Les principales mesures fiscales proposées
Investissement, lutte contre la fraude fiscale et adaptation continue aux nouvelles technologies de l’information (NTIC), tels sont les grands axes dans lesquels s’inscrivent les principales mesures fiscales proposées dans le cadre du PLF 2018.
L’encouragement de l’investissement privé est une constante préoccupation des pouvoirs publics. Le PLF 2018 en fait la « part du lion ». Ce projet qui sera bientôt soumis au Parlement, contient une mesure importante qui répond parfaitement aux attentes des représentants du monde du business. Il s’agit de l’institution d’un barème progressif, en matière d’IS. C’est l’une des principales revendications de la CGEM exprimées lors des dernières Assises fiscales tenues en 2013. Même le secteur financier pourra bénéficier d’un «barème progressif spécifique». Le coût budgétaire de cette nouvelle mesure fiscale, en termes de manque à gagner fiscal, s’approche des 2 milliards de dirhams. Une belle carotte fiscale, dans un contexte de crise.
En matière de TVA, il est proposé d’instituer une « exonération permanente » de la TVA, en faveur de l’achat ou l’importation du matériel industriel. Actuellement, l’exonération est limitée à une période de 36 mois pour les entreprises nouvellement créées. En réalité, s’agissant d’une TVA récupérable, il est surtout question d’éviter des situations de cumul de crédits TVA et des demandes de remboursement à gérer. Cette proposition, si elle est retenue, permettra aussi aux entreprises de disposer de cash-flow. Certaines mesures encourageant l’investissement sont spécifiques à certains secteurs. C’est le cas des entreprises de dessalement d’eau de mer pour lesquelles le crédit TVA devra être remboursé. Un secteur qui a de l’avenir, compte tenu du stress hydrique que le Maroc connait déjà. L’aquaculture aussi devra bénéficier de l’exonération en matière de TVA.
En matière de Droit d’Enregistrement (DE), des mesures sont prévues pour encourager la constitution et l’augmentation du capital social des sociétés et des groupements d’intérêt économique. Les actes d’acquisition de terrains nus destinés à la construction des établissements hôteliers pourront bénéficier de l’exonération des DE, à condition de réaliser les constructions dans un délai de 5 ans.
Une autre belle carotte fiscale, en matière d’IS et d’IR, est prévue en cas de prise de participation dans le capital des jeunes entreprises innovantes en nouvelles technologies. Voilà une nouvelle mesure dérogatoire, pertinente et intelligente, ciblant une catégorie d’entreprises pouvant contribuer à une véritable dynamique de développement, et différant radicalement des avantages fiscaux habituellement accordés et perçus comme des privilèges, et répondant à une logique de rente. C’est notamment le cas du tourisme qui intègre fiscalement des activités intégrées dans l’«animation touristique ».
Mais soyons optimistes et dirigeons d’abord notre regard vers la « moitié pleine du verre ». Le PLF 2018 prévoit l’exonération des « Fédérations sportives reconnues d’utilité publique », un domaine qui mérite vraiment d’être boosté, sur tous les plans, pour offrir aux jeunes un environnement où ils/elles pourront s’épanouir sainement.
Pour la protection de l’environnement, une autre « petite hirondelle automnale » apparait dans le PLF 2018 : l’exonération des droits de timbre proportionnels des véhicules non polluants. A côté de cette « petite hirondelle fiscale », la Fondation Mohammed VI pour la Protection de l’Environnement devra aussi bénéficier de l’exonération, en matière d’IS, de TVA et de DE. L’enfance n’a pas été oubliée. La ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance pourra bénéficier des mêmes exonérations.
Intimement liée à l’investissement, la promotion de l’emploi devra aussi bénéficier d’un nouveau dispositif fiscalement favorable. Il est question d’améliorer le dispositif existant et de le rendre plus souple, tout en prorogeant la période prévue, au 31 décembre 2022, au lieu du 31 décembre 2019. La nouveauté réside dans la possibilité pour l’entreprise de recruter des salariés dans un délai de 2 ans à compter de la date du début d’exploitation au lieu de la date de création. L’exonération, en matière d’IR/Salaires peut bénéficier à 10 salariés, au lieu de 5. Ainsi, cet avantage concerne, a priori, en particulier les PME.
