Assurances

Les agents généraux se battent contre vents et marées

Haj Mohamed Berrada, président de la Fédération Nationale des Agents et Courtiers d’Assurances au Maroc (FNACAM).

Lors de la réunion de la Commission Administration et Organisation- CAO- du Comité Consultatif des Assurances, regroupant les représentants de la profession et l’Administration de tutelle,  deux sujets importants ont particulièrement retenu l’attention : l’un «historique», celui de l’avis favorable donné pour la création d’une nouvelle entreprise d’assurances -Mutuelle Addamane Chaâbi- et d’une entreprise de réassurance- MAMDA-Ré , le second qui a constitué le cœur des débats de cette réunion touchant à l’organisation professionnelle des intermédiaires d’assurances, a buté sur les difficultés à rapprocher les points de vue des acteurs présents sur cette question, ce qui augure d’épisodes chauds à la rentrée.

Emanation du Comité Consultatif des Assurances-CCA- qui ne se réunit que rarement, la CAO accomplit, dans les faits l’essentiel des tâches dévolues au Comité. En effet, selon l’article 4 de l’Arrêté du Ministre des Finances et de la Privatisation du 5 avril 2004 approuvant le règlement intérieur du CCA, il est indiqué que « dans l’intervalle des sessions du comité, une commission dénommée « Commission Administration et Organisation », issue dudit comité, est chargée d’exercer toutes les attributions dévolues au comité consultatif des assurances ».
Cette Commission a pour mission d’examiner toutes les questions touchant à la réglementation des assurances, à l’organisation professionnelle, au contrôle financier et comptable. Elle est aussi sollicitée obligatoirement pour avis, pour toute décision du Ministre des Finances, d’octroi ou de retrait d’agrément des entreprises ou d’intermédiaires d’assurances.
En fait, même si l’avis de la CAO est purement consultatif et ne liant pas par conséquent l’Administration de contrôle, et compte dans la représentativité de cette dernière, il est rare que le Ministre des Finances passe outre un tel avis. Cette représentativité de la CAO est reflétée dans sa composition même. Ainsi, la «Commission administration et organisation» comprend :
le directeur des assurances et de la prévoyance sociale ou son représentant ;
huit représentants des entreprises d’assurances et de réassurance dont un représentant des entreprises pratiquant à titre exclusif les opérations de réassurance ;
un représentant des agents d’assurances ;
un représentant des courtiers d’assurances ;
deux représentants du ministère chargé des finances.
La « Commission administration et organisation » se réunit chaque fois que nécessaire et au moins deux fois par an, sur convocation du ministre chargé des Finances ou de son représentant ou à la demande de la majorité de ses membres.
Ces différents éléments confèrent à la CAO une mission importante et font d’elle une instance de dialogue et de décision s’agissant des principaux problèmes touchant l’organisation du secteur des assurances.
Et ce sont justement ces aspects organisationnels qui ont dominé la dernière réunion de cette Commission.

Le marché de l’intermédiation est-il saturé ?
L’une des problématiques posées devant la CAO est de savoir s’il faudrait continuer à « ouvrir le robinet » pour la création d’agences d’assurances et par conséquent, d’organiser les préparatifs pour un prochain examen professionnel des intermédiaires d’assurances ou de marquer une pause en attendant la naissance opérationnelle de la future Autorité de Contrôle des Assurances et de la Prévoyance Sociale et la validation du projet d’amendement au Code des Assurances relatif à la présentation des opérations d’assurances avec les nouvelles conditions d’accès à cette profession.
Le premier courant est défendu par les entreprises d’assurances qui se sont déjà lancées dans l’opération de recrutement de leurs futurs agents généraux. A priori, ce genre de position parait compréhensible : le réseau traditionnel demeure le principal apporteur d’affaires dans la plupart des branches, surtout la couverture dommages aux biens des particuliers, les risques automobiles et également les flottes d’entreprise en ce qui concerne les PME-PMI. Globalement, les agents généraux et les courtiers réalisent une production presque trois fois supérieure à celle du réseau bancaire et les distancent dans toutes les branches d’assurances dommages. Ainsi, en 2012, les agents, les sociétés de courtage (hors captives des banques) et les bureaux directs des compagnies d’assurances ont enregistré un chiffre d’affaires s’élevant à 18,2 milliards de DH avec une part de marché de 70,43% contre 72,46%, une année auparavant.
Si les entreprises d’assurances continuent à privilégier ce créneau, cette position ne doit pas occulter une réalité plus complexe : c’est que même ce marché de la distribution «classique» est concentré entre les mains d’un nombre restreint d’agents généraux et de courtiers qui réalisent des performances difficiles à rivaliser par les «nouveaux arrivants» dont le durcissement des conditions de travail commence à inquiéter.

