Quelle protection pour le consommateur assuré ?
Dans le prolongement de la thématique développée, par le magazine Challenge, la semaine dernière, et relayée pendant tout le mois de Ramadan sur les antennes de la chaine Radio mfm, au sujet du droit et de la protection du consommateur, nous avons estimé utile d’éclairer nos lecteurs sur l’un des aspects, objet, dans de nombreux cas, de pratiques commerciales abusives, touchant la vente des produits d’assurances.
Les turbulences financières que le mode a récemment traversées et que nous traversons encore, ont montré l’importance de garantir aux consommateurs une protection efficace dans l’ensemble des secteurs financiers, dont l’assurance. Les mouvements de consumérisme qui se sont développés, à un rythme effréné et parfois avec une force de frappe et de dissuasion remarquable, ont renforcé davantage la protection des consommateurs.
C’est dans cet environnement que les législations, en la matière, ont considérablement progressé ces dernières années et les consommateurs d’aujourd’hui sont de plus en plus à la recherche de conseils et prêtent, beaucoup plus qu’auparavant, attention à la qualité et aux coûts des produits.
Dans le secteur des assurances, il s’agit non seulement de la nécessité d’une réglementation et /ou de surveillance adéquates de tous les prestataires qui traitent directement avec les consommateurs assurés, mais également des pratiques de vente qui constituent souvent de vives préoccupations quant aux normes régissant la commercialisation des contrats d’assurances.
A quel niveau le consommateur assuré est-il protégé lors de la souscription de ses garanties d’assurances ?
Un dispositif réglementaire assuranciel incomplet
La protection des consommateurs d’assurances a été organisée principalement par le code des assurances et accessoirement par la loi 31-08 relative à la protection du consommateur.
La nécessité d’accorder une protection particulière aux consommateurs d’assurances et une surveillance régulière de la part de l’Administration de contrôle se justifie pour des raisons multiples :
– Les contrats d’assurance sont des contrats d’adhésion complexes, difficiles à comprendre au moins pour les particuliers. Il importe de protéger les consommateurs devant des groupes financiers puissants que sont le plus souvent les compagnies d’assurances. Le Code des Assurances affirme clairement cet objectif : le contrôle de l’Etat s’exerce dans l’intérêt des assurés, souscripteurs et bénéficiaires de contrats.
– Le principe même de l’assurance consiste à faire payer d’avance des cotisations aux assurés et à payer ensuite les sinistres s’ils surviennent. Il faut empêcher des assureurs ou des intermédiaires sans scrupules d’encaisser des cotisations puis de disparaître avant de régler les sinistres.
– Sans même aucune intention de fraude, un assureur peut se tromper de bonne foi sur le niveau de sa tarification ou sur le provisionnement des sinistres à payer. Si ces erreurs ne sont pas décelées à temps, l’assureur finira par ne plus pouvoir honorer ses engagements et fera faillite, ce qui portera un préjudice grave aux assurés et aux tiers créanciers de cet assureur. La mauvaise foi de l’assureur peut être, aussi, la cause de ce genre de désastres pour les victimes.
– Les engagements des assureurs à l’égard de leurs assurés et des tiers bénéficiaires figurent au passif de leurs bilans et sont équilibrés à l’actif par des placements immobiliers ou mobiliers. La réalité et la solidité de ces actifs doivent aussi être contrôlées pour vérifier si la sécurité des contrats d’assurance est garantie. L’Etat impose aux assureurs des règles précises relatives aux types de placements au moyen desquels les assureurs peuvent représenter leurs engagements techniques.
Mais à côté de ce contrôle de la solvabilité des assureurs et de leur capacité de faire face à leurs engagements vis-à-vis des assurés, les documents contractuels peuvent également être contrôlés (conditions générales des contrats d’assurances, notices d’information afin de vérifier leur conformité à la réglementation. Une veille est également exercée par l’autorité de contrôle sur les marchés et les campagnes publicitaires dans le but de prévenir certaines dérives. C’est ainsi que les articles 10 et 247 du code des assurances disposent respectivement que : « Préalablement à la souscription du contrat, l’assureur remet à l’assuré une notice d’information qui décrit notamment les garanties assorties des exclusions, le prix y afférent et les obligations de l’assuré. » ; « Les spécimens des contrats d’assurance que les entreprises d’assurances et de réassurance entendent émettre pour la première fois doivent être communiqués à l’administration préalablement à leur émission. Outre les spécimens de contrats d’assurance, l’administration peut exiger la communication de tous documents à caractère contractuel ou publicitaire ayant pour objet une opération d’assurance ou de réassurance. S’il apparaît qu’un document est contraire aux dispositions de la présente loi ou des textes pris pour son application, l’administration peut en exiger la modification ou en décider le retrait. » ;
Si, a priori, ce contrôle parait assez large, la réglementation telle qu’elle découle du code des assurances actuel comporte des failles en matière de protection du consommateur assuré. En effet, le contrôle de la conformité des pratiques commerciales portant sur l’ensemble du processus de commercialisation des produits d’assurances n’est pas abordé par le code, alors que c’est à ce niveau que les abus sont le plus souvent relevés. Il est vrai qu’au niveau de la phase contractuelle, ce contrôle existe (respect du droit du contrat), mais il est quasiment occulté dans la phase précontractuelle particulièrement s’agissant du respect des obligations d’information et de conseil à l’égard des clients. Ne sont pas prévues, non plus, les conditions d’entrée en relation avec les clients, notamment les dispositifs d’évaluation des connaissances du client mis en place préalablement à toute souscription, la clarté de l’information transmise ainsi que l’adéquation des produits souscrits au profil , aux besoins et à la situation financière de l’assuré.
