Hydrogène : Comment le Maroc peut devenir le premier fournisseur de l’Union Européenne
La Commission Européenne a présenté le 8 juillet dernier un plan de développement de l’hydrogène vert pour les pays de l’Union. La feuille de route a pour objectif de décarboner les secteurs les plus polluants comme la sidérurgie et les transports, dans la course vers la neutralité climatique en 2050. Concrètement, il s’agit de remplacer les énergies fossiles dans l’industrie par l’hydrogène vert, notamment pour la production d’acier, de l’utiliser comme carburant pour le transport aérien et maritime, les poids lourds, ainsi que pour les batteries. Bruxelles espère amener l’hydrogène entre 12 et 14% du mix énergétique de l’Union européenne en 2050 ; elle en a même fait un investissement prioritaire pour la transition et la relance de son économie après la crise liée au coronavirus.
L’hydrogène vert apparaît comme une solution prometteuse et d’avenir. En effet, elle est une ressource illimitée, décarbonée, stockable et transportable. Elle peut être transformée en électricité ou en carburant et représente ainsi une alternative viable aux énergies fossiles qui restent encore largement la source d’énergie majeure de nos sociétés. Or, si le plan européen est ambitieux et doté d’importants budgets pour mener à bien cette transition, il n’en demeure pas moins que les capacités de production de l’hydrogène vert, qui provient essentiellement de l’éolien et du solaire, sont limitées. Même avec un investissement massif dans les énergies renouvelables, toutes les études européennes avancent la nécessité d’importer une quantité importante des besoins énergétiques en hydrogène et donc de nouer des partenariats stratégiques avec des pays au fort potentiel énergétique.
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Le Maroc dans les starting-blocks
Le Maroc figure sans aucun doute parmi les partenaires stratégiques incontournables de l’Union européenne dans la mesure où le Royaume a une capacité éolienne et solaire hors du commun, qu’il a entrepris de lourds investissements dans le domaine des énergies renouvelables dès 2009 et du fait enfin de sa proximité avec le continent européen. À ce titre, le Maroc a signé un certain nombre d’accords de coopération avec l’Allemagne qui prévoit notamment la construction dans le Royaume d’une unité de production d’hydrogène vert, qui serait la première sur le continent. La création d’une commission nationale sur l’hydrogène, d’un certain nombre d’agences comme MASEN (Agence marocaine pour l’énergie durable) et l’IRESEN (Institut de Recherche en Énergie Solaire et Énergies Nouvelles) ou encore le travail du CESE (Conseil économique, social et environnemental) sur la potentialité de l’Énergie verte au Maroc traduisent la volonté du Royaume de devenir un leader mondial de l’Énergie verte. Cependant si l’hydrogène est une révolution énergétique, elle opère également un bouleversement des paradigmes économiques.
Dans l’industrie pétrolière, la concurrence économique est déterminée par les réserves, les coûts d’extraction et la capacité d’acheminement du pétrole et du gaz. Or dans le nouveau paradigme de l’Énergie verte, la notion de réserve est quasi désuète. En effet, si l’on se penche sur l’Afrique, beaucoup de pays ont un grand potentiel solaire. C’est donc davantage la proximité géographique et les investissements dans les infrastructures qui vous assureront la prééminence sur un marché.
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Concrètement dans le cas du Maroc, les concurrents sur le marché européen sont les pays d’Afrique du Nord. Si l’on exclut la Tunisie, du fait de la surface limitée de son territoire, et l’Égypte, du fait de son défi démographique, la Libye et l’Algérie sont des concurrents potentiels pour l’export d’hydrogène sur le marché européen. S’il est vrai qu’aucun des deux pays n’a initié une politique ambitieuse dans les énergies renouvelables, le défi de la transition énergétique se situe dans un temps long. Une fois la situation politique apaisée, Alger comme Tripoli peuvent rapidement rattraper leur retard pour avoir des infrastructures prêtes à horizon 2050. Le Maroc a acquis une avance et une expertise certaine dans les énergies renouvelables, il s’agit d’assurer cette avance par l’investissement dans les infrastructures de stockage et de transport.
Vers un hydrogénoduc transméditerranéen ?