Les effectifs sont trop élevés ?
Le métier d’intermédiaire d’assurances attire de plus en plus de candidats, pour preuve, la création de nouveaux cabinets d’assurances s’est effectué à un rythme effréné ces dernières années avec toutefois, une répartition inégale selon les régions : En 2012, on comptait 1600 intermédiaires agrées contre 1472 en 2011, dont 1274 agents et 386 courtiers ; entre ces deux exercices, le nombre d’agents a augmenté de presque 10%. Autre fait marquant, c’est la concentration de ces créations dans les grandes régions : A titre d’illustration, la région du Grand Casablanca accapare, à elle seule, plus de 33% du total du nombre d’intermédiaires en exercice.
Cette situation interpelle à plus d’un titre. Selon la Fédération des Agents et Courtiers du Maroc- FNACAM- «  cet effectif parait trop élevé par rapport à l’aliment existant». M. Ali Benjelloun, DG de cette Fédération ne mâche pas ses mots. Selon lui, «cette propension à vouloir créer un maximum d’agences, et qui plus est, attenantes les unes aux autres – la question du chaînage est une problématique à méditer sérieusement – partout et nulle part, n’est pas pour rassurer les agents sur leur devenir, voire leur survie d’autant que ces créations sont accompagnées inexplicablement par l’ouverture de Bureaux de gestion directe, là où il en existe déjà !»
Ce qui est palpable c’est que, de façon générale, le réseau des agents généraux nouvellement installés, en grand nombre, a manifestement souffert ces dernières années : baisse des rendements, pression forte à la performance en termes de course vers le chiffre d’affaires ; il en résulte une contraction des marges où les commissions ne suivent pas l’évolution des CA des différentes branches d’assurances pratiquées par le réseau. De plus en plus, les volumes des primes s’effondrent et les agents généraux voient leurs revenus diminuer d’année en année sur les contrats qu’il arrive à conserver, souvent au prix d’une activité de plus en plus importante.
Donc, les maux dont souffre le réseau des agents généraux ne manquent pas. Ils commencent à se faire douloureusement sentir comme en témoigne la grogne affichée, ces derniers temps, par la jeune Union Générale des Agents Généraux d’Assurances ( UMAG) qui multiplie les rencontres et les tentatives pour faire écouter leurs inquiétudes auprès de l’autorité de tutelle.
C’est pourquoi la dernière réunion de la CAO a vu l’empressement des représentants des intermédiaires d’assurances à voir émerger un système et un cadre de régulation à même de sauvegarder les intérêts d’une profession dont dépend la survie des compagnies d’assurances.
Si la CAO a finalement tranché en faveur de la poursuite de la création de cabinets d’assurances en décidant de l’organisation, début Janvier 2015, du prochain examen professionnel, ce n’est pas pour autant que l’horizon est dégagé. Selon les représentants de cette profession, d’autres dangers les menacent à travers de nouvelles atteintes à la libre concurrence qui s’intensifie.

La bancassurance, entrave à la concurrence ?
La distribution des produits d’assurances continue à nourrir le débat entre les principaux acteurs de cette profession, à chaque fois que l’occasion se présente, comme cela était le cas au sein de la dernière réunion de la CAO, en raison d’une pression concurrentielle intense qui continue à s’intensifier. Cette concurrence fragilise les réseaux de distribution traditionnels, agents généraux et courtiers qui n’ont tiré, pour l’instant, leur épingle du jeu que grâce à une croissance relativement forte du marché mais aussi à leur savoir-faire. Plusieurs éléments justifient ces inquiétudes.
En premier, par rapport aux réseaux classiques, les établissements bancaires bénéficient d’une implantation géographique inégalée, aussi bien en termes de nombre de points de ventes que de répartition territoriale. En effet, en 2012, les agences bancaires, au nombre de 5213, représentent 73,5% des points de vente, tous réseaux confondus et ce, comme le montre le tableau N°1.

Plus contestable, la pratique qui, selon la FNACAM , frôle l’illégalité est celle de la souscription pour compte, formule qui, d’après le Président de cette Fédération, H.M. Berrada «sert de subterfuge pour commercialiser illégalement les assurances dommages» branches d’assurances pour lesquelles les établissements de crédits ne sont pas agréés. De quoi s’agit-il ?
Concrètement, le code des assurances cantonne la souscription, par ces institutions financières, exclusivement aux assurances de personnes. Pour contourner cette contrainte et étendre les couvertures offertes à leur clientèle en assurances dommages, les banques ont filialisé leur activité de distribution de ces produits d’assurances en créant des sociétés de courtages captives chargées de la souscription de ce genre de risques. Même si les synergies, sur ce créneau, sont plus difficiles à mettre en évidence puisqu’il s’agit cette fois de métiers très différents, les banques, à travers leurs captives, ont toutefois réussi à s’implanter dans la couverture de ces garanties dommages.
Ainsi, comme le montrent les tableaux N°2 et 3, les sociétés de courtage captives de banques ( 8 au total), les captives de sociétés de financement ( 3), et les sociétés de financement agréées ont réalisé, en 2012, un CA de 1,82 MMDH.
Si la bancassurance est entrée, aujourd’hui, dans les mœurs de tous les professionnels de l’assurance, car tout le monde a assimilé une réalité et une évolution mondiales, c’est qu’on ne peut se démarquer de nos principaux voisins où les banques ont réalisé des performances indiscutables sur le marché de l’assurance vie.
Mais la distorsion à une concurrence saine serait avérée si, comme le soutiennent les représentants des intermédiaires d’assurances, il serait vérifié que les banques souscrivent directement, au niveau de leurs points de vente, des produits d’assurances dommages pour lesquels elles ne sont pas agréées. Ce qui est sûr, c’est que pour certains risques de masse ( les multirisques habitation), cette pratique illégale, chez les établissements de crédits existe bel et bien.
Gageons, enfin, que l’an prochain la «bagarre» sur d’autres problématiques de fond touchant l’avenir des agents généraux d’assurances sera plus rude et que tout le monde y pense déjà. Mais, attention, certains points du règlement vont certainement changer.

Abdelfettah ALAMI

 
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