Economie

PLF 2023. État social et justice fiscale

Au cours des deux dernières décennies, officiellement, l’objectif stratégique principal a été d’éradiquer la pauvreté qui n’est pas une fatalité. Néanmoins, les politiques publiques conçues et appliquées ne se sont pas attaquées aux causes structurelles de la pauvreté. Le sens et la substance du concept de solidarité sont à changer. La charité ne peut pas mettre fin à la pauvreté. Elle peut tout juste la rendre un peu plus supportable. C’est le cas lorsque la solidarité est fondée exclusivement sur une logique caritative.

Depuis presque 10 ans, la «contribution de solidarité» a été mise en place pour renforcer la «cohésion sociale». En 2020, la crise sanitaire a révélé l’ampleur des phénomènes inséparables de la pauvreté et de la précarité qui se nourrissent réciproquement. Il a fallu, en période de confinement, distribuer une indemnité forfaitaire et symbolique, pour permettre à presque 2/3 de la population de survivre. La dernière enquête nationale sur l’emploi confirme cette réalité.

54,7% de la population en âge d’activité (27 millions de personnes) sont inactives. Pour les femmes, le taux serait de 80%. Presque 11 millions d’actifs exercent des activités informelles, souvent de survie, et donc connaissent des conditions sociales précaires.

Lire aussi | PLF 2023 : la racine carrée de l’Etat social

Au moins ¾ d’entre eux ne disposent pas de couverture médicale. Ainsi, qu’on le veuille ou non, la réalisation effective de l’un des chantiers stratégiques fondamentaux qu’est la généralisation de la protection sociale, ce « minimum vital de développement humain », exigera beaucoup de sacrifices de la part des Marocains, individuellement et collectivement.

La première transformation concerne le sens profond de la solidarité, pour qu’elle ne soit plus assimilée exclusivement au sens caritatif. La solidarité structurelle/institutionnelle passe par la mise en place d’un système équitable de redistribution des richesses qui ne favorise ni l’égoïsme ni la paresse. Ce système devrait privilégier l’ensemble des mécanismes favorables au développement des capacités individuelles et collectives.

Lire aussi | Sécurité financière. L’impôt, premier pilier de la souveraineté

Dans cette optique, santé, protection sociale et éducation, au sens le plus large, sont inséparables. Le financement de la protection sociale devrait exiger, en moyenne annuelle, 51 MMDH, dont presque la moitié provenant des cotisations des personnes bénéficiaires. L’intégration du RAMED dans l’AMO devrait coûter pas moins de 9 MMDH, par an. Il s’agit d’un contingent de plus de 10 millions de personnes. Ainsi, cette transformation exige beaucoup de ressources. Où les trouver ?

La reconduction de la contribution de solidarité sera-t-elle suffisante ? Déjà reconduite plusieurs fois, depuis 2013, elle devrait rapporter 6,5 MMDH, en 2022. Actuellement, avec la situation économique morose, elle ne pourrait pas dépasser ce montant en 2023, même en revoyant les tranches d’imposition. Emprunter ? Déjà la dette publique frôle, voire dépasse les 100% du PIB dont plus du tiers en devises.

Lire aussi | Oued Eddahab, le « Tanger du Sud Marocain »

L’endettement public n’a jamais été une solution. C’est un simple report des problèmes pour les faire supporter par les prochaines générations, avec aggravation. C’est aussi l’un des principaux facteurs d’érosion de la souveraineté nationale. Troisième source possible : la réforme des établissements et entreprises publics qui doit notamment générer des ressources exceptionnelles suite à la cession d’actifs publics et permettre une réduction des dépenses publiques.

Option en fait classique, déjà appliquée à travers les programmes d’ajustement structurel, portant actuellement un nouvel emballage. Le scandale de l’entreprise La Samir est là pour attester de l’échec de cette option. Inversement, la résilience de l’OCP démontre suffisamment l’existence d’alternatives différentes et meilleures que la privatisation, celles permettant une amélioration qualitative du mode de gouvernance des EEP.

Lire aussi | Corée du Sud : le patron de Samsung gracié pour « aider l’économie »

Reste l’option relativement tracée par la loi-cadre portant réforme du système fiscal est marginalement entamée. D’après l’une des dernières études du FMI, l’écart entre les recettes fiscales effectivement collectées et le potentiel fiscal réel, serait de 12,1% du PIB. Ce qui équivaut à 160 MMDH, soit presque 70% des prévisions en recettes fiscales pour l’année en cours, et plus de trois fois le coût annuel global pour la généralisation de la protection sociale.

Ces 160 MMDH auraient permis à l’État non seulement de financer ce chantier, mais aussi de ne recourir à aucun emprunt. S’ajoutent à ce manque à gagner, les dépenses fiscales (DF), souvent injustifiées, et représentant annuellement pas moins de 2,6% du PIB, sans compter les DF afférentes à la fiscalité des collectivités territoriales, ou encore la «jungle de la parafiscalité». C’est cette dimension qui est qualifiée, à juste titre, par le Wali de la Banque centrale, d’obstacles structurels à l’élargissement de l’assiette fiscale, auxquels il faut ajouter les activités informelles qui fertilisent le terrain à la fraude fiscale.

Lire aussi | Cardiologie. ESC Congress 2022 Barcelona, sur place et en ligne, du 26 au 29 août

La lettre et l’esprit de l’article 39 (principes de légalité/consentement à l’impôt et équité fiscale) de la Constitution devraient servir de boussole pour entreprendre une refonte radicale et complète du système fiscal. L’article 40 (principe de solidarité) de la loi fondamentale peut aussi être mobilisé de manière exceptionnelle pour vaincre les principales résistances émanant en particulier des bénéficiaires de l’économie de rente. 

 
Article précédent

Évolution du coronavirus au Maroc. 38 nouveaux cas, 1 263 491 au total, lundi 15 août 2022 à 15 heures

Article suivant

HCP. 3 chômeurs sur 10 sont des jeunes