Energie renouvelable

Hydrogène vert : Une nouvelle priorité pour le Maroc

Afin de placer le Maroc dans le club des pays à fort potentiel dans la filière émergente de l’hydrogène vert et de ses usages, et répondre aux multiples projets portés par des investisseurs et leaders mondiaux, le Roi Mohammed VI a ordonné l’élaboration d’une « Offre Maroc » opérationnelle et incitative pour la filière. Où en est le Maroc dans le développement de cette filière d’avenir ? A quoi pourrait ressembler alors l’offre du Maroc, qui a été identifié parmi les six pays ayant les plus importantes potentialités pour produire l’hydrogène vert ? Quels sont les atouts du Maroc pour s’y positionner ?  

Le Maroc accélère dans la bataille de l’hydrogène. Jusque-là, parmi les objectifs à atteindre dans le cadre de la stratégie énergétique du Maroc, le développement de la filière émergente de l’hydrogène vert et de ses usages est devenu une priorité nationale. En effet, le Roi Mohammed VI qui a présidé, mardi 22 novembre, une réunion de travail consacrée au développement des énergies renouvelables et aux nouvelles perspectives dans ce domaine, a ordonné «l’élaboration d’une «Offre Maroc» opérationnelle et incitative, couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur de la filière de l’hydrogène vert au Maroc ». Selon plusieurs experts et acteurs de l’écosystème énergétique, interrogés dans le cadre de ce dossier, le Souverain recommande surtout d’accélérer le rythme.

Ils voient cette recommandation comme un second souffle à l’impulsion donnée par le Roi en 2009/2010 pour le développement des énergies renouvelables et qui avait poussé, entre autres, le Royaume à s’activer dans le déploiement d’une nouvelle source d’énergie propre qui est l’hydrogène vert, clé de voute de la transition verte des secteurs énergétique et industriel. «Le Maroc a été le premier pays Africain et arabe à élaborer sa feuille de route hydrogène vert. Cette dernière a été faite sur la base de plusieurs études, de maturité technologique, des études technico-économiques, des études socio-économiques ce qui a permis de préparer une feuille de route adaptée à notre contexte», souligne Badr Ikken, vice-président du cluster Hydrogène vert au Maroc, ajoutant qu’une étude du World Energy Cancel en 2018 a identifié le Maroc parmi les 6 pays qui ont un grand potentiel pour devenir de grands exportateurs ; en raison notamment à la présence de régions qui combinent des gisements éoliens et solaires abondants et permettent donc de produire 24/24h et 7j/7 de l’électricité propre.

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Si cette stratégie de développement de l’hydrogène vert au Maroc a été mise en place suite aux recommandations de ces études ayant confirmé la disposition du Maroc d’un potentiel important pour le développement de cette filière, il ressort de ces rapports que le pays peut capter jusqu’à 4% de la demande mondiale en molécules vertes, soit près de 3 milliards de dollars si on considère le marché de 2018. D’après également cette feuille de route du ministère de la Transition énergétique et du développement durable, le développement de l’hydrogène vert au Maroc sera concrétisé de manière progressive en vue d’assurer une exploitation optimale de l’ensemble du potentiel aussi bien pour l’économie nationale que pour l’exportation. Ainsi, le premier volet du plan, le plus immédiat et le plus concret c’est-à-dire sur le court terme (2020-2030), deux piliers sont envisagés pour le développement de l’industrie de l’hydrogène vert au Maroc.

