Délais de paiement. Beaucoup de normes, peu de résultats
A elle seule, la loi ne change pas la réalité. Depuis 2011, deux lois, deux décrets et deux arrêtés ont été pris pour faire face au retard dans les délais de paiement et sanctionner les mauvais payeurs. Aujourd’hui, un nouveau projet de loi est en gestation. Pendant ce temps, de nombreuses entreprises souffrent de ce retard générant des difficultés de trésorerie et des conflits interminables entre clients et fournisseurs. Les entreprises ont l’impression d’être prises au piège d’un cercle vicieux.
Certains évoquent le traitement fiscal des intérêts de retard comme obstacle à l’application des dispositions légales régissant le retard dans les délais de paiement. C’est plutôt l’arbre qui cache la forêt. D’autres évoquent des discordances et des lacunes juridiques. En principe, la loi sur les délais de paiement concerne aussi bien les entreprises ayant la qualité de commerçant et régies par la loi 15-95, formant code de commerce, que les personnes de droit privé délégataires de la gestion d’un service public et les établissements et entreprises publics exerçant des activités commerciales.
Ainsi, tout commerçant, au sens large du terme, a l’obligation de définir un délai de paiement qui est normalement de 60 jours (délai légal/de droit commun) ou, au maximum, 90 jours (délai prévu contractuellement). Au-delà de 60 jours ou de 90 jours, selon le cas, des indemnités de retard sont applicables, à compter de la réception/livraison des marchandises, ou de la réalisation des travaux ou services.
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Actuellement, le taux desdites indemnités de retard (IR) applicable est de 5,5% (amende de 4% + taux directeur de la Banque centrale = 1,5%). Ce taux était bien supérieur au départ, soit 10%. Suite aux doléances du monde des affaires, le taux des IR a été revu à la baisse, car perçu comme étant excessivement pénalisant. Mais, malgré cette baisse, le retard de paiement persiste comme l’un des principaux casse-tête des entreprises. Et c’est l’ensemble des circuits économiques, voire l’environnement des affaires, qui est négativement impacté.
Que prévoit le nouveau projet de loi sur les délais de paiement, actuellement mis en circuit ? Ce projet, dans l’article 78-3, prévoit une obligation de souscrire auprès de l’administration fiscale, une déclaration en ligne sur l’état des impayés. Cette déclaration devrait être, au préalable, certifiée par un commissaire aux comptes pour les grandes entreprises réalisant annuellement un chiffre d’affaires hors taxe (CAHT) supérieur ou égal à 50 MDH, ou bien par un expert-comptable ou comptable agréé, lorsque le dit CAHT est inférieur à ce seuil.
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Quel est l’objectif de cette mesure ? L’entreprise va devenir une pourvoyeuse d’informations la concernant elle-même, mais concernant aussi d’autres entreprises, plus exactement les clients « mauvais payeurs ». En fait, l’entreprise l’est déjà à travers d’autres déclarations, telles que celles de la TVA auxquelles sont joints les relevés de déductions (…). Il est possible de voir cette mesure d’un bon œil, surtout lorsque le « mauvais payeur » est de mauvaise foi.
Mais ce n’est pas toujours le cas. C’est aussi une nouvelle prestation confiée aux professionnels du chiffre, déjà mécontentés par le récent traitement que leur a infligé le Conseil de la Concurrence (CC). Le rôle de ces professionnels est d’assister les entreprises dans la tenue de leur comptabilité, de les conseiller et de certifier des comptes. Leur confier cette nouvelle tâche est certes un signe de confiance de la part des pouvoirs publics. Ce qui renforce les arguments desdits professionnels contre la dernière décision du CC, prise à leur encontre.
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Mais le projet de loi relatif au traitement du retard dans les délais de paiement limite l’obligation déclarative auprès de l’administration fiscale aux entreprises réalisant un CAHT supérieur à 2 MDH. Le délai prévu est de 3 mois après clôture de l’exercice comptable, à l’instar de la déclaration annuelle du résultat fiscal.
Ladite déclaration doit comporter, outre les informations relatives à l’identification de l’entreprise, le CAHT, le montant des factures réglées en retard et celles restées impayées dans les délais prévus légalement (60 jours) ou contractuellement (90 jours). Cette déclaration doit, en fait, être plus détaillée, et comporter des renseignements concernant les factures impayées dans les délais (références, date d’émission, identité du fournisseur émetteur, nature de la marchandise, date de paiement prévue ou convenue, durée du retard…).
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Actuellement, les IR sont traités fiscalement comme des produits non courants pour l’entreprise bénéficiaire qui les applique, et comme charges non courantes, pour l’entreprise qui les verse. Si l’entreprise bénéficiaire n’applique pas les IR, cet acte sera traité fiscalement comme une libéralité, imposable en tant que produit, même non perçu.
Par contre, l’entreprise retardataire n’ayant pas versé des IR, n’a rien à déduire. Le projet de loi prévoit des modifications à ce niveau, pour ne garder qu’une amende applicable par le fisc. Ce dernier ne sera pas seulement responsable de l’application de ladite amende. Le vrai gain du fisc est dans cette masse d’informations fournies « gratuitement » par les entreprises.
Ces informations seront brassées, traitées, moulinées dans une « big data fiscale », afin de mieux traquer et cibler la fraude fiscale. Pourquoi pas ? Qui a peur de la transparence ? La fraude fiscale porte gravement atteinte au lien social. La traquer efficacement et sévèrement est une responsabilité collective.