Economie

Les vraies raisons du boycott de la CGEM

Le patronat a préféré ne pas prendre part aux rencontres prévues avec les opérateurs turcs qui accompagnaient le Président Tayyip Recep Erdogan. 

Dans l’histoire du patronat marocain, jamais il n’est intervenu de boycott d’une visite officielle dans laquelle participent des hommes d’affaires. Avec la venue de Tayyip Recep Erdogan, la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) a préféré s’excuser par rapport à la rencontre qui était prévue avec les hommes d’affaires qui ont fait le déplacement avec les officiels turcs. 

Deux principales raisons ont été fournies de manière officielle. D’une part, les patrons n’ont été mis au courant que très tardivement, seulement à deux jours ouvrables, c’est-à-dire le 28 mai 2013, de la visite de leurs homologues. D’autre part, ils expliquent que c’étaient des rencontres B2B, c’est-à-dire entre hommes d’affaires et non au sein d’une commission devant statuer sur des problèmes bilatéraux. En d’autres termes, on reproche à la délégation d’Erdogan d’être venue pour faire de la vente directe. 

Evidemment, pour la diplomatie Turque qui pensait que le Maroc est un terrain conquis, c’est un vrai camouflé. A l’ambassade de la république de Turquie à Rabat, il a sans doute fallu organiser une réunion de crise après le départ du président Erdogan. 

Mais, il faut voir dans la réaction de la CGEM l’expression d’une certaine frustration, dont l’origine est à trouver dans l’évolution des relations commerciales entre les deux pays. 

Aujourd’hui, en effet, avec 12,25 milliards de dirhams en 2012 d’échanges, la Turquie est devenue le 11ème partenaire commercial du Maroc, devançant notamment la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, l’Algérie, la Belgique et l’Irak. Et évidemment, la balance commerciale penche en faveur des opérateurs économiques turcs. Puisque les importations marocaines représentent quelque 9,44 milliards contre 2,80 milliards pour les exportations, au cours de l’année dernière, soit un déficit de près de 7 milliards de dirhams. Et l’évolution de ce déficit a été très rapide au cours des dernières années. Puisqu’il n’était que de 3,54 milliards en 2010, donc on a droit au double en deux ans à peine. Cette forte croissance est en bonne partie liée à l’accord de libre-échange qui, d’après l’Office des changes, explique 55,6% des importations en provenance de la Turquie. Et, bien que ces accords expliquent 75% des exportations marocaines, la réalité est très dure pour les opérateurs marocains. 

Tayyip Recep Erdogan, premier ministre turc.

Mais, il serait encore plus intéressant de regarder de près quels sont ces produits turcs qui semblent envahir l’économie marocaine. Il y a, avant tout, les produits sidérurgiques dont les importations ont atteint 931 millions de dirhams. Il s’agit notamment du rond à béton et des fils machine. A cela, s’ajoutent quelque 678 millions de dirhams de demi-produits en acier ou en fer non alliés. 

Or, c’est justement là où le bât blesse. Puisqu’après enquête sur des faits avérés de dumping, le Maroc a mis en place des mesures de sauvegarde. Concernant les produits alimentaires dont on redoutait tant l’invasion turque, leur volume ne dépasse pas les 150 millions de dirhams. 

Mais les Turcs sont également très actifs concernant le secteur du BTP. Ils sont sur tous les grands chantiers lancés à travers le Maroc. Du pipeline entre Khouribga et Jorf Lasfar que construit OCP, au TGV, en passant par les tramways, mais également les routes et autoroutes. Cela finit par être un peu agaçant pour les opérateurs, surtout si, comme certains le disent, il y a d’importantes subventions à l’exportation qui prennent plusieurs formes, notamment l’assurance export offerte gracieusement par le gouvernement. Tout ceci explique mieux la réaction de la CGEM, que les deux raisons officielles qui ont été données. La question qui se pose est de savoir s’il y aura un changement après ce refus de rencontrer les opérateurs turcs. Du côté turc, c’est avec beaucoup de gêne que l’on a accueilli la froideur du patronat. Mais les diplomates se refusent à tout commentaire. Néanmoins, les choses sont déjà ce qu’elles sont : les exportations continueront à progresser. Parce que la réalité, c’est que les produits turcs rencontrent un francs succès à tous les niveaux. Même si les mesures prises récemment freinent les exportations de produits sidérurgiques, il restera toujours la large palette de biens dont le volume des importations ne fera que progresser. Il s’agit, notamment de la longue liste de demi-produits représentant 3,5 milliards de dirhams en 2011, mais également des produits finis de consommation (2,85 milliards de dirhams en 2011), des produits d’équipement industriels et agricoles (1,94 milliard de dirhams en 2011). Le fait est que sur la plupart de ces produits, il n’y a pas de véritable concurrence avec les industriels locaux. Et de toute évidence, s’ils sont importés, c’est parce qu’il y a un véritable besoin de l’économie marocaine, laquelle en profite vu le rapport qualité-prix. 

En outre, avant de jeter l’opprobre sur les pratiques turques en matière d’exportations, il serait bien de procéder à l’analyse de la balance commerciale qui montre qu’il y a un véritable problème de compétitivité. Avec les principaux partenaires commerciaux du Maroc, il y a un vrai déficit que les accords de libre-échange ont contribué à aggraver. Avec l’Union Européenne, par exemple, le déficit a atteint 67 milliards de dirhams en 2011, contre 47 milliards en 2007. Sur cette période, les exportations marocaines n’ont augmenté que de 12 milliards de dirhams pour atteindre 102 milliards de dirhams, contre une hausse de 32 milliards pour les importations. Et, il ne serait pas très à propos d’accuser les produits pétroliers. C’est un vrai problème de compétitivité industrielle, agricole ou de service. 

En se penchant sur les relations commerciales avec les Etats-Unis également, le constat est pire, puisque le déficit est de 21 milliards, soit un taux de couverture de 27% seulement. En somme, l’entreprise marocaine n’a pas de véritable problème avec ses partenaires, mais c’est avec sa propre compétitivité qu’elle devrait se réconcilier. Des mesures profondes sont nécessaires. 

 
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