Le premier étant l’utilisation locale comme matière première dans l’industrie, en particulier pour la production de l’ammoniac vert dans l’industrie des engrais et éventuellement le secteur du raffinage. La part du marché Marocain pour l’ammoniac est très significative étant donné les besoins du premier producteur de phosphates, à savoir le Groupe OCP, qui importe de l’ammoniac en particulier (environ 2 millions de tonnes en 2019). Le développement de la filière de l’Ammoniac vert au Maroc sera tributaire de la réduction des coûts par rapport à la filière classique afin de garantir sa compétitivité. Conformément aux prévisions les plus optimistes, des études précédentes concernant les exportations d’ammoniac du Maroc, il est supposé que cette demande d’exportation représenterait une part plus importante que la demande intérieure (de x2 à x9 plus d’ici 2050). Pour le secteur du raffinage, une demande d’hydrogène a été calculée sur la base des raffineries qui peuvent voir le jour au Maroc. Cela devrait commencer à 5 millions de tonnes au départ et atteindre 10 millions de tonnes à long terme. Il est à supposer que l’hydrogène vert couvre 25% de sa demande totale pour ce carburant d’ici 2030 et pourra atteindre 40% en 2050.  « En produisant de l’hydrogène vert au Maroc, cela va énormément contribuer à renforcer l’autonomie de l’OCP dans ce volet qui, avec la forte demande de l’ammoniac sur l’international à cause de la crise russo-ukrainienne, a importé plus d’un milliard de dollars d’ammoniac », explique Saïd Mouline, Directeur général de l’Agence Marocaine pour l’Efficacité Energétique (AMEE).

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Quoi qu’il en soit, la joint-venture entre la société grecque Consolidated Contractors Company (CCC), fournisseur mondial de solutions d’ingénierie et l’irlandais Fusion Fuel, y travaille à travers la mise en place d’un important projet de production d’hydrogène vert au Maroc qui devrait produire 31.850 tonnes par an d’hydrogène vert, 151.800 tonnes annuelles de nitrogène, et 183.650 tonnes d’ammoniac vert d’ici 2026. Baptisé «HEVO Ammoniac Maroc», ce projet nécessitera près de 850 millions de dollars. L’hydrogène vert sera fourni par le générateur solaire hors réseau HEVO Solar de Fusion Fuel.  Les travaux ont déjà commencé.  

Globalement, pour le Royaume, en plus d’atteindre ses objectifs sur le plan environnemental, en faisant monter la part des renouvelables à plus de 53% du mix énergétique dans les prochaines années, le but est de doter l’industrie nationale de capacité de production et d’utilisation optimale de l’énergie à base d’hydrogène.  « La production de l’hydrogène vert au Maroc favorisera sa croissance économique, contribuera à la décarbonation de son industrie et renforcera la sécurité de son approvisionnement en intrants énergétiques et non énergétiques », préconise la feuille de route nationale sur l’hydrogène vert. 

Plus encore, conscient des besoins en hydrogène des pays partenaires européens, le Maroc se positionne déjà comme un futur exportateur d’hydrogène. C’est pourquoi, le deuxième pilier de la feuille de route nationale sur l’hydrogène vert porte sur l’exportation de produits issus de l’hydrogène vert vers des pays engagés dans des objectifs ambitieux de décarbonation. Durant cette période, les coûts des produits de l’hydrogène vert resteraient plus élevés que ceux des produits conventionnels. Le développement de l’industrie de l’hydrogène reposerait sur divers projets pilotes et de développement bénéficiant d’un soutien des pouvoirs publics et d’un financement bonifié des institutions financières nationales et internationales.

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Demain, trains, camions, bus et même avions devront rouler, ou voler, à l’hydrogène. Comme pour la production d’hydrogène vert, la technologie existe mais elle est encore loin d’être viable économiquement. Il s’agit notamment de travailler sur la pile à combustible qui permet de (re)transformer l’hydrogène en électricité, pour en réduire le coût et en améliorer le rendement. Dans ce cadre, la feuille de route, entrevoit, à moyen terme (2030 – 2040), d’autres conditions spécifiques favorables et particulièrement, la réduction des coûts des produits de l’hydrogène vert et la mise en place d’une réglementation environnementale, qui permettront de développer des premiers projets économiquement viables notamment pour l’ammoniac et l’hydrogène vert, au niveau national et international. Il en est de même pour les exportations de combustibles liquides synthétiques tels que le kérosène, le diesel, l’essence dans le cas de l’adoption d’une réglementation environnementale encourageante dans les régions importatrices des dérivés de l’hydrogène vert comme l’Europe, ce qui présente des opportunités pour le Maroc pour développer progressivement cette filière.

