15 pistes pour une relance par l’investissement et la consommation
Depuis le début de la crise sanitaire du nouveau coronavirus qui a impacté le tissu entrepreneurial marocain, le gouvernement à travers le Comité de Veille Economique (CVE) a mis en place plusieurs nouveaux produits de garantie des crédits en faveur des entreprises pour la relance de l’économie à travers l’offre. Seulement, l’endettement ne constitue pas une solution optimale et risque même de prendre les acteurs économiques plus au cou qu’ils ne le sont déjà. Pour de nombreux économistes et experts, cette relance doit reposer sur l’investissement et la consommation qui sont les moteurs de la croissance. Dans le présent dossier, nous avons sollicité cinq experts pour nous livrer leurs impressions sur quinze pistes pour une relance à travers ces deux principales locomotives de l’économie nationale.
1- Baisse de la TVA
Selon de nombreux économistes et experts, il faut baisser la TVA en cette période de crise pour relancer la consommation. Cette baisse pourrait ainsi inciter les ménages à consommer davantage. Présentée comme égalitaire car elle touche tous les consommateurs, la TVA est aussi impopulaire car elle renchérit le prix d’achat des biens et services. En cette période de crise, le sujet revient régulièrement dans le débat. Certains pays comme l’Allemagne ont franchi le pas, en faisant passer la TVA d’un taux de 19 à 16% et ce, jusqu’à la fin de l’année. Le Maroc peut-il en faire autant ? Il faut dire qu’au Maroc, cet impôt est de loin la recette fiscale la plus importante. Il pèse pour environ 28% des rentrées totales. D’aucuns estiment que la diminution de la TVA comporterait un risque : il se pourrait que la baisse des prix ne soit pas répercutée sur les consommateurs (dans ce cas elle sera favorable aux marges des entreprises et des distributeurs, ce qui aura un impact moins immédiat sur l’activité). Pour Zakaria Fahim, Expert-comptable, Managing Partner à BDO, si la baisse de cet impôt doit concerner uniquement les produits de première nécessité, «Il faut en revanche l’augmenter pour les biens de luxe », dit-il.
2 – Incitations fiscales aux investissements des entreprises
Effrayées par la crise, beaucoup d’entreprises gèlent leurs décisions d’investissement. Leur accorder des incitations fiscales pourrait les inciter à changer d’avis.
3 – Baisse de l’IR
C’est plus que jamais le moment de revoir la grille de l’IR, après neuf ans de stagnation. Ce serait ainsi l’occasion de booster le pouvoir d’achat des Marocains et, partant, dynamiser la consommation des ménages qui reste l’un des moteurs de la croissance au Maroc. Les consommateurs, notamment ceux de la classe moyenne, supportent beaucoup de charges, et qui constituent des économies pour le Trésor, sans qu’ils ne bénéficient d’un avantage fiscal en contrepartie. Par exemple, des ménages de plus en plus nombreux inscrivent leurs enfants dans des établissements scolaires privés, supportant ainsi d’importantes charges sans qu’ils en soient avantagés sur le plan fiscal. Les manifestations et les sorties dans les réseaux sociaux de marocains, revendiquant une baisse des frais de scolarité du troisième trimestre, en témoignent.
4 – Coup de pouce des collectivités locales
Outre le tiers de la TVA qui représente la moitié des recettes des collectivités locales, ces dernières comptent sur d’autres entrées, notamment des taxes et redevances (redevance d’occupation temporaire du domaine public communal, d’habitation, débits de boissons, services portuaires…). Mais avec la crise du Coronavirus et surtout le confinement, les communes devront voir leurs recettes baisser. A cela, s’ajoute le fait que beaucoup de contribuables (entreprises et particuliers) auront des difficultés à honorer leurs obligations fiscales. En attendant un retour à la normale de l’activité, les communes devraient revoir à la baisse certaines taxes et redevances. Ces collectivités locales sont, certes, touchées par la crise mais il ne faut pas oublier qu’elles sont assises sur plus de 23 milliards de DH de fonds disponibles à fin 2019.
5 – Accélération des grands travaux
Les grands travaux. C’est l’un des axes classiques de relance de la demande et de l’emploi dans les politiques de soutien à l’activité. Le Royaume doit accélérer ses plans d’infrastructures autoroutières et routières, ferroviaires, énergétiques, et immobilières, en réalisant en deux ans les travaux qui avaient été planifiés au cours des cinq prochaines années.
6 – Partenariat public privé
Les Partenariats public-privé (PPP) dans les secteurs sociaux sont des pistes à privilégier pour surmonter la crise sanitaire actuelle, selon El Mehdi Fakir, économiste. « Les PPP constituent une carte à jouer en temps de crise, notamment, dans des secteurs sociaux, tels que l’Education ou la Santé pour optimiser les moyens financiers de l’Etat et limiter les dégâts. Tout cela doit se faire sans stigmatisation», dit-il. Et d’ajouter, que c’est grâce aux PPP que le Maroc est arrivé à implanter des centres de dialyse un peu partout dans le pays. Pour sa part, Zakaria Fahim, Expert-comptable, Managing Partner à BDO, estime qu’on doit mettre en place des PPP pour les PME, cela surtout dans les régions. « Les communes doivent lancer des PPP avec les PME. Pour cela, les secteurs ne manquent pas, comme par exemple les garderies dans le préscolaire», indique-t-il.
