TVA sur les médicaments : une anomalie fiscale flagrante
Chaque année, la TVA sur les médicaments rapporte, en moyenne, plus de 2 milliards de dirhams, soit 2,70% des recettes prévisionnelles en matière de TVA, prévues dans la Loi de finances 2020. Un premier pas vers l’exonération a été franchi dans la Loi de finances 2019.
L’exonération, pure et simple, de TVA sur les produits pharmaceutiques, à ne pas confondre avec les produits para-pharmaceutiques, est pourtant une mesure largement partagée, au niveau international. C’est aussi une attente sociale forte exprimée à plusieurs reprises. En effet, le médicament n’est pas un produit de consommation courant. La consommation d’un médicament ne découle pas d’un choix libre. C’est un acte dont la nécessité découle de l’état de santé du patient. La faible couverture médico-sociale de la population marocaine impose nécessairement le choix de l’exonération des médicaments de TVA, à l’instar de certains produits de nécessité tels que le pain, la farine servant à l’alimentation humaine et le lait. Paradoxalement, la « viande fraiche ou congelée » et le «sucre brut» sont aussi exonérés en matière de TVA, alors que les médicaments ne le sont pas. Or, actuellement, de nombreuses études scientifiques ont pu démontrer les effets nocifs sur la santé en cas de consommation excessive des viandes et du sucre.
Une politique fiscale intelligente peut contribuer positivement au changement dans le mode de consommation avec un impact positif sur la santé des consommateurs
L’une des principales recommandations implicites, transverses et récurrentes des trois Assises nationales sur la fiscalité (1999, 2013 et 2019) est d’évoluer vers un système fiscal plus intelligent, c’est-à-dire intégrant les paramètres qu’exige un développement humain durable, autrement dit, respectueux de la santé humaine et de l’environnement naturel. Ainsi, pour compenser le manque à gagner fiscal d’une éventuelle exonération totale des médicaments, il suffit de supprimer l’exonération accordée à la «viande fraiche et congelée » et celle accordée au « sucre brut » qui génèrent presque 2 milliards de dirhams en dépenses fiscales. Il ne s’agit pas d’un choix d’ordre technique. C’est un choix politique stratégique pouvant renforcer le caractère équitable de notre système fiscal dans son ensemble.
A travers la crise actuelle aggravée par la pandémie, les citoyens ont bien pris conscience de cette réalité dure à supporter qu’est l’inégalité d’accès à la santé, un droit humain fondamental constitutionnellement consacré. En effet, les catégories sociales à faible pouvoir d’achat sont obligées d’optimiser leurs revenus pour répondre en priorité à leurs besoins fondamentaux. Carences et sous-alimentation résultent quasi mécaniquement de cette optimisation forcée, voire impossible pour de nombreux ménages plongés dans la précarité. Les corps chétifs, sous-alimentés ou souffrant de manques sont objectivement plus exposés à certaines maladies. A l’opposé, la surconsommation des viandes et des produits sucrés, exonérés de TVA, favorise l’apparition de nombreuses maladies liées à l’obésité et socio-économiquement coûteuses. Une politique fiscale intelligente peut contribuer positivement au changement dans le mode de consommation avec un impact positif sur la santé des consommateurs. Le rapport n’est certes pas mécanique. Mais située dans une vision politique globale, l’exonération ou au contraire la taxation peut donner des résultats tangibles tant sur le plan sanitaire que socioéconomique et fiscal.
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