Par souci de combler cette faille et dans un souci d’harmonisation des dispositions du code des assurances aussi bien avec la loi 31-08 précitée qu’avec les législations Européennes, un projet d’amendement du code institue l’obligation d’information de l’assuré et le devoir de conseil de l’assureur. C’est la confiance dont le profane consommateur investit le professionnel initié qui fonde ce devoir et ce conseil. En quoi, donc consistent-ils et quelle est leur portée en matière de protection du consommateur assuré ?
Le devoir d’information de l’assuré
Les consommateurs devraient recevoir à l’avance des informations claires sur le statut de la personne qui leur vend un produit d’assurance et sur sa rémunération. Il était nécessaire d’instaurer l’obligation de fournir des informations sur le statut des entreprises et des intermédiaires et d’assurance. Ces informations devraient être fournies au consommateur au stade précontractuel. Elles viseraient à montrer la relation entre l’entreprise d’assurance et l’intermédiaire, ainsi que la composition de la rémunération de l’intermédiaire et la manière dont elle est structurée.
Il est essentiel pour le consommateur de savoir s’il traite avec un intermédiaire qui le conseille sur les produits proposés par un large éventail d’entreprises d’assurance ou sur les produits offerts par un nombre déterminé d’entreprises d’assurance. Ce genre d’information sur des produits multiples d’assureurs différents permettra au consommateur et très facilement d’arbitrer, en fonction du coût et de l’adéquation des garanties par rapport à ses besoins, entre plusieurs contrats proposés par l’intermédiaire d’assurance.
Le contexte actuel de protection du consommateur a considérablement évolué aujourd’hui et la concurrence aidant, il est légitime que l’assuré prête aujourd’hui davantage attention aux coûts. L’obligation de communiquer des informations sur le commissionnement de l’intermédiaire rentre dans ce cadre.
L’obligation de conseil
Le devoir de conseil de l’intermédiaire, avec le projet de code des assurances va devenir une obligation légale qui doit désormais s’appliquer en assurance vie et en non-vie. Cela voudrait dire que l’intermédiaire est tenu de motiver tout conseil fourni au client sur la base des besoins et exigences exprimés par celui-ci. A cette obligation générale, s’ajoute celle de fonder leurs conseils sur une analyse impartiale d’un nombre suffisant de contrats. D’un point de vue formel, le conseil doit être donné avant la conclusion du contrat et sur tout support durable accessible au client.
Il n’est pas exclu que l’intermédiaire soit tenu, au-delà d’une obligation de mise en garde, à un devoir d’abstention lorsque la souscription du contrat, même souhaitée par le consommateur, lui semble contraire aux intérêts de celui-ci. Par ailleurs, le conseil doit être donné avec clarté et exactitude et en termes compréhensibles pour le client. Il s’agira ainsi pour l’intermédiaire d’adapter ses explications au niveau de compétence du client.
Il s’agit pour l’assuré de pouvoir rapidement comprendre si l’intermédiaire va simplement le diriger vers une entreprise d’assurances avec laquelle il travaille habituellement, ou s’il va véritablement se livrer à un travail de conseil qui passe nécessairement par une certaine recherche comparative du meilleur produit et par l’affirmation d’une indépendance du courtier vis-à-vis des entreprises.
De quelques pratiques commerciales abusives :
1- Cas de l’assurance prêt immobilier
L’assurance de prêt immobilier est un contrat qui couvre l’emprunteur en cas de décès, d’invalidité et d’incapacité. Autant de risques de santé qui pourraient vous empêcher d’assumer le remboursement de votre prêt jusqu’à son terme et mettre en péril votre projet de vie.
Bien que non obligatoire, la souscription d’un tel contrat est une condition indispensable à l’obtention d’un prêt immobilier.
L’assurance de prêt est un élément clé de protection à la fois : pour l’emprunteur et sa famille, puisque le bien acheté est conservé et la dette n’est pas transmise aux héritiers en cas de décès, pour l’organisme prêteur, puisque les fonds prêtés sont remboursés.
Dans la pratique, ces contrats d’assurances, commercialisés directement par les organismes de crédits via leur réseau sont toujours sources d’abus, d’insatisfaction et de litiges entre le trio souscripteur (banque)/assureur et assuré.
La pratique des ventes liées est particulièrement courante, chez les banques, en matière de prêts immobiliers. Si la loi précitée prévoit la possibilité pour un préteur, dans le cadre d’un crédit immobilier de lier l’octroi du prêt à une adhésion à une assurance souscrite en vue de garantir le remboursement du prêt ; cette possibilité est néanmoins encadrée par des obligations relatives à l’information et à l’agrément de l’assuré (Voir art. 113 de la loi 31-08).
