Eclairage public au Maroc

Vers un nouveau mode de gestion

«Source d’économies considérables pour la facture énergétique à l’échelle territoriale, l’éclairage public participe aussi de l’embellissement et de la promotion des villes et recèle des enjeux sécuritaires et environnementaux non négligeables. Entre la rénovation du million de points de lumineux que compte le pays (dont 120.000 à Casablanca) et la mise en place d’une gestion efficiente réellement au service du citoyen, l’enjeu est de taille pour le Maroc à la veille de la COP 22 et en perspective des objectifs ambitieux de la Stratégie nationale d’efficacité énergétique à horizon 2020». par L.M.

Quand on a adopté une stratégie nationale d’efficacité énergétique ayant pour objectif ambitieux la réduction de la consommation d’énergie de 12% à horizon 2020, alors que les besoins énergétiques du pays sont en constante progression (évolution démographique et croissance économique obligent), il ne faut guère hésiter à faire feu de tout bois ! A commencer par la chasse aux gabegies qui caractérisent certains usages de l’énergie au sein de l’appareil administratif public et parapublic. Qui, pour s’en convaincre, n’a jamais observé, par exemple, des quartiers entiers éclairés à plein feux de candélabres de bon matin, sous un soleil éclatant ou ne s’est jamais offusqué à constater dans les couloirs et bureaux des édifices publics, un éclairage artificiel en plein jour aussi vain que les nuages ? Ces exemples sont loin d’être uniques ou singuliers mais ils permettent de façon heuristique, au-delà des  présomptions et conjectures sur l’inefficience de la gestion de la chose publique en général, d’identifier objectivement un gisement d’économies potentielles tant énergétiques que financières et une source de réduction des nuisances écologiques  des centres urbains appelés de plus en plus à évoluer vers le concept de smart city1 .
Ce gisement n’est autre que l’optimisation de la facture d’électricité de l’administration publique, qu’elle soit centrale ou territoriale et qui s’élève annuellement à plusieurs milliards de dirhams. Et selon certains spécialistes, le segment de l’éclairage public incarne dans cette mer d’inefficience le continent à conquérir par excellence et, par ricochet, la source d’économie potentielle la plus importante car, d’une part, il représenterait à lui tout seul, entre le quart et le tiers de la facture d’électricité du secteur public (à l’exclusion des établissements publics à caractère commercial) et, d’autre part, l’amélioration de son bilan économique, social et environnemental n’est en rien tributaire des consciences ou du civisme des utilisateurs (contrairement à l’usage d’électricité à l’intérieur des bâtiments publics), ce sur quoi il peut être parfois hélas aussi ardu d’agir, que de rendre la vue à des non-voyants ! Et depuis quelques mois, les statistiques et les chiffres du premier bilan de l’expérience la plus aboutie et mieux structurée au Maroc en matière de gestion déléguée d’éclairage public, sont disponibles. Et ils viennent largement étayer ce constat et en corroborer le bien fondé. On y reviendra.
Mais de quoi parle-t-on au juste ? Pourquoi l’éclairage public est-il si vital pour les citoyens ? Que représente pour les Communes la facture de l’éclairage public en montant absolu et en pourcentage de leurs budgets annuels ? Quels en sont les enjeux pour la politique urbaine, la sécurité des usagers, voire pour la stabilité sociale ? Quel modèle de gestion les communes privilégient-elles aujourd’hui pour assurer ce service public ?