L’utilisation locale de produits de l’hydrogène vert dans le secteur de l’électricité, comme vecteur pour le stockage de l’énergie, et dans le transport comme carburant, pourrait soutenir l’expansion de l’industrie de l’hydrogène au Maroc. «Toutefois, des projets pilotes pour ces secteurs pourraient être lancés à court ou moyen terme afin de tester les applications technologiques et les réadapter au contexte Marocain, en vue d’optimiser leur déploiement à long terme. Dans le secteur de l’énergie, l’hydrogène vert peut être utilisé comme vecteur pour le stockage de l’énergie afin de réduire les congestions du réseau et d’améliorer la flexibilité du système électrique national», précise la feuille de route qui donne également une idée sur le positionnement du Maroc dans cette filière sur le long terme (2040 – 2050).

En effet, pour cette période et au-delà, les analyses de rentabilité concernant l’ammoniac, l’hydrogène et les carburants synthétiques verts destinés à l’exportation s’améliorent, et le développement des technologies et de l’industrie de l’hydrogène vert s’accéléreraient au niveau mondial, notamment au niveau du Royaume, selon la feuille de route. Cette expansion évoluera davantage par l’utilisation locale de l’hydrogène vert dans l’industrie, pour la production de chaleur, dans le secteur résidentiel et dans la mobilité urbaine et le transport aérien. Néanmoins, la demande pour ces secteurs en hydrogène vert ou en méthane synthétique, en particulier, dans le cas du secteur résidentiel, porte sur des volumes de demande éventuellement faibles associés à des besoins d’investissement élevés pour le développement des infrastructures de distribution importantes. Dans le domaine du transport, les possibilités de développement à long terme ciblent essentiellement les moyens de transports terrestres lourds et l’aviation. Une certaine demande pourrait apparaître dans le secteur du transport, probablement associée à l’hydrogène vert utilisé pour le fret, l’exploitation minière et les transports publics dans le cadre des projets pilotes, prédit la feuille de route. «Nous avons besoin de cette nouvelle économie de l’hydrogène vert qui va nous permettre d’utiliser l’hydrogène comme un vecteur d’énergie mais qui est propre et décarboné», indique Badr Ikken.

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Pour ce faire, la tutelle a traduit ces trois grands axes stratégiques en un plan d’actions à l’horizon 2050 à mettre en œuvre progressivement et portant sur la réduction des coûts tout au long de la chaîne de valeur de la filière d’hydrogène vert et de ses dérivés (voir schémas). « En ce qui concerne les besoins mondiaux en décarbonation, l’offre mondiale est très nettement en dessous de la demande. A l’heure actuelle, la totalité des projets d’hydrogène vert en cours sur notre planète, représente une partie infime de ce qui est nécessaire pour réajuster le fameux +1.5C en 2050. Nous n’en aurons jamais assez conscience. L’échéance se rapproche très rapidement. Les nations engageront de plus en plus rapidement des plans drastiques qui propulseront l’énergie verte toujours plus en avant. Nous ne sommes qu’aux balbutiements des grands changements à venir et qui s’accéléreront», analyse Amine Jamai, Directeur général de Valoris et ancien Directeur général d’ExxonMobil en Afrique de l’Ouest et DRH de Sanofi-Aventis et de Mobil Oil Maroc.