En vigueur depuis Mars 2011, la loi précitée avait pour but de protéger les consommateurs en leur laissant le libre choix de leur assurance de prêt, mais cette liberté n’est pas explicitée par ce texte.
En fait, aucun choix n’est laissé à l’assuré, car la banque proposait systématiquement son assurance «maison». Un «contrat groupe», négocié avec une compagnie d’assurance et basé sur la mutualisation des risques. Résultat, un tarif unique pour tous, sans distinction d’âge. Pire, aucune information n ‘est fournie au client ni au sujet des garanties souscrites, ni du mode de calcul de la prime d’assurance que lui applique la banque. L’abus bat son comble lorsqu’on constate que celle-ci ne lui remet même pas son contrat d’assurance. Quid encore de l’obligation d’information et du devoir de conseil imposés par la loi précitée, lorsqu’on constate que les chargés de vente de ces produits, au niveau des guichets bancaires, ne disposent pas, dans la plupart des cas, d’un minimum de formation en assurances pour fournir ce genre de prestations à la clientèle.
Il faut noter, qu’en France, par exemple, la donne a changé depuis le 1er septembre 2010. En effet, la loi 2010-737 portant réforme du crédit à la consommation, comportant des dispositions sur le crédit immobilier, permet à l’emprunteur de souscrire, auprès de la compagnie de son choix, un contrat d’assurance présentant un niveau de garantie équivalent à celui proposé par la banque (autrement dit : une délégation d’assurance). La loi oblige aussi la banque à justifier par écrit d’un éventuel refus et lui interdit de modifier les conditions de taux du prêt prévues dans l’offre en contrepartie de son acceptation d’un contrat d’assurance autre que celui qu’elle propose.
Pour les offres de prêts à la consommation qui sont émises à compter du 1er mai 2011, si l’assurance est exigée par le prêteur pour obtenir le financement, le contrat de crédit devra rappeler que l’emprunteur peut souscrire une assurance équivalente auprès de l’assureur de son choix (nouvel article L311-19 du code de la consommation).
Concrètement, les banques, à garanties égales, n’ont plus la possibilité de refuser une délégation d’assurance. Cette mesure s’avère surtout avantageuse pour des personnes jeunes, en bonne santé, qui peuvent (ou qui veulent) faire jouer la concurrence et négocier des primes moins élevées.
Les abus liés à d’autres modes de vente de l’assurance
Deux exemples où le risque d’arnaque du consommateur assuré est réel lors de l’achat d’un produit d’assurance : la vente à distance et le démarchage. Curieusement, les pratiques commerciales découlant de ces modes de distribution de l’assurance ne sont pas encore réglementées par le code des assurances; le cadre légal est réglementé par la loi 31-08 sauf pour le démarchage où l’article 46 de cette loi exclut du champ d’application de cette loi « les activités pour lesquelles le démarchage fait l’objet d’une réglementation par un texte législatif particulier ». on peut supposer, entre autre, que ce mode de vente pour l’assurance n’est pour le moment régi par aucun texte quant aux pratiques commerciales opératoires dans ce domaine.
S’agissant du démarchage, le consommateur fait l’objet d’une sollicitation, à domicile pour la souscription d’un contrat d’assurance, par une personne physique n’ayant pas la qualité d’intermédiaire d’assurance, le démarcheur. De par ce statut, il ne sera pas censé être soumis aux obligations d’information et de conseil de l’assuré. Le risque est donc grand pour qu’un produit soit présenté à la souscription, par le démarcheur, à un profane assuré sans qu’il réponde aux besoins réels de celui-ci.
Compte tenu de ces risques, cette pratique est très encadrée, en France, du fait qu’elle donne parfois lieu à « une pratique commerciale agressive ou réputée agressive» sanctionnée par la loi, dans la mesure où le contrat d’assurance est un contrat d’adhésion que le consommateur prend dans son intégralité sans pouvoir le négocier. D’autant plus qu’Il est difficile parfois de s’assurer d’un consentement éclairé du souscripteur. Les mêmes craintes d’absence de protection du consommateur existent lorsque nous sommes en face de l’achat d’un contrat d’assurance via internet. Là, même si le chapitre 2 de la loi 31-08 encadre bien cette vente à distance en l’entourant d’un maximum de précautions et de protection pour l’assuré depuis le début de la souscription, jusqu’à l’exécution finale de la prestation, les risques de pratiques commerciales déloyales à travers les ventes sur internet existent et les exemples de tromperies dont font l’objet de nombreux clients passant par internet font légion, et nous incitent à la prudence.
Il est vrai que les projets de textes spécifiques à la protection du consommateur assuré sont, aujourd’hui dans le circuit législatif. Les évolutions en cours sont très significatives du droit Marocain de la consommation ; elles devraient intégrer des changements importants dans les pratiques commerciales entre assureurs et assurés et conduire, et pourquoi pas, à un « droit de l’assurance-consommation ».
Abdelfettah ALAMI