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WPC : la gouvernance mondiale est en crise profonde

Les intérêts des grandes puissances étatiques ont la peau dure. Les espaces de dialogue, comme celui de la World Policy Conference (WPC), pourront-ils aider à éviter le pire ?

Les structures multilatérales, nées à la suite de la seconde guerre mondiale, sont de plus en plus obsolescentes. Leur caractère non évolutif les a condamnées à être dépassées, à ne plus refléter la réalité internationale actuelle. C’est là un constat partagé. Mais, au-delà de ce constat, lorsqu’il s’agit de réformer ces structures pour pouvoir agir efficacement, inévitablement, des divergences, voire des contradictions surgissent. Les intérêts des grandes puissances étatiques ont la peau dure. Les espaces de dialogue, comme celui de la World Policy Conference (WPC), pourront-ils aider à éviter le pire ?

Thierry de Montbrial, président et fondateur de WPC, construit son raisonnement sur l’observation directe des rapports de force, au niveau international, écartant à la fois l’idéalisme et le réalisme hobbesien, pour défendre une démarche volontariste où l’action humaine peut être positive et décisive dans le devenir de la planète Terre. Ainsi, pour lui, le Moyen-Orient est toujours ce volcan en pleine activité où l’instabilité, non seulement est permanente, mais avec, en plus, un accroissement de la gravité et de la complexité. Le conflit Iran-Arabie saoudite a révélé d’une part la capacité du premier à résister aux menaces des États-Unis d’Amérique et aux sanctions, d’autre part, la vulnérabilité du second, dont les causes seraient plus internes qu’externes.

Avec Trump, les États-Unis ont recours, de plus en plus méthodiquement, à l’arme économique, voire à l’arme monétaire, multipliant et aggravant ainsi encore plus les « incertitudes », un leitmotiv dans la bouche de la plupart des intervenants à cette conférence. La Chine, au contraire, opte ouvertement pour le multilatéralisme. C’est là un grand paradoxe du 21ème siècle. Nous avons d’une part, un État « communiste » qui défend le libre-échange dans le monde, et d’autre part, un État « libéral » qui opte pour le protectionnisme le plus agressif. Dans ce contexte, le « nationalisme » reviennent en force dans presque tous les continents. Thierry de Montbrial a recours à de nouveaux concepts forgés dans la réalité internationale pour pouvoir décrire ce paradoxe : « démocratie illibérale », ou « non libérale », c’est-à-dire se contentant de la forme libérale avec un contenu autoritaire, ou encore « démocratie ethnique ». L’évolution récente en Inde, pays de Gandhi, illustre bien cette situation où les minorités religieuses/culturelles font face à des risques d’exclusion. Israël en est d’ailleurs le modèle parfait où l’exclusion des arabo-palestiniens est systématique, à l’instar de ce qu’avait tenté de mettre en place le système d’Apartheid en Afrique du Sud.

Thierry de Montbrial s’interroge aussi sur le devenir de l’Union européenne, dans cette réalité internationale, dont l’évolution est accélérée sous l’effet des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), réalité dominée actuellement par deux grandes « puissances impériales », la Chine et les États-Unis. Le continent européen, autrefois « centre du monde », va-t-il se contenter de choisir un camp, de s’arrimer à la puissance du moment ? Un comportement certes réaliste et pragmatiste, mais tout à fait opportuniste.

Le rôle de l’Afrique

Pour pouvoir faire face à cette « impasse », l’Afrique peut aider l’Europe à un choix plus digne. C’est l’appel formulé par Amadou Gon Coulibaly, premier ministre de la Côte d’Ivoire. L’ensemble du continent africain appuie la voie du multilatéralisme. Le renforcement de cette voie dépend du développement de la coopération interafricaine et de la mise en place de nouveaux mécanismes garantissant une interdépendance effective entre l’Europe et l’Afrique.

L’ambassadeur de la République française au Maroc, Hélène Le Gal, a lu le message d’Edouard Philippe, premier ministre, pour qui « la politique est pareille à la météo… ». C’est là une mise en avant de la dimension conjoncturelle, et donc superficielle, de la politique. Or, il existe des constantes permettant de disposer d’une « boussole » et d’éviter de nouveaux drames à l’humanité. Un minimum de certitude, basé sur les tendances lourdes, est nécessaire pour pouvoir garder le minimum de visibilité possible et éviter le « grand naufrage ». Des acquis solides du multilatéralisme existent. Ils doivent être renforcés. C’est notamment le cas des Objectifs de Développement Durable (ODD), avec l’Agenda 2030. Le concept de « développement durable » contient une vision stratégique dont la déclinaison effective devrait pousser vers la construction irréversible d’une nouvelle réalité internationale, basée non seulement sur l’équilibre des forces, mais aussi sur l’ouverture et le respect réciproque entre les États, quel que soit leur niveau de puissance. C’est tout simplement la voie de la consécration du droit, non pas le droit du puissant ou du vainqueur, mais un droit rénové, au service d’un intérêt commun redéfini multilatéralement, avec pour objectif ultime la protection de la dignité humaine, seul axe à ne pas perdre de vue dans la « boussole mondiale », pour pouvoir naviguer en ces temps d’incertitudes.

Arkebe Oqubay, ministre et conseiller spécial du premier ministre d’Ethiopie, prévoit pour sa part l’émergence d’un « ordre mondial sino-centrique ». Un ordre qui ne serait pas tout à fait nouveau, évoquant Napoléon Bonaparte qui qualifiait déjà, au 19ème siècle, la Chine de « géant endormi ».  Pour Arkebe Oqubay, ce sont les inégalités croissantes qui constituent une « bombe à retardement ». Auxquelles s’ajoute le changement climatique, en tant que « risque majeur ». La réforme profonde du mode de gouvernance mondiale devrait être axée sur le bien-être des populations et le respect de l’environnement.

Le conflit actuel Chine-États-Unis tourne autour de la conquête de la plus grande part du « gâteau mondial ». Ce conflit ne peut mener que vers la destruction totale, sans vainqueur ni vaincu. Laurent Fabius, ancien président de la COP 21, et actuel président du Conseil constitutionnel en France, évoque Claude Lévi-Strauss qui, dans « Tristes tropiques », a rappelé que « le monde a commencé sans l’être humain, et que, certainement, il continuera sans lui ». Oui, effectivement, c’est là une triste réalité à prévoir, qui pourra devenir certitude, si l’être humain, à travers ses actes, ne réagit pas à temps face aux menaces pesant sur l’ensemble de la planète Terre.

 
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