.
Avant d’arriver à la finale du 14 mars 1976, de la victoire sur une magnifique équipe de Guinée, du but de Baba, faisons-en quelques lignes, le résumé des épisodes précédents.
En 1976, le foot marocain est le mal aimé de l’Afrique. Malgré une équipe nationale qui en 1970, au Mexique, avait stupéfié le monde à commencer par l’Allemagne, géant des géants européens, les observateurs ne savaient pas sur quel pied danser avec ce football marocain trop brésilien pour être crédible et trop «européen» pour être africain.
Pour couronner le tout, les journalistes tunisiens tenaient le haut du pavé question foot africain. Cela d’abord grâce à l’énorme influence du magazine « Jeune Afrique » qui, à l’époque, avait pour responsable de la rubrique sportive, un certain Mahjoub Faouzi.
On imagine mal, aujourd’hui, la force de frappe de feu Mahjoub Faouzi qui, en outre, faisait partie de l’équipe rédactionnelle de l’hebdomadaire, «Miroir du Football» appartenant au parti communiste français (eh oui, tout comme les «B.D» de Pif le chien avec les gadgets qui ont fait sa renommée).
Mahjoub Faouzi, en 1970, écrivait à propos de la FRMF et de son patron Ahmed Antifit: «Il n’y a rien à attendre d’un personnage du nom d’Anti-foot».
Opinion largement partagée par l’ensemble de la presse tunisienne et de ses copains de « Miroir du football » qui, même s’ils admiraient Ben M’Barek, Mahjoub Abderrahman et Hassan Akesbi, trouvaient que le Maroc n’allait pas dans le bon sens, du moins pas dans le sens qu’ils auraient voulu.
La qualification des équipiers de Bamous en Coupe du Monde 70 n’avait jamais été avalée et encore moins digérée par la Tunisie qui s’estimait (qui s’estime encore) volée par l’arbitre, lors d’un fameux match d’appui à Marseille.
En 1971, l’arrivée aux affaires fédérales d’un homme carré, rigoureux, et sans concessions, n’allait pas arranger les choses.
Mehdi Belmejdoub, en digne officier des FAR, avait mal supporté les critiques faites à Antifit, Bamous, bref à tout le foot marocain, et n’hésitait pas à le faire savoir.
L’apogée de sa colère fut atteinte dans les vestiaires du stade El Manzah de Tunis, où l’équipe du Maroc avait par un match nul fantastique (3 buts partout), cloué le bec à tous ceux qui pensaient qu’Attouga et les joueurs tunisiens ne feraient qu’une bouchée des « usurpateurs » marocains.
La prestation des Zahraoui, Mustapha Yagcha et autres Larbi Aherdane avait été si éblouissante, que les journalistes étaient venus en nombre dans le vestiaire marocain . Il n’y avait pas de mixed-zone, à l’époque.
Les confrères se feront recevoir par un accueil sec de Belmejdoub qui leur demanda de partir : «On n’a rien à vous dire, vous avez déjà vos idées préconçues sur nous, allez écrire et dire ce que vous voulez». Mahjoub Faouzi était dans le groupe, et il savait que cette fin de non-recevoir s’adressait à lui particulièrement. Il écrivit dans Miroir du Football : « A Tunis, un Maroc, accidentellement offensif, fait le spectacle à El Manzah ».
Ce match était qualificatif pour les J.O de Munich 72, et les Tunisiens ont dû remettre leur désir de revanche pour plus tard.
Durant 6 ans, la bande à Belmejdoub avec les Acila, Faras et Zahraoui allait leur barrer le chemin.
« Feu Mehdi Belmejdoub, de l’avis de tous les joueurs de l’époque, avait été l’architecte du triomphe marocain en Ethiopie »
Mais revenons à 1976 et à ce qui a fait que cette CAN a été spéciale à plus d’un titre.
Quand l’équipe nationale arrive en Ethiopie, elle est encore précédée d’une réputation peu flatteuse.
