La dernière bataille de Blatter
Et brusquement, tout fit «pschitt», la baudruche médiatique s’est dégonflée, en ce vendredi après-midi où, à Zurich et dans le monde entier, on prévoyait la chute de la maison Blatter, patron de la FIFA.
La maison Blatter traînée dans la boue par les enquêtes du FBI. Enquêtes qui ont entraîné l’arrestation de plusieurs dirigeants internationaux du football et donné l’occasion à Michel Platini d’endosser son costume de chevalier blanc et de partir en guerre contre les corrupteurs et les scandales. Un Platini si sûr de son fait qu’il n’hésita pas à faire campagne ouvertement pour le Prince Ali Ben Hussein en déclarant : «je crois sincèrement que Blatter peut être battu, j’appelle à voter contre lui».
Une grande partie de la presse européenne prit fait et cause pour Platini et l’on vit alors fleurir les gros titres à la une «FIFA : le scandale de trop». On parla même de «pourriture», alignant des phrases telles celles-ci : «Il y a dans l’air une odeur de pourriture. Les égoûts de la FIFA débordent tellement, que boucher son nez ne suffit plus à masquer les effluves pestilentiels lâchés par la machine qui gouverne le football mondial».
Et comme toujours, quand il s’agit de football, la politique n’est pas très loin. Ainsi, le ministre des Affaires étrangères d’Allemagne, Frank-Walter Steinmeir, n’hésita pas, lui aussi, à sortir du bois et de proclamer : «la corruption empoisonne la politique et empoisonne le sport. Si le football veut être un exemple, des éclaircissements sont nécessaires. Si les facultés d’autoépuration du football n’en sont pas capables, alors les pouvoirs publics doivent s’en charger».
Platini choisit alors d’en rajouter une couche et prenant son air le plus affligé; il versa ses dernières larmes de crocodile : «le football est notre mère à tous, il est bafoué et trainé dans la boue et on ne peut pas laisser notre mère être traitée ainsi, les mères on les respecte. Il faut que les choses changent, et pour cela Blatter doit partir».
Un vieux sachem qui ne veut pas lâcher son fauteuil
Et tout cela dit, alors que l’on était à la veille des élections pour la présidence de la FIFA… 209 pays réunis le week-end dernier à Zurich pour le congrès de la FIFA étaient brusquement pris en otage, avec les projecteurs de l’actualité braqués sur leurs travaux qui, d’habitude, passent quasi-inaperçus. Mais cette fois, devant l’ampleur du scandale et sa résonnance médiatique, le commun des mortels se mit à penser comme Platini en condamnant à l’avance Blatter, ce vieux sachem de 79 ans qui ne voulait pas lâcher son fauteuil.
Et justement, à ce fauteuil, Sepp Blatter est solidement ancré et confortablement installé. Il sait mieux que personne que le pouvoir ne se donne pas dans les articles de presse et que, même à l’ère des réseaux sociaux et du tintamarre du «tout info et grosse intox», la parole reste à celui qui tient les rouages de la mécanique. Et la FIFA est une mécanique très bien huilée et qui a toutes les apparences de la démocratie. Ce sont les élections qui déterminent le choix du président. Le seul moyen qu’avait Platini de dégommer Blatter, était de faire reporter les élections à plus tard, pour laisser à la campagne de déstabilisation le temps de s’installer. Mais pour cela, pour reporter un congrès électoral, il faut la majorité des deux tiers des voix, soit 140 voix sur les 209 du congrès. C’est pour cela que, fort de son assise électorale, Blatter ne rentra jamais dans la bataille et ne répondit jamais ouvertement à ses détracteurs, Platini en tête.
Son principal objectif était que le congrès se tienne avec son ordre du jour. Fort de ses alliances, Blatter manœuvra à la perfection pour que son stratagème aboutisse. Et vendredi soir, à l’issue du congrès, alors que s’égrenaient les bulletins de vote, le «platinisme» était en baisse. Pour 7 voix, 133 au lieu des 140 de la majorité absolue des deux tiers, Blatter sera certes mis en ballotage, mais son triomphe ne faisait aucun doute, à tel point que son rival, le Prince Jordanien, choisit de partir sans demander son compte.
Le Président de l’UEFA, Michel Platini, qui s’autoproclama héros de la croisade anti-Blatter, s’en relèvera-t-il ? L’avenir seul nous le dira… En plissant les yeux et avec un sourire qui en disait long, Blatter a déclaré : «je pardonne tout, mais je n’oublie rien». Il ne cherchera pas à se venger de son adversaire, car Platini s’est pris tout seul les pieds dans le tapis. Ses paroles et soupirs pour un football plus propre n’ont, en fait, convaincu personne. Y compris Noël Le Graet, son ami et pourtant Président de la FFF (Fédération Française de Football), qui a déclaré avoir voté Blatter et regretté que «Michel» ait eu un comportement «inadéquat».
La FIFA dort sur un matelas de 1,36 milliard d’euros
Michel Platini, en susurrant que le candidat jordanien n’avait pas besoin d’argent car il est Prince, sous-entendant par là qu’il serait à l’abri de la corruption, n’a pas été très fin. Car si corruption il y a à la FIFA, Michel Platini, vice-Président de l’instance, serait mal placé pour en parler. Blatter, qu’aucune enquête ne menace, préfère parler de son bilan financier. Il l’a exposé en plein congrès, faisant valoir que la FIFA a enregistré un bénéfice de 308 millions d’euros sur 2011-2014 pour un chiffre d’affaires de 5,2 milliards d’euros. L’entreprise dort sur un matelas de 1,36 milliard d’euros de réserves en fonds propres. Ce fabuleux pactole est généré par la Coupe du Monde, ses sponsors et les droits de retransmission. «C’est ma poule aux œufs d’or», souffle Blatter.
Cependant, cet édifice, si impressionnant soit-il, est menacé. Aussi paradoxalement que cela puisse paraître, Blatter sait que pour sa véritable santé financière, le Mondial n’aurait jamais dû être organisé en Russie et au Qatar, mais que ces éditions de 2018 et 2022 auraient dû respectivement aller en Grande-Bretagne et aux USA, car c’est là que sont les principaux et gros sponsors de la FIFA. Les sociétés américaines ont déjà commencé à grogner; elles ne peuvent attendre la Saint-Glinglin pour que la Coupe du Monde reste leur apanage. Blatter le sait, comme il sait que l’enquête du FBI n’est qu’une manœuvre théâtrale visant à lancer un avertissement aux décideurs de la FIFA. Il sera intéressant désormais, de suivre et d’attendre l’issue de la vraie bataille, la seule qui compte, celle qui va s’engager entre les pourvoyeurs de dollars, les sponsors, et entre ceux qui gèrent les émotions du foot. Car, entendons-nous bien, la FIFA ne possède ni capital, ni usine. Sa force principale, c’est le jeu et les émotions et sensations qu’il provoque chez 2 milliards d’individus sur terre.
Concilier les vertus des pauvres avec les besoins des riches, naviguer entre les intérêts de chacun, satisfaire les appétits de celui-ci en consolant celui-là en lui faisant croire que l’on travaille pour lui… Voici la dernière bataille que va engager ce chef de guerre déjà légendaire, qu’est devenu Blatter.
Equation difficile, quasi-impossible, car la grande finance a ses règles. Le football-empire économique ne peut y échapper… Blatter saura-t-il sauvegarder l’âme du jeu alors que celle-ci est enserrée dans les chaînes de la dépendance financière ? That is the question.