De prime abord, il y a lieu de rappeler que l’éclairage public est un service à la collectivité pris en charge par les communes. Son rôle premier est de participer à la sécurité publique nocturne des usagers en leur rendant visible à l’intérieur et à l’extérieur des villes un danger, qu’il s’agisse de travaux ou d’un obstacle (mobilier urbain…) et en permettant la détection d’un autre usager, de son comportement et de ses intentions. L’éclairage public contribue également à l’agrément des citoyens à travers l’orientation nocturne: il révèle le tracé des voiries et leurs abords immédiats, il structure les réseaux routiers et facilite la compréhension de leur hiérarchie. Au-delà de la sécurité des déplacements susmentionnés qu’il favorise, l’éclairage public contribue également à la réduction de l’insécurité réelle et le sentiment d’insécurité. Comment ? A travers l’effet direct de réduction de la criminalité. En effet, plusieurs enquêtes américaines et britanniques ont révélé au cours des dernières années2 l’impact indéniablement positif de l’éclairage sur la violence urbaine. Et si en France et encore davantage au Maroc, il y a une pauvreté statistique à ce sujet, l’exemple de la ville de Reims, où un sabotage prolongé, en mars 1996, a conduit à une forte augmentation des délits, en dit long. D’ailleurs, si 87% des français sont favorables à l’extinction de l’éclairage de nuit dans les bureaux inoccupés, il en va tout autrement pour l’éclairage public la nuit contre la réduction duquel (souvent expérimenté pour des raisons d’économie), 90% des français sont totalement opposés, car estimant que l’éclairage public est un enjeu central de sécurité et de stabilité sociale.
Quant au poids économique et budgétaire de l’éclairage public au Maroc, les estimations de l’ONEE (fournisseur ultime) le situent à près de 40% de la consommation d’énergie des communes urbaines. Une proportion près de deux fois plus importante que la moyenne européenne et qui est due, surtout, à la vétusté du parc marocain des points lumineux (ampoules, luminaires…) qui totalisent un peu plus d’un million (contre 9 millions en France pour une population à peine deux fois plus importante que celle du Maroc) dont 120.000 points à Casablanca, 60.000 points à Tanger, un peu moins de 80.000 pour Rabat/Salé, 42.000 à Marrakech et 62.000 à Fès. Selon des sources officieuses au ministère de l’Intérieur, près de la moitié des points lumineux ont plus de 25 ans sans compter la déficience, voire la défaillance de plusieurs milliers d’armoires de commandes et de protection du réseau d’éclairage public….ce qui cause souvent des dysfonctionnements  dans l’exploitation des points lumineux qui y sont raccordés. Aussi, avec un tarif spécial (consenti par l’ONEE) de 1,2662 DH le kWh (contre 1,5364 DH le kWh pour l’éclairage administratif) et une consommation annuelle de près de 0,75 tWh (térawattheure), l’éclairage public coûte annuellement un peu moins d’un milliard de dirhams. Comme la consommation énergétique représente 35% du budget global des communes urbaines et municipalités, cela érige l’éclairage public parmi les postes de charges les plus importants toutes catégories confondues, avec un poids relatif de 15%….et en fait un gisement indéniable d’économies.
Eclairage-Public-1---Lydec-CasablancaEn effet, la mise en œuvre des mesures d’efficacité énergétique et de remise à niveau du parc des points lumineux est capable de réduire la facture d’électricité d’une grande ville comme Marrakech de l’ordre de 30% à 40% comme en témoignent les termes de l’appel international à manifestation d’intérêts lancé par la ville de Marrakech en décembre 2015 (et en cours de dénouement) et qui assignent à la Société de Développement Local (SDL) devant prendre en charge (dans le cadre d’un contrat de délégation de service public) la gestion des 60.000 points lumineux de la ville ocre, un objectif minimal de 40% en termes de baisse de sa consommation énergétique annuelle liée à son éclairage public. Et si cela pourrait sembler pour l’instant du registre des seules projections, certes appuyées par des études et non seulement fondées sur des présomptions quant à la gabegie qui caractérise la gestion de