Le Maroc avait refusé de prendre part à la CAN 1974, estimant que l’arbitrage en terre africaine le pénalisait trop. Sa bouderie dura quatre ans et pour 1976 il mena tambour battant les matchs de qualification vers la CAN éthiopienne. Il y arriva en mars 1976, sans grande ambition que celle d’y faire bonne figure.
Pour arriver en Ethiopie, le Maroc avait sorti le Ghana, les fameux «Black Stars» grand chéri des foules africaines et cela n’arrangeait pas notre popularité. Aussi, tout le monde nous attendait avec une certaine curiosité. Et Mahjoub Faouzi veillait au grain. Il était, bien sûr, en Ethiopie, mais il y avait aussi Jacques Ferran, patron de l’hebdo de référence «France Football» qui, lui, ne portait pas «Miroir de Football» dans son cœur. D’ailleurs, ce magazine avait périclité et pratiquement disparu, et «Jeune Afrique» n’était (déjà) plus le magazine qui faisait et défaisait tout en Afrique.
Quant à Mehdi Belmejdoub, il était plus décidé que jamais à montrer aux détracteurs du foot marocain que leurs critiques étaient à côté de la plaque. Quant à ses relations avec la presse, il garda ses distances et, hautain et péremptoire, il répétait : «Surtout qu’ils ne s’approchent pas de moi et de l’équipe ; ceci dit et compris qu’ils écrivent ce qu’ils veulent et comme ils veulent».
La presse internationale se le tint pour dit et rumina sa vengeance pour le jour où le Maroc finirait par tomber.
Lors du premier match du Maroc, à Dire Dawa, sanctionné par un résultat nul face au Soudan (2-2), beaucoup crurent ce moment arrivé. Surtout que pour la 2ème rencontre, le Maroc devait rencontrer le Zaïre adversaire redoutable à plus d’un titre. Champion d’Afrique en titre, il avait gagné l’édition de la CAN 74, organisée en Egypte et était arrivé en conquérant. Ce match Maroc-Zaïre allait pourtant sonner le début de la révolution marocaine. Un but de Zahraoui des 30 mètres sur une passe de maître Faras, mit fin aux ambitions zaïroises. 2 jours plus tard, pour le troisième match, contre le Nigéria, il y eut un festival marocain (3-1) et Hazzaz eut ce mot : «Dans ce match, j’aurai pu moi-même descendre et marquer tant on dominait».
Dès lors, on ne vit plus le Maroc du même œil, notre équipe quittant Dire Dawa s’envola pour Addis-Abeba dans des conditions rocambolesques et qui, grâce à Dieu, ne tournèrent pas à la tragédie si l’avion, brinquebalant, affrété au Maroc s’était écrasé au sol. Là encore, Belmejdoub fit descendre l’équipage et les joueurs, et à terre exigea qu’un autre moyen de transport soit alloué à l’équipe nationale.
L’ambassade marocaine, sauva, bien heureusement les meubles.
Pour le deuxième tour les 4 équipes qualifiées, les 2 du groupe A et les 2 du groupe B furent regroupées en une poule unique : Guinée, Egypte pour le premier groupe celui d’Addis-Abeba et Maroc, Nigéria qui avaient donc joué à Dire Dawa.
Mardi 9 mars, sur le stade Addis-Abeba, c’est le choc Maroc-Egypte. Belmejdoub a son idée pour battre les Egyptiens et les Marocains, galvanisés par leur «boss», rentrèrent dans le lard des coéquipiers de Farouk Gaafar. Marquage à la culotte et durs au contact, nos joueurs finiront en roue libre grâce aux buts de Faras et Zahraoui.
