Les nouveaux cadeaux fiscaux
La Loi de Finances de l’année 2017, promulguée tardivement le 9 juin 2017, a prévu, en matière d’IS, une exonération des sociétés industrielles nouvellement créées, à compter du 1er janvier 2017, pendant 5 ans. Les activités industrielles éligibles à cette exonération, ont été fixées presque une année après, par le décret adopté le 19 juin 2018, publié le 5 juillet 2018. Quels sont les heureux élus ?
Le premier « heureux élu » ou sous-secteur industriel bénéficiaire est constitué des «industries alimentaires», avec 21 filières dont celle de l’industrie de lait et de ses dérivés qui fait actuellement face à une campagne de boycott, ainsi que l’«abattage pour la production des viandes rouges ». S’agit-il dans ce dernier cas d’activité industrielle ? L’abattage est-il une transformation industrielle ? C’est donc le « secteur industriel de la panse » qui est le plus encouragé. A l’image de nos gouvernants qui ne semblent guère conscients de la nécessité de prioriser les secteurs industriels à haute valeur ajoutée, tels que les sous-secteurs des nouvelles technologies ou de l’intelligence artificielle. Les jeunes compétences nationales n’auront ainsi que le choix de la fuite des cerveaux. Deuxième sous-secteur industriel bénéficiaire, avec 15 filières, la « fabrication de machines et équipements», un domaine où le Maroc dépend fortement des importations. L’industrie chimique et la fabrication des produits non métalliques viennent en troisième position avec chacune 12 filières. L’industrie du textile, la fabrication des produits informatiques, électroniques et optiques, ainsi que la fabrication d’équipements électriques, sont toutes les trois en quatrième position, avec 9 filières chacune.
En cinquième position, avec 8 filières chacune, sont prévues les « industries liées aux autres moyens de transport » (autres que l’automobile) et les « activités liées à la réparation et à l’installation de machines et d’équipements aéronautique et naval ».
Que représentent ces exonérations, en termes de manque à gagner fiscal ? Aucune idée. Ce qui est sûr par contre, c’est l’augmentation inévitable des dépenses fiscales (DF) dont l’existence même est souvent contestable et qui se chiffrent déjà à une moyenne annuelle vertigineuse de 34 milliards de DH. Une évaluation qui reste purement budgétaire et dont les méthodes sont scientifiquement discutables.
Ainsi, dans le rapport des DF de l’année 2017, 309 mesures fiscales dérogatoires ont été évaluées budgétairement, sur 418 mesures fiscales dérogatoires recensées, soit presque 74% du total desdites mesures recensées. Entre 2016 et 2017, les DF sont passées de 32 423 millions de DH à 33 421 millions de DH, soit une hausse de 3,1%. D’après le même rapport, le montant des DF afférentes à l’IS, correspondant à 66 mesures évaluées sur 99 mesures fiscales dérogatoires recensées, aurait connu une baisse de moins 12%, passant de 5 150 millions de DH à 4 533 millions de DH, pour un montant total des DF de 33 421 millions de DH. A elles seules, les DF spécifiques aux industries alimentaires ont atteint, en 2017, 2307 millions de DH, soit 6,9% du total des DF, pour la même année, et 50,89% des DF relatives à l’IS.
Ainsi, le montant des DF afférentes à l’IS devra inévitablement connaître une hausse, en fonction des créations d’entreprises relevant des sous-secteurs bénéficiaires dont la liste a été fixée par décret (Voir tableau 1).
Indirectement, les « nouveaux cadeaux fiscaux» vont aussi certainement inciter les entreprises industrielles individuelles qui n’ont pas adopté la forme de société, et qui donc ne relèvent pas de l’IS, à se transformer juridiquement en personnes morales assujetties à l’IS. Mais cette transformation juridique sera-t-elle considérée fiscalement comme une nouvelle création donnant droit au bénéfice de l’exonération totale temporaire de 5 ans ? La réponse devrait être, en principe, favorable si l’intention officielle est de contribuer à la création d’un environnement favorable à l’évolution et à la mutation du tissu économique.
Pendant ce temps, l’évaluation autre que budgétaire, c’est-à-dire devant permettre d’apprécier la pertinence et l’impact socio-économique des dérogations fiscales, devra attendre.