7 – Préférence nationale
Pour une fois, les entreprises, les pouvoirs publics, voire les consommateurs, sont unanimes pour dire que la préférence nationale devra être appliquée. Il faut dire que la crise du nouveau Coronavirus aura exacerbé, partout dans le monde, la préférence nationale. Le Maroc a tout à y gagner. Le gouvernement ne doit pas seulement se contenter de donner l’impression de prendre conscience de la nécessité de protéger le marché intérieur, il doit confier son développement en priorité aux entreprises locales. « Outre l’instauration de la préférence nationale systématique pour tous les marchés public, y compris ceux des Collectivités Territoriales et des Établissements et Entreprises Publics, on devra privilégier les offres contenant une part plus importante de produits nationaux et d’expertises nationales dans l’exécution de la commande publique. De plus, on devra ajuster les importations de produits transformés pour orienter la consommation vers les produits locaux. Cela va même engendrer la création de nouvelles entreprises et par ricochet, des emplois », souligne Tariq Zidi, Président National du Centre des Jeunes Dirigeants (CJD) Maroc, qui précise que 30 à 40 % des importations marocaines peuvent être arrêtées.
8 – Commande publique
La commande publique, qui comprend les dépenses engagées par l’Etat, les établissements publics et les collectivités locales, représente désormais l’équivalent de plus de 25% du PIB. Il s’agit donc d’une composante incontournable de l’activité économique. Des secteurs entiers de l’économie dépendent principalement des commandes directes ou indirectes de l’Etat, comme par exemple les BTP ou l’ingénierie pour lesquels 75% du chiffre d’affaires sont d’origine publique. La commande publique recouvre ainsi une notion très large utilisant différents mécanismes contractuels tels que les marchés publics, les marchés passés par certains organismes publics ou privés non soumis au Code des marchés publics, les délégations de service public, les contrats de partenariat public-privé, etc. Aujourd’hui, le recours massif des entreprises et établissements publics aux importations souligne la nécessité de mieux coordonner la politique industrielle et les dépenses publiques, à travers des mesures précises, et notamment l’instauration de mécanismes judicieux permettant de réaliser plus de valeur ajoutée locale pour la couverture des besoins de la commande publique et un meilleur accès des PME aux marchés publics. Mieux encore, selon Tariq Zidi, Président National du CJD-Maroc, il faut « accorder systématiquement des avances démarrage aux entreprises et prestataires des marchés publics pour financer les achats et prestations liés à leurs marchés ».
9 – Légiférer un impôt sur le patrimoine non productif
Il parait opportun d’envisager la mise en place d’un impôt qui cible le patrimoine non générateur de richesse, comme le foncier non bâti ou non exploité, les habitations non occupées ou encore les valorisations de patrimoine qui ne sont pas liées à des investissements, comme c’est le cas pour les terrains qui rentrent en périmètre urbain ou qui bénéficient d’un changement de zonage. « Afin de lutter contre la spéculation et encourager la mobilisation du foncier nécessaire aux investissements, on peut par exemple prévoir un impôt sur le patrimoine non productif, qui se substitue ou complète la taxe sur les terrains urbains non bâtis », estime Tariq Zidi, Président National du CJD-Maroc.
10 – Création d’une banque publique d’investissement
La crise actuelle devra donner un coup d’accélérateur à la création d’une banque publique d’investissement au Maroc, afin de combler les besoins de financement de l’économie nationale. Cette structure pourrait constituer un mécanisme de financement important et utile au regard des difficultés de financement rencontrées par les entreprises. Elle permettra de mobiliser l’épargne nationale afin de la réorienter vers les objectifs de création et de développement d’entreprises. Il faut dire que l’épargne intérieure est jusque-là insuffisante pour satisfaire le niveau d’investissement requis dans les infrastructures et l’économie productive. Ce genre d’établissement bancaire ne sera efficace que s’il peut agir de façon complémentaire à l’offre bancaire. Il sera nécessaire d’orienter les fonds pour répondre à des besoins des PME qui ne pourraient pas être couverts par le marché : par exemple l’intervention en capital des PME qui pourrait leur permettre de se conforter et de se développer, ou encore le développement de secteurs émergents où le risque doit être partagé. A l’évidence, ce type de banque doit avoir un prolongement régional afin de mieux tenir compte des besoins des entrepreneurs.
11 – Création d’un méga fonds d’investissement
Pour l’heure, le gouvernement, dans son objectif d’apporter une solution de financement complémentaire à celles déjà mises en place depuis le début de la crise, étudie toujours la question. La CGEM, qui souhaiterait que cet instrument ait une orientation plutôt sectorielle propose de le doter de 20 milliards de DH, afin de supporter les secteurs en grande difficulté. «Le premier investisseur dans l’après-Covid, devrait être ce fonds public d’investissement qui va pouvoir investir dans les entreprises où il y a des enjeux sociaux, mais aussi économiques», estime Zakaria Fahim, Expert-comptable, Managing Partner à BDO.
