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Les carences d’une politique publique décentralisée

Le transport public urbain. Le transport collectif urbain est l’un des domaines qui illustrent les carences des politiques publiques décentralisées. Dès le début des années soixante, L’Etat a fait le mauvais choix, celui de confier aux communes le soin de s’occuper de ce service urbain vital. Commencent alors, des décennies de bricolage durant lesquelles les  défauts du système s’aggravent d’année en année. La privatisation partielle, comme la multiplication des petits et des grands taxis ne résout pas le problème et le transport est devenu le souffre-douleur de franges considérables des habitants des grandes villes.  par Salim AL Attar

La ville moderne est en perpétuel  mouvement. Elle ne cesse de s’étendre et en cela, elle diffère radicalement de la ville antique et médiévale. Celle-ci était, tant sur le plan de l’organisation spatiale que sur le plan démographique, relativement stable et stabilisée. Le symbole de cette stabilité était constitué par les murailles qui délimitaient un espace urbain aux frontières quasi immobiles. Le schéma de circulation était radioconcentrique et  le tracé et l’emprise des voies étaient limités au strict minimum pour laisser passer les hommes, les bêtes et les marchandises. Les distances étaient dimensionnées à l’échelle humaine et on pouvait aisément aller d’un point à l’autre de la médina  à pied dans un temps raisonnable. Rappelons que la population totale des trente deux médinas ne dépassait pas en 1900 les 400000 habitants, soit en moyenne 12500 habitants par médina et le diamètre de beaucoup de ces cités anciennes ne dépassait pas les 2 à 3 kilomètres, à l’exception des grandes médinas comme Fès et Marrakech.
Avec les temps modernes, tous ces paramètres vont radicalement changer. L’accroissement constant de la population va générer des besoins croissants en espaces pour le logement, les équipements, les zones d’activités etc…A l’immobilité des cités médiévales, va s’opposer l’étalement permanent des villes modernes en mouvement. Chaque année, il faut ouvrir des milliers d’hectares pour satisfaire les nouveaux besoins qui émergent. La conséquence est que plus les périmètres urbains s’élargissent et s’étalent, plus la distance entre les lieux de résidence et les lieux d’activités devient importante, plus les besoins en transport urbain augmentent.
C’est pourquoi, l’un des premiers objectifs de l’urbanisme moderne est d’organiser la circulation et le transport de masse des hommes et des marchandises. Et aux plans radioconcentriques et labyrinthiques des cités anciennes, va se substituer les tracés rectilignes, orthogonaux  et en damiers inspirés de l’organisation spatiale des casernes. La ville en mouvement va s’organiser par et autour des grands axes de circulations et des grands couloirs logistiques. Parallèlement, les grands métros et les tramways se mettent en place pour décongestionner les transports classiques.
Au Maroc, le transport urbain collectif n’a commencé à s’organiser qu’au début des années 60. Et dès le départ, on a confié aux communes le soin de s’en occuper. Des régies autonomes se sont mises en place pour prendre en charge ce service urbain vital. Avec l’accroissement progressif et constant de la population urbaine, les carences du système apparaissent. Commencent alors des décennies de bricolage durant lesquelles les  défauts du système s’aggravent d’année en année. La privatisation partielle, comme la multiplication des petits et des grands taxis ne résout pas le problème et le transport est devenu le souffre-douleur de franges considérables des habitants des grandes villes.

Augmentation de la demande en transport

Le Maroc est un pays qui s’urbanise de plus en plus. Certes, le taux de croissance démographique annuel moyen a connu une baisse significative, passant de 2,1% entre 1982 et 1994 à 1,4% entre 1994 et 2004. Mais dans le même temps,  le  taux d’urbanisation au Maroc a atteint près de 60% en 2014 contre 51,4% en 1994. D’ici 2030, les villes marocaines vont accueillir plus de 10 millions, portant le taux d’urbanisation à plus de 70%. Ainsi, outre le passif qui doit être résorbé, les villes doivent faire face aux besoins de plus de 500 000 nouveaux arrivants, chaque année, en matière de logements, d’équipements et de services publics à usage collectif. Parmi les services publics urbains appelés à supporter sans cesse la pression de cet accroissement urbain, se trouve le transport, eu égard à son rôle sur les plans économiques et de cohésion sociale. En effet, le transport assure, d’une part, des déplacements des zones résidentielles vers les lieux de travail, les centres commerciaux et les loisirs. D’autre part, il constitue un moyen indispensable, notamment pour les périphéries, d’accès aux services et équipements de base, tels que les établissements scolaires, les universités, les centres de santé, les centres administratifs, etc. Le développement socioéconomique des villes génère de plus en plus des besoins de mobilités, assurant les liens entre les activités aussi bien économiques que sociales, qui s’expliquent par la forte corrélation entre le niveau des revenus et la mobilité. En témoigne l’enquête sur la consommation des ménages qui montre que  la part des dépenses se rapportant, en particulier, à la santé, l’enseignement, la culture, le transport et aux loisirs poursuit sa hausse, passant de 18,8% en 1985 à plus de 30% actuellement.

