Hydrogène. L’offre Maroc au défi des problèmes de gouvernance et de la reconfiguration du marché de l’énergie [Par Anas Abdoun]
L’hydrogène vert apparaît comme une solution prometteuse et d’avenir. En effet, elle est une ressource illimitée, décarbonée, stockable et transportable. Elle peut être transformée en électricité ou en carburant et représente ainsi une alternative viable aux énergies fossiles qui restent encore largement la source d’énergie majeure de nos sociétés. Pour ce faire, l’hydrogène est produit à partir des énergies renouvelables dont le Maroc est un pionnier sur le continent avec les premiers investissements, dès 2009.
Cependant force est de constater que, depuis quelques temps, nous assistons à certains retards de projets d’énergies renouvelables et il semblerait que le Royaume se soit reposé sur ses acquis sans aucune annonce ou lancement de projets d’envergure, alors même que Sa Majesté le Roi en a fait un axe stratégique de la politique énergétique du Royaume. Les raisons de cette stagnation peuvent s’expliquer autour de trois volets. Le premier réside dans le caractère nouveau des énergies renouvelables et des technologies qui y ont trait. L’énergie verte est encore à son balbutiement, ce qui impose une courbe d’apprentissage collective, que ce soit pour les institutions publiques, les investisseurs ou les entreprises spécialisées dans cette jeune industrie. Ainsi, les types de partenariats, la maitrise du progrès technologique aussi bien que le volet contractuel ou l’analyse de la compétitivité font encore l’objet d’ajustement de la part de l’ensemble des acteurs, ce qui peut expliquer un retard plus important comparé à d’autres secteurs industriels plus anciens.
Le deuxième se manifeste dans la profonde reconfiguration du marché de l’énergie qui affecte les investissements dans les énergies renouvelables. En effet, sur les plus grands projets d’énergies renouvelables les principaux investisseurs sont les majors des compagnies pétrolières qui, voyant la transition énergétique s’opérer ont accompagné le changement en investissant massivement dans la recherche sur les énergies renouvelables ou en rachetant les startups vertes performant sur ce nouveau segment. Or, ces entreprises, du fait de la crise énergétique que nous traversons, se concentrent actuellement davantage sur les défis actuels de l’approvisionnement énergétique que ceux de la transition énergétique de demain. Ainsi, mécaniquement, les financements de la part des majors des compagnies pétrolières se font plus rares.
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De plus, la crise énergétique a profondément changé les critères de la compétitivité du secteur. Dans l’industrie pétrolière, la concurrence économique est déterminée par les réserves, les coûts d’extraction et la capacité d’acheminement du pétrole et du gaz. En revanche, dans le nouveau paradigme de l’Énergie verte, la notion de réserve est quasi désuète. En effet, si l’on se penche sur l’Afrique, beaucoup de pays ont un grand potentiel solaire. C’est donc davantage la proximité géographique et les investissements dans les infrastructures qui assurent la prééminence sur un marché, ce qui fait du Maroc un pays hautement compétitif. Cela dit, ces derniers mois, avec l’urgence de la diversification de l’approvisionnement en gaz de l’Union européenne, les compagnies pétrolières tentent d’encourager les pays pétroliers à accélérer leur transition énergétique. Ainsi, les crédits européens en accord avec les compagnies pétrolières concentrent davantage leur investissement dans les énergies renouvelables dans des pays pétroliers, pour que la part de gaz transformée en électricité locale soit redirigée à l’export vers l’Europe. Dans ce cas de figure, le Maroc qui était hier et de loin le pays le plus compétitif de la région, doit aujourd’hui revoir sa copie.
Enfin, le troisième problème réside dans une mauvaise gouvernance. Le potentiel solaire et venteux au Maroc est tellement élevé et l’hydrogène vert une énergie si prometteuse que tout le monde s’y intéresse. Les investisseurs étrangers ont beaucoup trop d’interlocuteurs qui portent parfois des projets en total contradiction. Le ministère de l’Industrie s’intéresse à l’hydrogène vert pour décarboner son industrie. Le ministère de l’Énergie parle d’exporter l’hydrogène vert comme une matière première, là où l’OCP veut l’utiliser comme source de production d’Ammoniac, alors que MASEN (Moroccan Agency for Sustainable Energy – l’Agence marocaine pour l’énergie durable) ne semble plus avoir droit au chapitre depuis le rapport du CESE (Conseil économique, social et environnemental) sur ses erreurs de choix technologiques.
Les agences et les ministères, bien qu’ils semblent de bonne volonté, marchent sur les plates-bandes les uns des autres ce qui ralentit considérablement la prise de décision politique. De plus, la volonté d’intégrer l’ensemble de la chaine de valeur de l’hydrogène n’est pas adossée à une priorisation stratégique des projets et une chronologie de leur mise en œuvre en fonction des besoins économiques et l’État et du marché de l’énergie. Le Souverain a appelé à constituer une offre Maroc, et pour ce faire, il faut resituer les énergies renouvelables et l’hydrogène vert dans une vision globale intégrée aux besoins industriels et à la reconfiguration énergétique mondiale.
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Ainsi, l’arrêt des importations du gaz russe et le remplacement par le GNL, le gaz naturel liquéfié, porte atteinte au fondement du modèle économique des industries lourdes présentes en Europe et particulièrement en Allemagne. En effet, un certain nombre de secteurs comme la pétrochimie, à l’image de BASF Chemicals, est en voie de délocalisation du fait du coût élevé du GNL. Or, l’ensemble des industries qui fonctionnent au gaz naturel peuvent difficilement remplacer leurs sources d’énergies, mais sont parfaitement compatibles aux ENR couplées au stockage de l’hydrogène.
Le Maroc est capable de produire de l’hydrogène à partir des énergies renouvelables et ce, à des coûts extrêmement compétitifs. Cela permettra d’attirer l’industrie lourde qui n’est pas présente en abondance au Royaume. L’industrie lourde peut être attirée par les nombreuses connections maritimes du Royaume, les multiples accords de libre-échange, une source d’énergie compétitive et décarbonée, le tout dans un pays avec un savoir-faire industriel et des ressources minières fort intéressantes. Pour le Maroc, l’installation de l’industrie lourde viendra compléter le tissu industriel moyen et accélèrera davantage le taux d’intégration, notre positionnement dans la chaîne de valeurs et la montée en gamme de nos produits manufacturiers.
- Anas Abdoun est Analyste en prospective économique et géopolitique chez Stratas Advisors, une compagnie de consulting spécialisée dans le secteur pétrolier, où il suit les marchés énergétiques au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, ainsi qu’en Afrique subsaharienne. Il est également Consultant indépendant basé à Casablanca.