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La Banque Mondiale peut-elle sauver le transport urbain au Maroc ?

Dans le cadre de son partenariat stratégique 2014-2017 avec le  Maroc, la Banque Mondiale débloquera pour l’année budgétaire 2016, un prêt de 200 millions de dollars au Maroc destiné à soutenir le programme du ministère de l’Intérieur de modernisation du transport urbain. par S. Alattar

Le Maroc est un pays qui s’urbanise de plus en plus. Selon le HCP, la population urbaine a atteint plus de 60% en 2014 et elle atteindra les 70% en 2025. Parmi les services publics urbains appelés à supporter sans cesse la pression de l’accroissement continu de la population urbaine, se trouve le transport, eu égard à son rôle sur les plans économique et de cohésion sociale. En effet, le transport assure, d’une part, les déplacements des zones résidentielles vers les lieux de travail, les centres commerciaux et les loisirs. D’autre part, il constitue un moyen indispensable, notamment pour les périphéries, d’accès aux services et équipements de base tels que les établissements scolaires, les universités, les centres de santé, les centres administratifs, etc.

Le transport, un secteur stratégique

Le développement socioéconomique des villes génère de plus en plus des besoins de mobilités, assurant les liens entre les activités aussi bien économiques que sociales, qui s’expliquent par la forte corrélation entre le niveau des revenus et la mobilité. En témoigne l’enquête sur la consommation des ménages qui montre que  la part des dépenses se rapportant, en particulier, à la santé, à l’enseignement, à la culture, au transport et aux loisirs est en constante augmentation, passant de 18,8% en 1985 à plus de 30% actuellement.
Selon les données du Ministère de l’Equipement, le transport contribue à l’économie nationale à raison de 5% du PIB et près de 10% de la valeur ajoutée du secteur tertiaire. Le produit de sa fiscalité contribue aux recettes du Budget Général de l’Etat à hauteur de 15% ; il occupe près de 10% de la population active urbaine et participe à 35% à la consommation nationale d’énergie, dont 50% des produits pétroliers. A fin 2013, 3,28 millions de véhicules toutes catégories confondues étaient en circulation dans le pays, soit une hausse de 5,19% par rapport à 2012. Cette hausse est à imputer principalement à l’évolution de 5,34% du parc de véhicules utilitaires. Les voitures de tourisme qui représentent près de 70% du parc automobile national, ont enregistré au cours de la même période une hausse de 5,9%. Ce chiffre démontre le faible taux d’équipement des ménages marocains, soit environ 70 véhicules pour 1000 habitants, contre 700 pour l’Europe. L’inconvénient de cette évolution réside dans le fait que 50% du parc automobile national est concentré à  Casablanca. Dans la métropole économique, près de 1,5 million de véhicules sont en circulation dans la ville. Le parc automobile casablancais devrait quadrupler dans les 20 prochaines années. En 2013, 120.000 véhicules dont 108.000 particuliers ont été vendus au Maroc. Ce parc est composé principalement de voitures de tourisme qui représentent près de 70%.
Le secteur du transport Marocain se caractérise par une qualité et une couverture des services limitée et des délais d’attente anormaux pour le transit des personnes. Ces éléments se traduisent par des qualités de service qui sont en général négatives. Pour ce qui est du transport urbain, il présente trois caractéristiques majeures : la médiocrité des transports collectifs de masse, l’augmentation du nombre de voitures particulières et l’émergence de moyens alternatifs de déplacement pour les populations à faible revenu.
Le transport collectif urbain est l’un des domaines qui illustre les carences des politiques publiques décentralisées. Dès le début des années soixante, l’Etat a fait le mauvais choix, celui de confier aux communes le soin de s’occuper de ce service urbain vital. Commencent alors des décennies de bricolage durant lesquelles les défauts du système s’aggravent d’année en année. La privatisation partielle, comme la multiplication des petits et des grands taxis, ne résout pas le problème et le transport est devenu le souffre douleur de franges considérables des habitants des grandes villes.

Un mode de gouvernance défaillant

Selon les données de la Direction des régies, beaucoup d’opérateurs publics ou privés sont déficitaires. Ainsi, les pertes de M’dina Bus se chiffraient à plus de 100 millions de DH, celles de AUTASA à plus de 14 millions de DH, celles de la RATF à plus de 15 millions de DH. Et en moins de deux ans d’exploitation du réseau de Rabat, Véolia s’est retiré au profit de la DGCL. Pourtant, les pertes ne sont pas inéluctables puisque le coût moyen de transport d’un passager serait de 2,4 DH si chaque bus transportait 1.250 passagers/jour. En fait, les pertes sont directement liées au faible taux de remplissage des bus (833 passagers/jour pour M’dina Bus) et à la large proportion de passagers à tarif préférentiel.
Dans le même temps, on a assisté à une dégradation du service du transport urbain dans les grandes villes, laquelle dégradation, conjuguée à l’étalement urbain et l’accroissement de la motorisation, pourrait compromettre aussi bien le développement économique et social, que la qualité de l’environnement des grandes métropoles. Avec le recul, le désengagement de l’Etat en matière de transport a eu des effets dévastateurs sur le secteur. La stratégie adoptée dans les années 80 et 90 consistant à s’appuyer sur le secteur privé pour pallier la défaillance des communes, a conduit en fait à aggraver la crise des transports dans les grandes villes.
Quant aux tarifs, ils varient d’une ville à l’autre. Selon les données du HCP, le coût de transport par bus pourrait atteindre 20% des revenus d’une famille moyenne. Un chef de famille rémunéré au SMIG doit dépenser près de 10% de son salaire pour son seul transport s’il se déplace par bus. Parmi les principaux objectifs de ce programme financé par la Banque Mondiale, figure la modernisation du modèle de gouvernance et de financement du transport public urbain pour permettre de dépasser les dysfonctionnements enregistrés, de renforcer la performance du secteur, d’améliorer la sécurité et la mobilité, ainsi que de veiller à une gestion financière durable de ce service public.
Sur le volet gouvernance, le programme prévoit la mise à niveau des institutions en charge de la gestion du transport urbain, tant au niveau central que local, en renforçant leurs capacités à planifier, à mettre en œuvre et à suivre les activités de transport urbain (services et infrastructures), principalement dans les grandes et moyennes villes (de plus de 100.000 habitants).
Par ailleurs, le programme prévoit également de rendre opérationnel le Fonds d’accompagnement à la réforme du transport routier urbain et interurbain (FART) créé en 2007. A cet effet, le gouvernement prévoit de consacrer au moins 230 millions de dollars par an à ce fonds. Pour rappelle, le texte de création du FART a été amendé par la loi de Finances 2014 dans le but d’assurer un financement pérenne des projets de transport public urbain. De même, un arrêté conjoint du ministre de l’Intérieur et du ministre de l’Économie et des Finances, fixant la composition et le fonctionnement du comité du FART a été signé en juillet 2014.
Reste à savoir si ce prêt suffit à sortir le transport urbain de la crise actuelle, qui n’est pas seulement financière. Elle est surtout institutionnelle. Le Maroc doit surtout changer de modèle de gouvernance de ce secteur. La gestion de ce secteur ne doit plus être confiée aux collectivités locales qui ont montré leur incapacité à piloter ce service public. Il faut qu’il y ait un retour de l’Etat pour engager une véritable politique volontariste de modernisation de ce secteur vital pour le fonctionnement de l’économie urbaine. C’est d’ailleurs, à la faveur de ce retour que les villes de Rabat et de Casablanca se sont dotées d’un tramway. C’est ce modèle qu’il convient de généraliser à l’ensemble des agglomérations marocaines.

 
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