Le transport : un secteur qui occupe une place importante dans l’économie nationale

Selon les données du ministère de l’Equipement, le transport  contribue à l’économie nationale à raison de 5% du PIB et près de 10% de la valeur ajoutée du secteur tertiaire. Le produit de sa fiscalité contribue aux recettes du Budget Général de l’Etat à hauteur de 15% ; il occupe près de 10% de la population active urbaine et participe à 35% à la consommation nationale d’énergie, dont 50% des produits pétroliers. A fin 2013, 3,28 millions de véhicules toutes catégories confondues étaient en circulation dans le pays, soit une hausse de 5,19% par rapport à 2012. Cette hausse est à imputer principalement à l’évolution de 5,34% du parc de véhicules utilitaires. Les voitures de tourisme qui représentent près de 70% du parc automobile national, ont enregistré au cours de la même période une hausse de 5,9%. Ce chiffre démontre le faible taux d’équipement des ménages marocains, soit environ 70 véhicules pour 1000 habitants, contre 700 pour l’Europe. L’inconvénient de cette évolution réside dans le fait que 50% du parc automobile national est concentré entre Rabat et Casablanca. Dans la métropole économique, près d’1,5 million de véhicules sont en circulation dans la ville. Le parc automobile casablancais devrait quadrupler dans les 20 prochaines années. En 2013, 120.000 véhicules, dont 108.000 particuliers ont été vendus au Maroc. Ce parc est composé principalement de voitures de tourisme qui représentent près de 70%.
Le secteur de transport Marocain se caractérise par une qualité et une couverture des services limitée et des délais d’attente anormaux pour le transit des personnes. Ces éléments négatifs se traduisent par des qualités de service qui sont  en général négatifs. Pour ce qui est du transport urbain, il présente trois caractéristiques majeures : la médiocrité des transports collectifs de masse, l’augmentation du nombre de voitures particulières et l’émergence de moyens alternatifs de déplacement pour les populations à faibles revenus.
 
Crise des transports collectifs et émergence des transports alternatifs

Dans les systèmes de transport des grandes villes marocaines, peuvent aujourd’hui être distingués d’une part, les réseaux d’autobus avec leur rigidité mal adaptée à la rapidité d’évolution de l’urbanisation et des pratiques de mobilité et d’autre part, les taxis collectifs qui réagissent à la demande et qui représentent une forme plus rapide et plus souple de déplacement. Ces taxis collectifs sont appelés « grands taxis ». Contrairement aux petits taxis qui constituent un mode de transport individuel à l’intérieur des périmètres municipaux, les taxis collectifs sont crées pour accomplir, en principe, des itinéraires intercommunaux. Mais dans les faits, les grands taxis participent depuis un certain temps déjà au transport à l’intérieur de grandes agglomérations. Sous la pression des besoins, des lignes de grands taxis ont été ouvertes en milieu urbain pour répondre à des besoins de mobilité insatisfaits par les transports institutionnels (notamment pour la desserte des quartiers périphériques). Les taxis collectifs correspondent à un maillon essentiel du système de transport. Ils sont qualifiés de moyen de transport émergents, alternatifs… de substitution pour pallier un manque. Leur multiplication est considérée en général comme un indicateur annonciateur de la crise des modes de transports collectifs de masse.

Des tarifs élevés pour un service médiocre

Les tarifs varient d’une ville à l’autre. Selon les données du HCP, le coût de transport par bus pourrait atteindre 20% des revenus d’une famille moyenne. Un chef de famille rémunéré au SMIG doit dépenser près de 10% de son salaire pour son seul transport s’il se déplace par bus.

Des opérateurs souvent déficitaires

Selon les données de la Direction des régies, beaucoup d’opérateurs publics ou privés sont déficitaires. Ainsi, les pertes de M’dina bus se chiffraient  à plus de 100  millions DH, celles de Autasa à plus de 14 millions de DH, celles de la RATF à plus de 15 millions de DH. Et en moins de deux ans d’exploitation du réseau de Rabat,Véolia s’est retirée au profit de la DGCL. Pourtant, les pertes ne sont pas inéluctables puisque le coût moyen de transport d’un passager serait de 2,4 DH si chaque bus transportait 1250 passagers/jour. En fait, les pertes sont directement liées au faible taux de remplissage des bus (833 passagers/jour pour M’dina bus) et à la large proportion de passagers à tarif préférentiel.
Dans le même temps, on a assisté à une dégradation du service du transport urbain dans les grandes villes, laquelle dégradation, conjuguée à l’étalement urbain et l’accroissement de la motorisation, pourrait compromettre aussi bien le développement économique et social, que la qualité de l’environnement des grandes métropoles. Avec le recul, le  désengagement de l’Etat en matière de transport a eu des effets dévastateurs sur le secteur. La stratégie adoptée dans les années 80 et 90, consistant à s’appuyer sur le secteur privé pour pallier la défaillance des communes, a conduit en fait à aggraver la crise des transports dans les grandes villes.

 

 
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