l’éclairage public au Maroc, le ministère de l’Intérieur dispose depuis peu de statistiques probantes qui étayent largement cette assertion. Et c’est la ville de Salé qui les fournit dans la foulée du premier bilan – certes encore très provisoire – de son expérience pionnière au Maroc en matière de délégation de la gestion de l’éclairage public. En effet, un an après avoir mis en place, en janvier 2015, la première SDL (dénommée Sala Noor) en charge de la gestion et de l’exploitation des 35.000 points lumineux que compte la ville jumelle de la capitale du Royaume, les réalisations en matière d’économies, mais également de qualité du service public sont plus qu’éloquentes. Sur une facture annuelle de près de 30 millions de dirhams dont la ville s’acquittait au profit de la Redal (concessionnaire de la distribution d’eau et d’électricité de Rabat et Salé), l’économie sur une année avoisinerait les 8 millions de dirhams (soit plus de 7 millions de kwh). C’est dire que l’investissement nécessaire pour le renouvellement du parc des ampoules les plus vétustes et énergivores (principalement des lampes à incandescence et lampes halogènes) et de remise à niveau des autres équipements du réseau est récupérable grâce à quelques années seulement d’économies (il faut rappeler que l’éclairage public n’est pas qu’un marché d’ampoules ! Les candélabres, les poteaux, les armoires de contrôle et de protection, les applications informatiques pour la télégestion et le traitement des réclamations qui pèsent tout aussi lourd dans l’investissement initial). Sur le registre écologique, le gain est loin d’être dérisoire avec une réduction de nuisance qui dépasse la barre de 600.000 tonnes équivalent CO2 par an (à titre de comparaison, une voiture de tourisme fonctionnant au diesel émet annuellement environ 4 tonnes de C02 à raison d’une distance parcourue de 20.000 km). Enfin, l’agrément et la sécurité des citoyens ne sont pas du reste avec des avenues et des espaces publics mieux éclairés, dont certains  avec des ampoules LED très adaptées, un numéro vert au service des citoyens enfin digne de ce nom et un parc de candélabres et ampoules mieux entretenus avec une réactivité aux pannes des plus louables, alors qu’auparavant il fallait attendre parfois plusieurs jours avant qu’un agent de la municipalité ne daigne se déplacer pour changer une ampoule quand il ne cherchait pas, sans vergogne, à soutirer de l’argent aux habitants du voisinage du point lumineux défectueux !
Est-ce à dire que le modèle SDL est une panacée pour l’équation de l’éclairage public au Maroc qui doit répondre à de multiples enjeux économiques, financiers, sécuritaires, environnementaux et d’embellissement des villes alors que les finances des communes et collectivités locales sont déjà éprouvées par d’autres défis, dont certains de type nouveau (équipements de surveillance urbaine, voiries, assainissement, collectes des déchets, espaces verts, équipement culturels et sociaux…) ? Difficile d’y répondre de façon péremptoire, mais il est admis aujourd’hui que ce type de partenariat public privé (PPP) de long terme (généralement d’une durée de 10 à 15 ans) présente pour les communes de multiples avantages, dont le transfert du poids de l’investissement vers le délégataire tout en gardant la maitrise capitalistique de ce dernier et la participation aux bénéfices de l’externalisation (la ville y reste actionnaire majoritaire aux côtés de l’opérateur privé qui apporte son savoir-faire et se voit pilote de la gestion opérationnelle de ce service public). Ce qui n’est pas le cas des modèles alternatifs retenus jusqu’à présent par d’autres villes, comme l’extension de la concession du distributeur d’eau et d’électricité à celle de la gestion de l’éclairage public (qu’il soit public comme RADEEF qui gère le réseau d’éclairage public de la ville de Fès ou privé comme Lydec à Casablanca), la contractualisation avec un tiers privé pour une durée limitée (à l’instar de l’expérience d’un an renouvelable de la ville de Tanger avec Citelum Maghreb, filiale du groupe Veolia) ou encore l’externalisation au profit du monopole public l’ONEE (qui a pris en charge cette mission dans le cadre de conventions ad hoc avec