Similairement à l’industrie gazière où un certain nombre de pays exportateurs arrivent à conquérir des parts de marché avec l’investissement dans les infrastructures de transport via des gazoducs ou méthaniers, le Maroc doit se pencher sur la possibilité d’un hydrogénoduc le reliant au continent européen. En effet, le transport par pipeline de l’hydrogène est technologiquement mature et les coûts de transport similaires à ceux du CNG. Cela permettrait d’assurer au Maroc un coût de transport inférieur par rapport à ses éventuels concurrents, en plus de sa plus grande proximité géographique, alors qu’il est déjà le seul pays d’Afrique du Nord qui dispose d’un câble d’alimentation le reliant au réseau européen. L’étude de faisabilité doit être faite d’autant plus rapidement que le crash pétrolier que nous connaissons peut représenter une opportunité pour le Royaume.
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En effet selon l’université de Delft, dont les travaux en la matière sont internationalement reconnus, la transformation des réseaux existants de gaz naturel en hydrogène représente des investissements relativement limités, de l’ordre de 15% de la valeur de ces infrastructures. Or, l’Algérie qui exporte son gaz naturel en Europe notamment via un gazoduc qui passe par le Maroc et l’Espagne a vu son contrat rompu par la société importatrice espagnole Naturgy Energy. En effet, le contrat qui liait la Sonatrach à Naturgy Energy prévoyait la vente du gaz naturel autour de 4 dollars par million de BTU alors qu’il est deux fois mon cher sur les marchés internationaux aujourd’hui. L’Espagne a donc préféré importer ses besoins en gaz naturel essentiellement des États-Unis. Selon les experts de l’industrie pétrolière, les prix du gaz naturel dans le sillage des prix du pétrole continueront à rester bas jusqu’en 2022. Or, la convention Maroc-Algérie-Espagne pour le transit du gaz algérien vers l’Europe via le GME (Gazoduc Maghreb Europe) prend fin précisément en 2021. Il est donc peu probable qu’Alger demande la prolongation de cet accord et le gazoduc traversant le territoire marocain deviendra légalement la propriété du Royaume.
La conversion de ce gazoduc permettrait au Royaume de sécuriser ses circuits d’exportation et devenir logiquement le partenaire privilégié du vieux continent et ainsi assurer son avance dans l’immense opportunité économique que représente cette transition énergétique. En effet, la conversion de ce gazoduc en hydrogénoduc, en coopération avec les autorités espagnoles, permettrait la présence d’infrastructures d’exportation marocaines en Europe. Et ce, précisément au moment où la Commission européenne, dans le cadre de son plan vert, se penche sur un projet de réseau d’hydrogénoduc à travers tout le continent. Cela mettrait Rabat dans une position unique de partenaire dans la réflexion des tracés des réseaux et ainsi s’assurer du raccordement des infrastructures marocaines aux réseaux européens.
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Opportunité économique et retombées géopolitiques
Si le Royaume effectue les investissements nécessaires, le Maroc a la capacité de devenir un leader mondial de l’hydrogène et le premier fournisseur d’Énergie à l’Europe, avec à la clé une formidable opportunité économique et géopolitique. Sur le plan économique, la possibilité de fournir de l’énergie propre décarbonée à l’industrie marocaine lui permettra d’accroître sa compétitivité à l’export. Cela peut également contribuer au développement des provinces du sud au moment où cela devient un enjeu de développement économique pour le Maroc. Enfin, l’export de l’hydrogène peut avoir un impact significatif sur la balance commerciale et les réserves de change du pays.
Sur le plan géopolitique, en plus de l’indépendance énergétique que cela peut conférer au Royaume, cela accroîtra le partenariat stratégique avec l’Union européenne, renforçant un peu plus son statut avancé. Enfin, le développement à terme d’énergies renouvelables dans les provinces du sud permettra, similairement aux accords de pêche avec l’Union européenne, d’ajouter la région comme source d’approvisionnement énergétique de l’Europe, renforçant un peu plus de facto la reconnaissance internationale de la souveraineté du Maroc sur son Sahara.
Par Anas Abdoun
Anas Abdoun est consultant analyste en risque géopolitique dans le secteur des énergies hydrocarbures. Après un Bachelor en Sciences Politiques de l’Université de Montréal et un Master en Relations internationales de l’Université Libre de Bruxelles, il rejoint Stratas Advisors, une compagnie de consulting spécialisé dans le secteur pétrolier, où il analyse les risques géopolitiques, sécuritaires, économiques et législatifs qui impactent les marches énergétiques au Moyen-Orient, en Afrique du Nord ainsi qu’en Afrique Sub-Saharienne.