Saïd Mouline : «Le Maroc peut passer du statut d’importateur d’énergie fossile à celui d’exportateur d’énergie verte»
Saïd Mouline est convaincu que le Maroc a toutes les cartes en main pour être incontournable dans le domaine de l’hydrogène vert. Les explications du directeur général de l’Agence marocaine pour l’efficacité énergétique (AMEE).
Challenge : Quels sont les atouts du Maroc de se positionner dans cette filière d’avenir qu’est l’hydrogène vert ?
Saïd Mouline : L’hydrogène vert est l’hydrogène issu de l’électrolyse de l’eau par les énergies renouvelables. Déjà, il ne s’agit pas de faire de l’électrolyse de l’eau avec du charbon ou du gaz. Cela n’a pas de sens, parce que l’électricité viendrait du fossile. Donc, les atouts du Maroc résident dans la vision royale de 2009, parce que le potentiel renouvelable éolien est exceptionnel dans notre pays, mais d’autres pays ont également du potentiel solaire exceptionnel. Sauf que nous, nous avons la chance d’avoir un mix éolien et solaire. Ceci fait que nous avons un coût du renouvelable qui peut être très bas. Nous avons une expérience de plus de 10 ans, avec une approche PPP (Partenariat Public-Privé). Cela fait que notre pays est vraiment dans un modèle où nous avons le potentiel exceptionnel du renouvelable, le modèle économique, le modèle avec le secteur privé, celui permettant aussi d’attirer les financements verts pour accompagner ces projets.
Nous savons faire tout cela, nous avons l’expérience. De plus, nous avons mis en place un cluster hydrogène vert depuis longtemps, nous disposons d’un volet R&D, un volet avec les universités, un volet industriel qui peut se développer sur cela. Il va sans dire que notre pays a les meilleurs atouts dans ce domaine. Le marché est immense, et il y aura de la place pour beaucoup de pays. L’idée aujourd’hui est que l’hydrogène vienne remplacer le pétrole, parce que pour des raisons climatiques et géopolitiques, les pays veulent aller beaucoup plus vite dans la transition vers l’hydrogène. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui c’est le bon moment possible pour cela.
Lire aussi | Hydrogène. L’offre Maroc au défi des problèmes de gouvernance et de la reconfiguration du marché de l’énergie
Challenge : Selon vous, à quoi pourrait ressembler alors l’offre du Maroc qui a été identifié parmi les pays ayant les plus importantes potentialités pour produire l’hydrogène vert ?
S.M : Beaucoup d’investisseurs sont déjà venus au Maroc. Il y a eu de nombreuses discussions, des événements internationaux… Et nous avons organisé ici l’événement « World-Power-to-X ». Il faut absolument que l’offre mette en avant tout le potentiel marocain qu’elle montre qu’il y a un impact économique au Maroc. Et il ne faut pas oublier que le groupe OCP, fleuron de l’industrie nationale, va utiliser l’hydrogène vert et pourra produire de l’ammoniac vert au Maroc. Il s’agit de plus d’un milliard de dollars d’importation d’ammoniac. C’est énorme ! Nous importions pour 600 millions de dollars d’ammoniac gris, mais avec la flambée des prix du gaz au niveau international, la facture est montée à un milliard de dollars. Il est clair que nous sommes dans un schéma où nous avons la chance de produire pour répondre à nos propres besoins, et aussi d’avoir une offre Maroc pour exporter dans les années à venir. Tout ceci doit tenir compte de plusieurs volets en termes d’impact dans notre pays. Le Maroc peut passer d’un pays importateur d’énergie fossile à un pays exportateur d’énergie verte.
Challenge : Outre l’OCP, quelles sont les autres industries qui pourront profiter de l’hydrogène vert ?
S.M : L’industrie qui utilise de l’hydrogène, c’est l’acier et les raffineries. Maintenant, l’autre utilisation, c’est que cela devienne un vecteur d’énergie pour le transport pour les voitures, les trains, les avions… Aujourd’hui, les avionneurs commencent à développer des moteurs à hydrogène. Les bateaux veulent fonctionner d’ici 2030 à l’e-fuel (fuel vert obtenu à partir de l’hydrogène). Donc, toutes les applications pour le transport sont là. Je signale qu’il y a des trains à hydrogène qui fonctionnent déjà en Europe. Donc, les atouts sont là, la volonté politique au plus haut niveau de l’Etat est là. C’est une chance que nous avons et il faut pleinement en profiter. Je rappelle aussi que nous avons déjà des électrolyseurs dans notre industrie, notamment au niveau de l’acier. Avec l’hydrogène, nous pouvons stocker de l’énergie qu’on peut revendre avec une pile à combustible.
Challenge : La « stratégie nationale de l’hydrogène vert » du Maroc ambitionne de capter jusqu’à 4% de la demande mondiale en molécules vertes d’ici 2050. Est-ce réalisable ?
S.M : Bien sûr. Avec les ministères et les agences concernés, et le secteur privé représenté par la CGEM, avec les industriels privés, les universités, les instituts de recherche et de développement, il va sans dire que le cluster hydrogène vert regroupe toutes les parties prenantes. Et bien sûr, il y a aussi une feuille de route qui a été mise en place pour présenter un peu la donne. Maintenant, le message royal est très fort parce que c’est un message clair pour que notre pays soit classé à sa juste place dans ce secteur. Nous avons participé à la COP en Egypte et il y a eu énormément de discussions sur l’hydrogène dans tous les pavillons. Donc, c’est un phénomène mondial, et le Maroc a tous les atouts pour prendre sa part dans ce modèle énergétique, qui est très intéressant pour notre économie.
Lire aussi | Hydrogène vert : Une nouvelle priorité pour le Maroc
Challenge : Outre le Maroc, plusieurs autres pays africains se positionnent sur cette nouvelle filière. Comment voyez-vous le Maroc par rapport à cette concurrence ?
S.M : Le marché est immense. Nous avons la chance de pouvoir produire pour nos besoins locaux et aussi d’exporter. Le potentiel renouvelable est une chose, mais le savoir-faire et l’expérience en est une autre. Avec nos frères du continent, nous pouvons également avoir une coopération dans ce domaine. Beaucoup de pays se positionnent, c’est normal. Le Maroc a beaucoup de coopération Sud-Sud aujourd’hui. Je pense qu’il y a une possibilité de travailler ensemble dans ce domaine. Il y a de la place pour tout le monde. Il faut que cela soit une énergie produite pas seulement pour être exportée, mais que cela crée de l’emploi et fournisse de l’énergie au continent parce que ce n’est pas normal qu’il existe encore 600 millions d’Africains sans électricité aujourd’hui. Il faut vraiment penser à des projets visant le développement de nos pays, et non pas juste dédiés à l’export.