Une loi choquante
Parce qu’un ancien ministre avait des difficultés à finir ses mois, à cause de sa passion pour le poker, Hassan II avait par Dahir assuré un revenu de 40.000 dh à tous les anciens ministres. La procédure est complexe, ils font une déclaration de revenus et le trésor leur verse le complément pour atteindre les 40.000, jugés à l’époque le seul minimal d’un train de vie décent.
Abdelilah Benkirane, dans son projet de loi sur le gouvernement, l’institutionnalise et la porte à 60.000 dh, avec le maintien d’avantages en nature. Le PJD, dans l’opposition avait toujours trouvé la mesure choquante, la qualifiant de rente politique.
Plusieurs ex-ministres, en pleine force de l’âge, ne déclarent aucun revenu, parce qu’ils ont cessé toute activité. Journalistes, fonctionnaires, ou même avocats, ont préféré une retraite précoce à la reprise des carrières d’avant leur nomination. Bien vu grâce à Benkirane, ils percevront 60.000 dh. Au moment où les caisses de retraite pour les salariés lambdas sont en faillite, on peut mesurer l’impact sur l’opinion publique.
Sous d’autres cieux, les ministres qui quittent leur fonction perçoivent une indemnité qui ne dépasse jamais les 6 mois de salaire, pour leur permettre de se « retourner » et donner une nouvelle orientation à leur carrière. Ministre c’est un poste politique, une mission militante. Sous l’effet de la crise en Europe, tous les gouvernements ont abaissé les appointements des ministres en signe de solidarité. L’idée même qu’un engagement politique, se transforme en rente viagère est insoutenable. Imaginez qu’un gouvernement qui a failli, qui a été éjecté par la volonté populaire, en bénéficie lui aussi.
La question est sensible à tous les niveaux. L’image des politiques est très dégradée, une telle mesure, l’officialisation d’une rente avilissante pour ceux qui l’acceptent, ne peut qu’élargir le fossé. Les ministrables vont passer pour des prédateurs à la recherche d’avantages pécuniers et non pas des porteurs de projets collectifs désireux de participer à leur mise en œuvre. C’est le sens que prendront les batailles rangées pour les postes, immanquablement.
Sur le plan financier, c’est le seul poste budgétaire qui ne peut qu’augmenter à chaque remaniement ministériel, surtout si l’on continue à nommer des professeurs du premier cycle, qui n’ont aucun intérêt à revenir en classe, une fois leur mission terminée.
Pour l’histoire des hommes l’ont refusé. Le premier d’entre eux a été Abdellah Ibrahim qui a vécu sur sa retraite d’enseignant, refusant toute rémunération pour son passé de chef du gouvernement, alors même qu’il n’avait pas constitué de patrimoine. Il est vrai que sa génération était porté par un idéal. Allal El Fassi, Abderrahim Bouabid, Torrès, Mehdi El Ouazzani et bien d’autres n’avaient aucun attachement à la fortune matérielle. Certains d’entre eux, héritiers, ont dilapidé leur héritage pour financer l’action politique. C’est pour cela que jusqu’à leur mort, et même après, ils ont gardé le respect des citoyens, y compris ceux opposés à leurs choix politiques.
Malheureusement, il n’y aura pas d’opposition au parlement, parce que tous les partis ont leurs bénéficiaires. Ceux qui s’élèvent contre la rente politique se verront taxés de populisme. Ironie de l’histoire, c’est le PJD qui utilisera cet anathème pour protéger ses futurs retraités. L’incohérence qui tue la politique est une maladie généralisée.