plusieurs villes avant de commencer à s’en désengager petit à petit pour se concentrer sur sa véritable mission et raison d’être, à savoir la production d’eau et d’électricité). Toutefois, pour avoir voix au chapitre et donner toute la mesure de ses avantages, le modèle de SDL a besoin d’une taille critique pour attirer de vrais professionnels du métier de l’éclairage public et compenser le risque d’investissement que le délégant public leur transfère par des gains potentiels substantiels, auxquels les économies d’échelle sont tout autant décisives que les poches d’optimisation et d’efficience que promet la substitution de la rigueur du management privé à la gestion perfectible (pour n’user qu’un euphémisme !) de la chose publique et, à fortiori, parapublique. Une taille critique que les spécialistes situent au bas mot à plus de 10.000 points lumineux. Ce qui exclut d’emblée la majorité des villes de taille moyenne (en gros dont la population varie de 75.000 à 150.000 habitants) voire même, d’une certaine mesure, celle dite intermédiaire «supérieure» (entre 150.000 et 250.000 habitants). Pour ces dernières, le seul moyen de muer vers un éclairage public de qualité et en phase avec les engagements de l’Etat marocain en matière d’efficacité énergétique, reste l’appui de l’administration centrale par des subventions appropriées. D’ailleurs, en France par exemple l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie) verse annuellement à plus de 30.000 communes de moins de 2.000 habitants, plusieurs dizaines de millions d’euros pour accélérer la rénovation de l’éclairage public et favoriser l’atteinte des objectifs. Au reste, les villes qui n’ont pas eu l’heur de bénéficier des subsides étatiques (que le gouvernement cherche à rationaliser au mieux dans une période de rigueur budgétaire), peuvent toujours se tourner vers les financements multilatéraux comme Agadir, Oujda et Chefchaouen qui ont bénéficié en 2012 de l’accompagnement du programme European Energy Award avec l’appui de l’Agence nationale pour le développement des énergies renouvelables (ADEREE) et la SFI de la Banque mondiale, ce qui leur a permis de financer un programme d’investissement de renouvellement de plusieurs milliers de points lumineux par des ampoules à basse consommation.
Au demeurant, il est urgent de sensibiliser les premiers responsables des affaires locales du pays, maires, élus locaux ou présidents des régions, sur l’impératif d’une gestion rationnelle et responsable de la consommation énergétique de leurs villes et communes. Ce à quoi des conclaves, aussi bien à propos qu’ils soient comme celui organisé le 20 janvier 2016 au siège du ministère de l’Intérieur autour de la thématique de l’efficacité énergétique à l’échelle territoriale avec la présence de plus de 200 maires du Royaume, ne suffisent pas. Car, au-delà de la prise de conscience et du consensus qui s’en dégagent potentiellement pour la mise en place d’actions structurelles à long terme, il y a lieu de renforcer davantage le caractère coercitif de la Loi 47-09 sur l’efficacité énergétique (loi qui, d’ailleurs, pâtit du caractère insuffisant jusqu’à présent des textes d’application y afférent près de cinq ans après sa promulgation effective) en assignant aux administrations publiques et collectivités territoriales des objectifs précis et mesurables par la quantité d’économie d’énergie ou d’émission de gaz à effet de serre (comme cela a été adopté en France avec les lois « Grenelle I » et « Grenelle II ») et, pourquoi pas, en élargissant la reddition de leurs comptes aux différents programmes nationaux d’efficacité énergétique, voire en jumelant cet exercice à des primes ou des pénalités favorisant l’atteinte desdits objectifs. Cela viendrait, au passage, améliorer la gouvernance dans la sphère étatique dont l’état lacunaire expliquerait, selon la Banque Mondiale – cela soit dit en passant – un retard entre 1,5% à 2% de croissance économique du Maroc.  Voilà qui éclaire bien les lanternes sur le lien organique existant entre finalité de l’usage du pouvoir (ou autrement dit, sur le niveau de bonne gouvernance) et efficacité de l’usage de l’électricité.

 
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