Une autre proposition favorable à l’investissement et beaucoup attendue dans le monde des affaires : le rescrit. Ce principe, s’il est admis, pourra amorcer une véritable « révolution culturelle » sur le plan fiscal. Il s’agit d’un principe déjà bien intégré par de nombreux Etats dotés de systèmes fiscaux modernes : l’institution d’une demande de consultation fiscale préalable auprès de l’Administration fiscale afin de permettre aux investisseurs d’avoir une meilleure visibilité sur le traitement fiscal qui pourra être réservé à leurs projets d’investissement. Ce mécanisme, qui a fait ses preuves sous d’autres horizons, permet aussi de contribuer à la stabilisation des rapports entre les contribuables et le fisc et donc de gérer de manière préventive les éventuels contentieux.
Deuxième axe, non moins important, la lutte contre la fraude fiscale
Là, certaines mesures proposées sont tout à fait nouvelles et originales. Le fisc s’attaque en permanence et en priorité aux zones grises de l’économie. Une bonne partie de l’informel n’est que la forêt qui cache des activités importantes de fraude. Dorénavant, les notaires et les adoul devront présenter des justificatifs permettant d’identifier fiscalement, en matière de taxe d’habitation et de taxe professionnelle, les biens objet de mutation ou de cession, sous peine de solidarité fiscale.
Pour limiter les paiements en espèces et inciter les contribuables à l’usage généralisé des moyens de paiement traçables, le taux du timbre de quittance applicable aux règlements en espèces, devra quadrupler, en passant de 0,25% à 1%. De même, est prévue l’institution de l’obligation de présenter un relevé annuel des ventes, ventilées par clients professionnels. Une mine d’or d’informations qui pourra renforcer le système de contrôle et de lutte contre la fraude fiscale. Voilà un dispositif qui devra permettre au fisc de brasser intelligemment une grande quantité d’informations et de traquer efficacement la vraie fraude.
Beaucoup plus encore, une autre mesure proposée vise à instaurer l’obligation de mettre en place des logiciels de facturation connectés à une centrale de facturation tenue par la DGI. Une arme anti-fraude redoutable qui a déjà donné de bons résultats ailleurs, comme à Singapour, et tout récemment en Tunisie (il ne s’agit donc pas uniquement de pays comme la Suède).
Une autre zone grise bien connue est celle des coopératives ou amicales d’habitation. Il s’agit en fait d’un habillage juridique cachant très souvent des pratiques de fraude et d’évasion fiscales. Il est question, dans le PLF de 2018, d’exclure cette catégorie de personnes morales de l’exonération fiscale et de lui appliquer le régime fiscal de droit commun prévu en matière d’IS et de TVA.
Mais la proposition, en matière de lutte contre la fraude fiscale, qui fera certainement le plus de « bruit politique » est celle afférente à l’institution d’un dispositif permettant la dénonciation de la fraude et des activités informelles. Ce qu’on appelle dans d’autres pays ayant instauré ce dispositif, les « donneurs d’alerte », appelés chez nous péjorativement «indicateurs », voire « bergagas » ou encore «biyaâas ». Cette mesure s’est révélée, au niveau international, d’une efficacité redoutable et incontestable, déclenchant, en profondeur, l’émergence d’une nouvelle perception citoyenne de l’impôt.
Par ailleurs, toujours dans l’axe anti-fraude, la mention de l’Identifiant Commun de l’Entreprise (ICE), étant devenue fiscalement obligatoire, cette obligation devra dorénavant être sanctionnée par une amende de 100 dirhams, au même titre que toute omission ou inexactitude relevée dans les déclarations fiscales.
La fraude a de plus en plus une dimension internationale
Mais la fraude a aussi, de plus en plus, une dimension internationale. Et le Maroc, comme d’autres pays, est appelé à se doter de nouveaux mécanismes juridiques inscrits dans les conventions bilatérales et multilatérales permettant l’échange automatique d’informations à des fins fiscales.
Le troisième axe s’intègre parfaitement dans la dimension stratégique actuelle de la DGI. Celle-ci, au cours des deux dernières années, a pu faire de grands pas dans la mise en place d’un système d’information performant, rattrapant ainsi un grand retard.