12 – Mise en place d’un fonds de retournement et de transmission
Pour le spécialiste de l’accompagnement des entreprises familiales, Zakaria Fahim, ce type de fonds d’investissement peut investir dans la transmission pour les entreprises qui se portent bien et dans le retournement pour celles qui se portent mal. « L’endettement a ses limites et en plus, le tissu économique national est sous-capitalisé sans compter que les entreprises sont très mal notées par les banques. Il est évident que ce fonds doit avoir une déclinaison régionale à travers des fonds régionaux pour améliorer l’ancrage territorial des investissements. Aujourd’hui, le constat fait qu’il y a une réelle déconnexion des régions par rapport aux opportunités d’investissement. Même si le fonds est public, il devrait être géré au niveau régional par des personnes venant de secteurs différents. Autrement dit, sa gestion doit être autonome et privée », dit-il.
13 – Accélérer les aides directes ciblées
Le chantier du ciblage des programmes d’appui social devra être accéléré, même si tel semble être le cas depuis le 11 juin dernier avec la Chambre des conseillers qui a adopté en commission le projet de loi 72.18, relatif à ce dispositif et portant également création de l’Agence nationale des registres. Il faut dire que ce projet de loi constitue une avancée dans le cadre du chantier de la réforme sociale, entrepris par l’Etat depuis plusieurs années. Il viendra donner un cadre juridique à la solution envisagée par le gouvernement, et qui est en phase finale de préparation, pour résoudre la problématique du ciblage, l’une des problématiques relatives aux aides sociales. « Est-il logique par exemple, que le butane subventionné par la Caisse de compensation soit payé au même prix par tout le monde », se demande Zakaria Fahim.
Par ailleurs, pour Mohamed Boumesmar, Expert-comptable, enseignant à l’ISCAE, membre du Conseil national de comptabilité et gérant du cabinet Audicis, durant la crise du Covid-19, l’aide directe a été l’ossature principale de l’action de l’Etat dans plusieurs pays, notamment pour les métiers directement impactés par la crise et a bénéficié aux propriétaires de beaucoup de petites affaires (restaurant, cafés, taxis, indépendants…). «L’endettement ne constitue pas une solution toujours optimale. Des fois en temps de crise, elle peut constituer uniquement une fuite en avant surtout si le niveau escompté des affaires ne peut être atteint. Dans tous les cas, l’Etat marocain ne peut faire l’économie des aides directes pour aider au sauvetage des très petites affaires, des auto-entrepreneurs, de certains indépendants dont l’activité a été impactée et continuera de l’être en raison des règles de distanciation qui imposent souvent un niveau réduit d’activité », dit-il. A son avis, il est plus avisé de procéder à une aide directe qui pourrait être conditionnée par des obligations de maintien des emplois, de l’intégration du secteur formel, de la déclaration des salariés à la CNSS par exemple.
14 – Lutter contre le cash
La circulation du cash augmente d’année en année au Maroc. Ainsi, les dépôts bancaires ont tendance à croître moins vite que l’économie. Il est rare de trouver un cas similaire dans le reste du monde. Récemment, la Banque centrale a baissé le taux de la réserve monétaire obligatoire suite à l’aggravation du déficit de liquidités des banques, engendré par la hausse de la circulation fiduciaire. Le cash qui sort du système bancaire est en partie derrière le ralentissement des dépôts, qui augmentent désormais plus faiblement que les crédits (sachant que les dépôts servent à octroyer des crédits). Le cash en circulation a atteint à fin mai, plus de 289 milliards de DH, selon les dernières statistiques monétaires de Bank Al-Maghrib. Un montant en augmentation de 15,7% (+39,4 milliards de DH) depuis le début de l’année et de 20,4% par rapport à fin mai 2019 (+49 milliards de DH). Pour Tariq Zidi, Président National du Centre des Jeunes Dirigeants (CJD) Maroc, les solutions à ce phénomène existent : il faut par exemple «inciter et favoriser les mobile-paiement et les généraliser dans tous les secteurs d’activités». Zakaria Fahim, pour sa part, estime que l’Etat devra être plus sévère et mettre des mesures contraignantes, quitte à changer les billets de banques.
15 – Crowdfunding
Nombreux sont les experts qui estiment que le gouvernement doit déployer rapidement le financement participatif (crowdfunding). « C’est le moment d’accélérer la mise en place de la loi sur le crowdfunding et les business angels. Elle permettra d’aller chercher les fonds au niveau de la diaspora pour sauver quelques TPE qui n’auraient pas été sauvées par le fonds ou par les sociétés de capital-investissement et autres investisseurs. Dans l’élan de solidarité impulsée par la crise sanitaire, il faut valoriser les gens qui veulent aider. Il ne faut pas perdre de vue que ce type de financement est un mixte entre le don et l’équity », indique Zakaria Fahim.