Tribune et Débats

L’artisanat, un secteur qui cherche encore à sortir des sentiers battus [Tribune]

Par Aziz Daouda

Je me rappelle qu’en février 2016, le Chef du gouvernement d’alors, avait  présidé une commission consacrée à l’artisanat. J’aime bien appeler ce secteur « industrie marocaine » dans mes interventions dans l’émission Décryptage diffusée sur Radio MFM. Si Mohamed El Khomsi est du même avis. La taille de cette activité en fait une véritable industrie, alors que le terme artisanat la cantonne dans l’exotisme et la marginalité.

Un autre indice de l’épistémicide subi par notre culture, notre histoire véritable et notre patrimoine tout court. Le but affiché était de relancer cette importante activité sociale, économique et culturelle.Véritable richesse du pays. Officiellement, dans un avenir alors projeté proche, il était question de générer 115.000 emplois additionnels, d’atteindre 60.000 lauréats de la formation professionnelle et de créer entre 15.000 et 17.000 entreprises. Ceci devait se traduire par une augmentation des exportations et un PIB de 4 milliards de dirhams. C’était bien de se préoccuper ainsi de cette industrie marocaine et de chercher à dynamiser le secteur qui emploie le plus au Maroc et dont la valeur ajoutée est des meilleures, tous secteurs confondus.Depuis, qu’en est-il réellement ?

Passons sur les proportions et les chiffres jamais atteints et disons que depuis, la précarité du secteur s’est davantage confirmée, que de nombreux métiers sont encore plus que jamais menacés et que bien des emplois ont été détruits. Aujourd’hui, l’espoir est grand que parmi le dispositif pour éponger les conséquences de la crise du Covid19, et avec l’avènement d’un nouveau modèle économique,  soient prises des mesures intelligentes et lancées des actions encourageantes en faveur de ce secteur vital pour une économie sociale nationale florissante.  Que pourraient être les mesures à prendre et les décisions urgentes à même de garantir des jours meilleurs à cette industrie marocaine ?

Le secteur a toujours été laissé pour compte dans une inadéquation totale entre le discours et les faits. On ne s’en soucie guère ; peut être parce qu’il nous a habitués à se débrouiller seul, à se réinventer de lui-même et que sa voix ne porte pas haut.La première des initiatives, est de couper court à la folklorisation de cette activité économique et de mettre fin au déni dont elle souffre; d’en redéfinir le contour et de l’inscrire parmi les activités industrielles. Officiellement, à ce jour, le secteur n’est pris en compte que pour produire en direction des touristes et de l’étranger. C’est ce que nous faisons depuis l’indépendance, quand bien même l’essentiel de la consommation des produits est assurée en interne.

Le secteur ne bénéficie que d’une attention mineure pour n’avoir été placé que sous la tutelle d’administrations mineures, alors qu’il concerne en fait les départements de l’Intérieur, de l’Education nationale, celui chargé de l’Urbanisme, de la Culture, les régions, l’Ordre des architectes, les Chambres artisanales et autres. Il y aurait donc lieu de réfléchir ici de manière intégrée à une loi incitative, pour justement booster ce pan important de notre économie de manière forte et durable, concrétisant ainsi un véritable engagement volontariste de l’Etat.

La beauté de nos arts devrait être mise en valeur dans nos manuels scolaires et enseignée parmi les arts fondateurs de notre nation millénaire. Au lieu de ne réfléchir qu’en termes d’exotisme et de tourisme, on pourrait dans cette loi, imposer que tout bâtiment public, tout grand projet, toute construction, puissent comporter obligatoirement des rappels et des touches de notre culture et de notre artisanat par du zellige, du stuc, de la pierre, des tuiles vertes, rouges, bleues et j’en passe. Notre architecture et l’esthétique de nos bâtiments et villes y gagneraient énormément. Dans nos hôtels, nos administrations, nos hôpitaux, on retrouverait obligatoirement, selon cette loi, des produits artisanaux marocains, des plafonds, des chaises, des tables, des couvertures, des draperies. Dans nos administrations, nos entreprises et nos universités, nos bureaux à l’esthétique pauvre, mal inspirée, importée de je ne sais où et tant d’autres produits seraient remplacés par de belles tables de chez nous, sculptées, gravées ou peintes avec du tawrik et autres motifs. Les salons seraient marocains avec lkhdadi et lhifate. Les marbres, zellije et pierres de chez nous reprendraient leur place dans le revêtement de nos sols. Dans nos écoles, nos lycées et universités, nos tables, chaises et tableaux ne ressembleraient plus à ceux de Chine ou de France, mais auraient obligatoirement une touche bien maghribia. Cela éduquerait le goût de nos enfants et développerait chez tous, le sentiment d’appartenance. Imaginons l’effet qu’auraient de belles portes ressemblant à bab Boujloud, bab Mansour Laalej ou bab Doukkala, pour nos administrations et édifices publics. Pensons un instant à la beauté des portes de nos maisons, si elles venaient simplement reprendre les designs et motifs des portes d’entrée des maisons de nos anciennes médinas. Imaginons nos gares et aéroports ainsi. Nos stades n’en seraient que plus beaux et nos grandes institutions plus accueillantes.

Aujourd’hui Il faut faire bien des kilomètres à partir de Tanger Med, ou de l’aéroport Mohammed V pour se sentir au Maroc, et encore. La richesse de notre patrimoine, avec nos bronzes, notre tadelakt, nos tuiles, nos couleurs, la finesse et le doigté de nos artisans sont uniques et s’adaptent sans complexe à la modernité tout en assurant un bien être et la personnalité puissante du pays. Imaginons les draps, les oreillers, les coussins dans nos hôtels, brodés par nos petites mains, qui avec du terz r’bati, qui avec du terz fassi ou meknassi. Imaginons que disparaissent de nos bureaux et de nos couloirs ces tapis insipides et moches au profit de hssira, de hanbal et de zerbia de Taznakht, de l’Atlas, de Chichaoua ou de Rabat. Imaginons le mobilier urbain de nos villes, nos feux rouges, nos lampadaires, nos balcons avec un cachet bien de chez nous : du fer forgé, du bronze coulé ou gravé et je ne sais quels autres matériaux travaillés par nos artisans, emprunts de leur génie. Imaginons l’impact sur l’esthétique de nos villes, nos rues et nos ruelles.

Là, ce ne seraient plus que quelques milliers d’emplois ou quelques centaines d’entreprises créées, mais bien des milliards d’heures de travail qu’on assurerait à des milliers d’entreprises, à des centaines de milliers de nos compatriotes. L’initiative favoriserait une demande pérenne et la réduction drastique de nos importations avec un effet notoire sur notre balance de paiement. Beaucoup, beaucoup de femmes et d’hommes tourneraient alors à jamais dos à la précarité et participeraient activement à l’enrichissement du pays, par un développement durable et solidement ancré. Le premier client de leur labeur serait national et certain, car garantit par la loi. Ce serait aussi la meilleure promotion que l’on puisse faire du pays, de sa culture, de son artisanat et de son patrimoine unique. La chance, est que tous nos métiers et arts ancestraux se conjuguent parfaitement avec l’architecture et la décoration moderne et avec des usages pratiques. C’est un atout fantastique.

Au fait, qu’ont fait les architectes étrangers à leur arrivée massive au Maroc au début du siècle passé, sinon marier l’artisanat et les métiers marocains à l’architecture moderne…cela s’appelle l’art déco.Le centre de Casablanca en reste un fleuron mondial…aspect plus que menacé de nos jours, hélas. Ce serait enfin le meilleur legs que l’ont ferait à notre descendance…

 
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