2 jours après, c’est encore le Nigéria pour des retrouvailles corsées. Le Nigéria veut laver l’affront et le Maroc ne veut pas s’arrêter en si bon chemin, le match est disputé de manière virile comme on dit, et le Nigéria qui ouvre le score va défendre son résultat pratiquement à «l’arme blanche». Mais les copains de Larbi Aherdane vont lutter comme des forçats et emporter ce match sur des buts de Faras et Guezzar qui nous envoient en finale. Celle-ci est programmée pour le 14 mars contre la Guinée qui, malgré un large succès sur l’Egypte, est pénalisée par son nul face au Nigéria. Donc, le Maroc n’a besoin que d’un point pour emporter cette finale. Ce sera la particularité de cette édition 76, jouée aux points et non pas en matchs éliminatoires.
Tous les espoirs de ceux qui souhaitaient la chute du Maroc, reposent donc sur les épaules des Guinéens. Et il faut dire que les Guinéens, ont été impressionnants face à l’Égypte balayée 4-1. Cependant, leur match nul contre le Nigéria pénalise les Egyptiens au classement général.
La veille de la finale, Madarescu, coach national, me confie au petit-déjeuner : «Colonel Belmejdoub a préparé une bombe pour la finale». La bombe c’est l’entrée de Glaoua de l’U.S. Mohammedia pour neutraliser Petit Sory.
C’est un joueur qui est le moteur des Guinéens, il est technique, rapide et rusé, il lui faut un joueur frais, dira Belmejdoub et il continue. «Je l’ai fait entraîner à part avec Tazi, en lui disant, si tu réussis à contrer Tazi, tu seras titulaire en finale».
Tazi n’a jamais eu le ballon.
Jacques Ferran vint aux nouvelles et me demanda des infos sur la composition de l’équipe nationale : «Tu comprends, on ne peut pas trop s’approcher de votre staff, mais toi tu as sûrement l’info et tu peux comprendre que j’ai besoin de l’avoir, j’ai un papier à faire dans l’Equipe. Et ici ça restera entre toi et moi».
Sous-entendu, aucun des autres journalistes présents n’en sera informé par lui.
Je lui parle de la bombe et là il me dit : «J’aime ça, c’est bien de tenter des choses, mais si ça ne marche pas, il ne faudrait pas que vous tombiez à bras raccourcis, sur le colonel, vous autres de la presse marocaine. Il faut respecter les choix et j’apprécie les gens qui tranchent».
Ainsi parla Jacques Ferran ; qui lui, que Dieu ait son âme, avait jugé que ses confrères avaient été peu sympathiques envers une équipe nationale marocaine qui méritait beaucoup plus que l’attitude hostile de certains journalistes spécialisés.
C’est côte à côte que l’on a suivi la finale. Il me présenta un certain Charles Bietry, correspondant de l’AFP à Abidjan, venu spécialement en Ethiopie pour la finale 1976.
La finale, il faut bien le dire, fut un supplice pour nos joueurs tant la domination guinéenne fut grande devant des joueurs marocains fatigués et asphyxiés, à l’image de Zahraoui qui dut respirer à la mi-temps toute une bonbonne d’oxygène.
Une mi-temps où le Maroc sorti battu (1-0) sur une action magnifique ponctuée par un tir tout aussi magnifique du capitaine guinéen, Chérif Soulaymane.
Juste après la reprise, Semmat est expulsé par l’excellent arbitre Zambien. Et dans un coin du terrain, je vis Glaoua bousculer Ptit Sory, manière de lui faire comprendre que même si un Marocain avait eu un carton rouge, entre eux, rien ne changeait.
A quelques minutes de la fin, je quittais la tribune où j’étais assis avec Ferran et Bietry. Devant son micro Ahmed Gharbi, me fit un signe de résignation. Mustapha El Khaoudi avait grillé sa dernière cigarette et répétait : «C’est dommage, c’est dommage, c’est dommage». Gharbi et Khaoudi, vous les avez reconnus, étaient des journalistes marocains respectivement à la RTM et à la MAP, présentes à cette CAN 1976.
