Redda Ben Geloune : «L’Afrique n’a pas intérêt à louper la révolution digitale en cours»
Bien que l’industrie numérique des fintechs au Maroc accuse un retard comparée à certains pays d’Afrique, il n’en demeure pas moins que le potentiel est bel bien là et les perspectives sont grandement favorables au développement de ce secteur. Tour d’horizon avec Redda Ben Geloune – Fondateur du groupe AITEK.
Challenge : Aujourd’hui, l’industrie numérique des fintechs au Maroc évolue positivement, mais accuse toujours du retard par rapport à certains pays africains. Qu’en pensez-vous ?
Redda Ben Geloune : D’une manière générale, l’économie numérique évolue effectivement de manière positive au Maroc et les perspectives de croissance sont excellentes. Toutefois, au-delà du secteur des fintechs, la contribution numérique au PIB du Royaume qui est de 7.80 MM de dollars (6,82%) reste en deçà des meilleurs acteurs du continent que sont le Nigeria (24,59 MM de dollars, 5,68%), l’Afrique du Sud (21.55 MM de dollars, 6,51%) et l’Egypte (15.41 MM de dollars, 4,98%). A l’échelle mondiale, ce retard est encore plus flagrant si l’on compare avec les USA (1.8 trillion dollars, 9,3%) ou même la France (150 MM de dollars, 5,5%). Ce benchmark est important, car le principe même de l’économie numérique est de ne pas avoir de frontières. Le Royaume doit donc prendre toutes les mesures afin que ces entreprises du secteur des technologies puissent avoir les mêmes armes que ses concurrents internationaux sans quoi, elles ne pourront jamais compétir localement, se mettre à l’échelle et s’exporter à travers le monde.
Challenge : L’évolution du cadre juridique a-t-elle suivi le développement des fintechs ? Et quels sont les défis encore à relever à ce niveau ?
R.B.G. : La croissance rapide et disruptive du secteur des fintechs pose de nombreux problèmes aux régulateurs du Royaume qui rencontrent des difficultés pour se tenir à jour. C’est pourquoi il est nécessaire que les entreprises du secteur collaborent de façon étroite avec ces régulateurs pour non seulement établir la confiance, mais aussi afin de les aider à combler cet écart qui peut rapidement se creuser. De plus, et c’est un aspect critique, les entreprises numériques marocaines ne pourront pas compétir au niveau mondial si elles n’ont pas la possibilité de s’exporter dans d’autres pays. D’un point de vue stratégique et pour rester dans la dynamique des initiatives que sa Majesté le Roi a initiées, les efforts d’harmonisation devraient avant tout être axés sur l’Afrique qui ne dispose d’aucune approche unifiée en matière de législation.
Challenge : Quelles sont d’après vous les innovations qui ont été opérées depuis la mise en place des fintechs et leur collaboration avec les banques et les assurances marocaines ?
R.B.G. : Les entreprises du secteur des fintechs construisent des solutions qui adressent les problématiques liées au manque d’infrastructures bancaires, et bien que la collaboration entre les fintechs et les banques assurances fasse sens, celle-ci ne doit pas se limiter comme on peut le voir à une simple utilisation des services proposés. Le secteur bancaire, qui est vieillissant, doit impérativement se réinventer en capitalisant sur la révolution en cours. Par ailleurs, il est à noter que les banques marocaines, très implantées en Afrique subsaharienne, peuvent être un vecteur de croissance important pour l’industrie numérique sur le continent.
Challenge : La sécurité est l’un des points essentiels au niveau du secteur, quelles sont les mesures à mettre encore en place pour ce volet ?
R.B.G. : La sécurité numérique n’est pas uniquement liée au secteur des fintechs, mais bien plus globale. En 2025, le coût estimé des attaques a été estimé à plus de 10,5 trillion dollars par McKinsey et celles-ci ne se sont pas concentrées uniquement sur les industries numériques, mais sur l’ensemble des acteurs. Il s’agit clairement d’une opportunité et le Royaume doit continuer à s’entourer des meilleurs experts dans le domaine.
Challenge : Et en Afrique, quel bilan faites-vous de l’évolution du secteur ? Quelles leçons le Maroc peut-il en tirer ?
R.B.G. : Au cours des dernières années, le secteur des fintechs a été le moteur de l’évolution de l’économie numérique en Afrique avec la contribution la plus importante au PIB du continent. Il en a été de même pour les levées de fonds où les startups du secteur ont levé 850 M de dollars en 2019 à travers 65 transactions avec une croissance de 120% en volume et de 55% en nombre de transactions. Cela est tout à fait logique lorsque l’on sait qu’en plus des problèmes liés aux infrastructures, le taux de bancarisation des populations du continent reste très faible. L’opportunité est latente et la démographie favorable. En effet, l’Afrique est jeune (avec un âge médian de 19,7 ans), mais a aussi une pénétration importante de la connexion internet avec 6 23 millions d’utilisateurs de mobiles dont 87% de haut débit projetés en 2025. Tous les facteurs convergent donc vers l’explosion de ce secteur et le Royaume du Maroc ne doit pas louper le train.
L’Afrique a loupé les trois révolutions industrielles et c’est une des raisons principales du retard que nous accusons aujourd’hui. S’il y a une révolution que nous n’avons pas intérêt à louper, c’est bien la révolution digitale qui est en cours. C’est l’essence même de la vision d’AITEK, le groupe que nous avons fondé en 2004 et qui s’installera dans quelques semaines au Maroc : capitaliser sur la convergence exponentielle des nouvelles technologies pour résoudre les grands défis du continent.