Aujourd’hui, le temps joue en faveur des pays pionniers qui ont anticipé en proposant une offre opérationnelle et incitative pour la filière, en particulier les investisseurs potentiels. «L’offre hydrogène local du Maroc, peut être nettement plus séduisante, dans la mesure où elle mettrait à la disposition de toute entreprise, de l’électricité décarbonée, de l’hydrogène décarboné, et surtout un cadre très encourageant, grâce à la nouvelle charte d’investissement. Investir au Maroc, devient la garantie pour les entreprises étrangères de produire avec une empreinte carbone nulle ou très faible. Un coût du kWh renouvelable des plus compétitifs, et un coût du Kg d’hydrogène, des plus bas, sûrement à moins de 2 $/Kg. Le Maroc peut ainsi offrir un cadre, qui va protéger et sécuriser les investisseurs avec des coûts énergétiques constants sur 20 ou 30 ans, contrairement à l’Europe, où la visibilité en matière d’énergies est actuellement, quasiment nulle», estime Dr Saïd Guemra, Energy Transition Operator.

Depuis que le Souverain a donné ses nouvelles instructions pour le développement de la filière, les opérateurs du secteur sont mobilisés. C’est le cas des membres et co-fondateurs du Cluster Green H2 qui devaient se réunir le jeudi 1er décembre afin de pouvoir mettre en place un plan d’action à même de contribuer à rejoindre la vision du Roi de «placer le Maroc dans le club des pays à fort potentiel dans cette filière d’avenir ». «Ce que j’apprécie dans l’approche de cette feuille de route de l’hydrogène vert, c’est que nous avons tiré des leçons du passé dans le sens où cette nouvelle stratégie diffère un peu de la stratégie solaire. L’idée dans ce cas, n’est pas de faire porter le taux et le Lead par le public, mais de préparer un environnement propice avec un cadre réglementaire et juridique….  Et laisser ainsi le privé développer ces projet», indique le Vice-président du cluster Hydrogène vert au Maroc.

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Selon la feuille de route sur l’hydrogène vert au Maroc, la demande nationale en hydrogène vert et ses dérivés est estimée à 4TWh en 2030, pour une puissance de 2GW en sources d’énergie renouvelable. En 2040, elle montera à 22TWh pour une puissance de 12GW, et 40TWh en 2050 pour une puissance d’environ 20GW.  Quant à la demande à l’export, elle est calculée à 10TWh en 2030, 46TWh en 2040 et 115TWh en 2050. «Ceci équivaut à un investissement cumulé de 90 milliards de DH à l’horizon de 2030 et 760 milliards de DH à l’horizon de 2050 », indique la feuille de route. 

Logique que d’importants projets à l’initiative de Marocains et de grands groupes internationaux voient progressivement le jour. «Le Maroc a besoin d’une demi-douzaine, voire d’une dizaine de projets XXL d’hydrogène vert de Guelmim à Guerguarat. Les synergies seront d’autant plus fortes quand l’on identifiera les différents porteurs de projets à date et que l’on positionnera rapidement –  géographiquement –  chacun d’entre eux sur notre territoire. Ensuite, il semble logique de rassembler ces pionniers, pour créer avec eux, un ensemble de bases en termes d’infrastructures, et de les administrer dans un système de taxations vertueuses qui profitera à notre pays, sans oublier – d’édicter des règles saines pour protéger notre fragile écologie. A priori, les promoteurs de projets sérieux ont dans leurs business model les fondamentaux nécessaires en termes de protection de la nature», estime Amine Jamai, notant que des synergies intelligentes pourront aussi bénéficier aux régions, en commençant par la création de centres de formation dédiés aux nouveaux métiers, intégrant des dizaines de milliers de jeunes Marocains.

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Pour Badr Ikken, le Maroc a aujourd’hui des champions dans les énergies renouvelables, l’hydrogène et toute la partie chimie et transformation chimique. Pour autant, le Royaume doit faire face à la concurrence. Rien qu’en Afrique du Nord, des pays comme l’Égypte, la Mauritanie, et l’Algérie, nourrissent également des ambitions.

 
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