Je voulais m’approcher du champ de jeu pour être plus près des joueurs, à la fin du match, pour les déclarations afin d’envoyer l’article au journal. Il était près de 17 heures à Addis-Abeba. C’était le dimanche 14 mars et à 5 minutes de la fin le Maroc était battu.
Au Maroc, le pays, où il était encore 14 heures, on était dans les stades car on jouait le championnat, eh oui, malgré la CAN, la finale et l’absence des meilleurs joueurs.
C’est donc dans les stades et tribunes marocains que retentira le cri de Gharbi sur le but « miraculeux » de Baba. Ultra dominé à dix contre onze, mené au score, le Maroc sur un tir incroyable de Baba crucifia le gardien guinéen Bernard Sylla.
Un but partout, il reste 3 minutes de jeu. Le Maroc est champion avec ce nul mais ce n’est pas encore fini. La Guinée n’a pas dit son dernier mot. Un ballon arrive sur la tête de N’Jo Léa. Celui-ci a le temps d’ajuster Hazzaz, et le but, le 2ème pour la Guinée semble acquis et la défaite du Maroc consommée.
Hazzaz va l’éviter d’un plongeon incroyable.
L’arrêt de Hazzaz, que Dieu ait son âme, aura été aussi important dans cette CAN que l’auront été le but en finale de Baba et ceux de Faras, Zahraouzi, Abouali et autres Guezzar tout au long de cette compétition.
Ce furent les héros de cette époque, mais dans les mémoires de Mahjoub Faouzi, il y eut ce commentaire largement marqué par sa déception personnelle : «La victoire du Maroc a laissé l’assistance abasourdie. Faras a reçu le trophée dans l’indifférence générale du public éthiopien. Les Marocains ont eu beaucoup de chance mais la coupe est la leur, avec un Mardarescu qui conclut: « Nous ne sommes pas là pour la galerie » ».
Pour le foot marocain, et au-delà des ironies, 1976 fut vraiment un exploit considérable réalisé au cœur de l’Afrique et quelques mois après la glorieuse Marche Verte (Novembre 75) qui a fait entrer le Maroc dans une nouvelle ère.
C’est en héros que, mardi 16 mars 1976, toute la bande d’Ethiopie fut reçue en majesté à l’aéroport de Nouasseur (Casablanca).
SAR le Prince Héritier Sidi Mohamed accompagné de son frère le Prince Moulay Rachid étaient à l’accueil.
Les joueurs furent récompensés dans les salons de l’aérogare de 10.000 DH chacun, somme considérable à l’époque.
Mardarescu fut décoré et pour ce Roumain qui avait fui son pays, l’émotion fut très grande.
Quant à Belmejdoub, il était gonflé de fierté.
Il avait damé le pion à toutes les critiques ajoutant : « Remarquez, je ne veux en tirer aucune gloire, après tout je n’ai fait que mon devoir. Je fais partie de la grande famille des FAR et le Maroc a ses valeurs et sa réputation à défendre. C’est ce qu’on a fait à Addis-Abeba. Ce fut dur, mais que ce fut beau ».
On était au printemps 76.
Personne ne savait à l’époque que ce titre allait être unique et qu’il reste encore 43 ans après, comme le seul trophée majeur des Lions de l’Atlas.
L’Histoire va se poursuivre au Caire l’été prochain. Juste après le Ramadan.
Et l’Histoire continuera comment ?
Dieu seul le sait.
NB : Feu Mehdi Belmejdoub, de l’avis de tous les joueurs de l’époque, dont Faras capitaine qui en 2005 lui rendit un hommage appuyé, avait été l’architecte du triomphe marocain en Ethiopie.
De cela l’Histoire doit se souvenir et le retenir.
Avec ses manières, son caractère, ses mots et son charisme, il avait poussé ses joueurs à se «défoncer » au-delà de leurs limites. Cela s’appelle le respect mutuel. Et c’est cela la leçon, la vraie leçon de 1976.