La première mesure vise l’extension de la dématérialisation du mode de déclaration et de paiement, à des catégories importantes de contribuables jouant le rôle d’intermédiaires du fisc. Il s’agit des adoul qui, à l’instar des notaires, devront dorénavant accomplir la formalité de l’enregistrement et s’acquitter de l’impôt y afférent par voie électronique.
Le fisc s’adapte constamment aux NTIC
En effet, un dispositif nouveau, proposé dans le PLF 2018, devra permettre l’extension du champ d’application du Timbre aux « annonces publicitaires sur écran ». De manière générale, le souci du fisc est de s’adapter aux NTIC et d’appréhender de nombreux actes relevant actuellement du commerce électronique et échappant à l’impôt. Ainsi la mise en place du « Timbre électronique » permettra de réhabiliter et de «rhabiller» sous des vêtements neufs un impôt datant de la préhistoire.
« Le fisc aime le nouveau sans pour autant abandonner l’ancien »
Le paiement des droits de timbre, à l’instar de la TSAV (Vignette automobile), pourra dorénavant se faire par voie électronique. C’est notamment le cas des droits de timbre pour les certificats des visites techniques.
Dans la « chasse au temps mort », le fisc a pu identifier une zone à risques, source de contentieux et de restes à recouvrer, concernant les « entreprises endormies», appelées aussi « sociétés cadavres». Celles-ci, lorsqu’elles se réveillent, se retrouvent face à des dettes fiscales qui peuvent les pousser à replonger dans un sommeil plus profond, voire dans le coma. Une « mesure sur mesure » a donc été proposée dans le PLF 2018, pour mettre en place un cadre fiscal approprié, régissant la cessation temporaire d’activité des entreprises. Il s’agit là d’une « suspension fiscale », le sommeil fiscal complète ainsi le sommeil juridique et économique de l’entreprise, jusqu’à nouvel ordre. La « suspension fiscale » pourra être accordée aux entreprises déposant une déclaration de « cessation temporaire d’activité ». Les entreprises concernées pourront ainsi bénéficier de l’exonération de la cotisation minimale avec un allégement au niveau des obligations déclaratives pour la «période de sommeil ».
Une autre mesure phare trouve son origine dans les recommandations du Conseil Economique, Social et Environnemental, et s’inscrit parfaitement dans la lettre et l’esprit de l’article 39 de la Constitution consacrant le principe d’équité fiscale : l’instauration d’un régime de taxation des engins de loisirs de luxe acquis pour usage personnel. Il est question de fiscaliser les « biens de luxe », en appliquant un droit de timbre proportionnel sur la première immatriculation au Maroc, des engins de loisir acquis à usage personnel (navires de plaisance, yachts, aéronefs privés) et de les soumettre au droit commun en matière de DE, en cas de mutation. Sauf que cette mesure risque d’avoir une portée purement symbolique avec une connotation politique populiste, car la plupart de ces biens sont immobilisés à l’actif d’entreprises pour être amortis aux frais de la collectivité, et sont donc considérés comptablement comme des « biens à usage professionnel » et non comme « biens à usage personnel ».
Enfin, et c’est la « cerise sur le gâteau », une nouvelle mesure importante prévoit pratiquement une quasi-amnistie en matière de recouvrement des dettes fiscales antérieures au 1er janvier 2017. Cette mesure, incluse dans le PLF 2018, prévoit l’annulation des pénalités, majorations de retard et frais de recouvrement pour les impôts, droits et taxes mis en recouvrement, en sus du principal, avant le 1er janvier 2017, et demeurés impayés jusqu’au 31 décembre 2017, à condition que les contribuables concernés s’acquittent spontanément du principal, avant le 31 décembre 2018. En l’absence de principal, la réduction est de 50% des pénalités, majorations et frais de recouvrement. En fait, le gouvernement, à travers le PLF 2018, désire se débarrasser d’un véritable « casse-tête » en matière de recouvrement forcé, en apurant les restes à recouvrer et en permettant aux contribuables de remettre le compteur à zéro, tout en récoltant des recettes fiscales exceptionnelles.