Interview

Najib Cherfaoui : « Les importateurs et exportateurs marocains sont des victimes collatérales de cette pénurie de conteneurs »

Les conteneurs pour transporter les marchandises manquent, tant pour l’importation que pour l’exportation. Cette situation n’est pas sans conséquence sur le commerce extérieur du Royaume. Le décryptage de Najib Cherfaoui, expert portuaire et maritime.

Challenge : La reprise du commerce mondial entraîne une pénurie de bateaux et de conteneurs. Ainsi, les itinéraires de transport autrefois à faible coût connaissent d’importantes augmentations des tarifs de fret. Comment en est-on arrivé là ?

Najib Cherfaoui : À travers le monde, il n’y a pas de pénurie de navires porte-conteneurs et la capacité de transport couvre largement les besoins. Par contre, il y a pénurie de conteneurs vides. Pour comprendre, la clé réside dans les chiffres suivants. Dans le monde, il y a actuellement 35 millions de conteneurs en service, aussi bien à terre que dans les mers. En temps normal, la moyenne mondiale est d’un conteneur plein pour deux conteneurs vides. Ce ratio est brutalement modifié par les effets de la pandémie du printemps 2020 : il devient égal à un conteneur vide pour un conteneur plein. En effet, il se produit un phénomène planétaire : les conteneurs chargés sont immobilisés dans les terminaux, dans les ports secs ou bien encore utilisés comme solution de stockage. En particulier, il n’y a pas renouvellement des conteneurs vides. Mais, il y a pire. À partir du mois d’août, la reprise chinoise engendre un flot continu de boîtes pleines, ce qui aggrave la raréfaction des vides. En conséquence, la pression exercée par la demande chinoise déclenche la surenchère sur la location des conteneurs vides. Le prix de location du conteneur vide explose. Les armateurs répercutent cette hausse sur les coûts de fret. Voilà comment on est arrivé à l’augmentation des tarifs de transport des marchandises conteneurisées.

Challenge : Quelles sont les conséquences de cette situation pour les importateurs et exportateurs marocains ?

N.C : Les importateurs et les exportateurs marocains sont les victimes collatérales d’une crise globale. La situation actuelle relève du fait accompli. Les importateurs sont confrontés à l’exigence d’honorer leurs engagements. Ils sont confrontés également, à l’exigence de maintenir leur offre de prix. Il y a urgence de leur donner un coup de pouce, d’autant que cet appui ponctuel leur permettra de sauver une année de travail.

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Challenge : Face à la flambée des tarifs de fret, quelles solutions pour les importateurs et exportateurs marocains ?

N.C : Il faut bien garder à l’esprit que l’importateur ou l’exportateur marocain n’est en aucune façon responsable de la hausse unilatérale imposée par les armateurs. Je connais bien les armateurs, ils sont raisonnables et ils peuvent ramener à la raison les compagnies de leasing. Au Maroc, ils opèrent dans les ports et ils sont bien conscients de ces difficultés. Je propose la solution suivante. La tutelle doit réunir les armateurs en urgence. Elle doit mettre en avant que les contingences présentes soient localisées dans le temps. C’est-à-dire que la hausse est passagère. Forte de ce constat, elle négocie le maintien du coût de fret initial. Puis, elle garantit et place en suspension le différentiel réclamé par les armateurs. Après avoir libéré la marche normale du commerce, on revient à la table des négociations pour mettre en place un protocole tripartite de répartition de la facture globale. Il est clair que les armateurs vont accepter un allègement, sinon total, du moins appréciable.

Challenge : Peut-on se passer des conteneurs pour le fret ?

N.C :  Le conteneur se révèle un puissant instrument pour évaluer exactement le coût des vides. Il contribue en particulier à la diminution de ce coût, car l’empilement de boîtes rectangulaires constitue le mode le plus dense et le plus compact. Indépendamment de ses multiples autres avantages, il voyage plein ou non. En conséquence, la mesure des vides, activité jusqu’alors artisanale pénètre dans une phase de mutation profonde : elle devient industrielle. Autrement dit, le vide acquiert le statut, à part entière, de marchandise transportable et entreposable. Il devient enfin gérable. Ces atouts révolutionnaires ne passent pas inaperçus. Tous les opérateurs saisissent l’importance de l’évènement. Ils réorganisent leurs métiers à partir et autour de cette innovation. Les armateurs inventent les porte-conteneurs ; les manutentionnaires s’équipent en portiques, chariots cavaliers et autres ponts roulants ; les ports aménagent de vastes terminaux et abandonnent les hangars traditionnels. Avec ces nouveaux outils, la conduite des conteneurs dans les espaces maritimes et terrestres prend aujourd’hui l’allure surréaliste d’une immense et interminable partie de Tetris, célèbre jeu vidéo, où le joueur doit rapidement ranger des cubes défilant à la verticale.

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