Transport

Transport interurbain : une fusion historique

Après plusieurs décennies de statu quo, un rapprochement inattendu vient remettre en cause la hiérarchie dans le secteur du transport routier interurbain. En mettant la main sur son concurrent SAT, le groupe Ghazala fait un saut prodigieux se hissant au deuxième rang avec, désormais, près de deux millions de passagers transportés annuellement. Il vient, ainsi, talonner de près le leader historique CTM et améliore substantiellement sa part de marché dans les métiers de la messagerie.

La hiérarchie du monde du transport interurbain vient d’être secouée. Supratours (affilié au groupe public ONCF) qui s’accrochait solidement à son statut de numéro deux du secteur et ce, juste derrière le leader historique CTM, vient de se faire doubler par le groupe Ghazala auteur, en fin 2018, d’une opération de croissance externe assez inédite dans un secteur «traditionnel» et très peu façonné par les grandes manœuvres capitalistiques et les opérations stratégiques à même de chambouler l’ordre établi.

Aussi, ce groupe familial créé il y a plus de 20 ans par Mohamed Aziza, s’est offert récemment le contrôle total de son concurrent Société des Autocars Transmaghreb (SAT) qui faisait bonne figure parmi les challengers les plus sérieux du trio de tête. L’acquisition a porté sur la totalité des actions détenues par les membres de la famille Ghammad (tous héritiers du fondateur) dans le capital de Société des Autocars Transmaghreb, un des doyens du transport de passagers au Maroc (avec plus de 70 ans d’existence) mais également de SAT Messagerie, l’entité sœur de transport de marchandises par groupage créée en 1999.

Grâce à ce rapprochement, le groupe Ghazala revendique, désormais, près de deux millions de passagers transportés en 2018 (dont un peu moins de 40% par la nouvelle filiale SAT), soit un cheveu de plus que la filiale de l’ONCF et un bon million de passagers derrière le leader incontesté, le groupe CTM et ses trois millions d’usagers transportés annuellement. Quant à la couverture géographique, le nouvel ensemble fait encore mieux que la filiale du groupe Benjelloun, avec plus de 110 points de vente et de ramassage à travers le Royaume (contre un peu plus de 60 agences chez Supratours et 105 agences pour la CTM).

Pour ce qui est de l’autre métier de la messagerie, l’opération permet à l’acquéreur d’y dépasser la barre de 50 millions de DH en chiffre d’affaires et de renforcer, par ricochet, sa position dans ce segment dominé, depuis des années, par le trio de tête SDTM (filiale de Barid Al Maghrib), CTM Messagerie et La Voie Express (opérateur privé contrôlé par la famille Talal).

Une femme manager dans un milieu masculin

Si pour l’instant rien ne filtre sur le montant de la transaction, l’on sait de sources proches du dossier que les négociations ont duré plus d’un an et que l’héritière et gestionnaire principale du groupe SAT, en l’occurrence Kenza Ghammad, a été l’artisane de cette opération du côté des vendeurs. Il faut dire que le monde du transport, et particulièrement celui du transport de passagers, est un univers essentiellement masculin et rares sont les femmes qui y officient, notamment dans les deux extrêmes de la pyramide hiérarchique (le bas de l’échelle et le top management). Et Kenza Ghammad y faisait l’exception dans ce milieu assez machiste, au sein de la Fédération Nationale du Transport Routier où elle représentait régulièrement sa compagnie.

Il est à noter que l’acquéreur Transport Ghazala a mis l’accent depuis des années sur la modernisation de son parc d’autocars (un des plus jeunes du secteur) et de camions dédiés à la messagerie, ainsi que sur l’innovation. En 2013, le groupe basé à Casablanca avait été pionnier au Maroc en introduisant sur les longs trajets Casablanca-Oujda et Casablanca-Nador (via Rabat), un service haut de gamme s’appuyant sur une nouvelle génération d’autocars se démarquant tant par sa capacité (30 sièges uniquement contre 44 à 48 pour les autocars ordinaires), que par son niveau de confort offert aux passagers (Wifi à bord, sièges confortables inclinables, climatisation, chauffage et lumière personnalisés, lecteurs de Vidéo/CD, etc.).

Avec l’absorption des deux entités complémentaires du groupe SAT dont l’enseigne est pour l’instant préservée (même si partout dans les agences SAT, on a déjà commencé à installer en parallèle l’enseigne du nouveau maître des lieux), le groupe Ghazala se compose, désormais, de cinq filiales : Transport Ghazala, Ghazala Messagerie, Ghazala Tourisme, Société des Autocars Transmaghreb et SAT Messagerie. Il compte plus de 750 collaborateurs et revendique un chiffre d’affaires consolidé de plus de 300 millions de DH.

Rappelons qu’après le secteur de transport de marchandises qui a eu son lot de réformes, celui du transport interurbain attend depuis plus d’une décennie la mise à plat du système d’agréments (un dispositif de rente archaïque) qui y prévaut depuis plus d’un demi-siècle. Malheureusement, les différentes tentatives à cet effet ont, toutes, échoué face au lobby des bénéficiaires d’agréments qui totalisent un peu moins de 4.000 autorisations, dont 24% ne sont pas du tout exploitées et une bonne partie du reste fait l’objet de location (avec « pas de porte » initial) et de transmission par héritage ! Ce qui est en soi une aberration non prévue par le dahir de 1963, qui a instauré ce système d’agréments.

Le projet de réforme tant attendu prévoit de verrouiller l’accès à la profession de transporteur routier de voyageurs via la création d’un registre national des entreprises de transport routier de voyageurs, dont les conditions d’inscription par les opérateurs sont des plus objectives (contrairement au système des agréments) et ayant trait notamment aux capacités financières, techniques et professionnelles des impétrants potentiels.

L’autorisation d’exercice serait ainsi conditionnée par un cahier des charges standard et l’ouverture de nouvelles lignes devrait passer par la case des appels d’offres. 

 
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